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Liban - Entretien

« Avec des contrôles et des sanctions, la chasse illégale pourrait diminuer progressivement au Liban »

Géraldine Attard, du Committee Against Bird Slaughter, décrit des « visions d’horreur » qui persistent, et décortique l’état des lieux actuel et les moyens d’améliorer l’application de la loi au Liban.

La bondrée apivore en migration : la chasse illégale au Liban est la raison principale du déclin de ce rapace.

Début septembre, la saison de chasse a été ouverte pour la seconde fois au Liban, conformément à la loi de 2004 et à ses décrets exécutifs, mais il était aisé de constater, dès les premiers jours, que les abus persistaient. Les efforts déployés pour faire appliquer la loi sont-ils suffisants et donnent-ils des résultats ? Le point dans cette interview de Géraldine Attard, éthologue (comportementaliste), chargée de mission et de communication dans le groupe international Committee Against Bird Slaughter (CABS, Comité contre le massacre des oiseaux), qui vient de remplir une mission au Liban.

Interrogée sur les impressions générales de son groupe lors de sa mission au Liban, Géraldine Attard les a décrites comme « mitigées », regrettant que « le magnifique spectacle de la migration se transforme presque à chaque fois en bain de sang ». « Nous avons été confrontés à des visions d’horreur, de souffrance et de destruction ; des oiseaux tués, blessés, laissés à l’agonie, la plupart du temps juste « pour s’amuser », comme nous l’ont dit plusieurs braconniers », regrette-t-elle.

L’éthologue met beaucoup de ces comportements sur le compte de l’ignorance. « La majorité des chasseurs ne connaissent pas les espèces chassables, explique-t-elle. Ils ne semblent pas non plus comprendre la notion d’espèce. Bien souvent, ils pensent que tous les passereaux sont les mêmes oiseaux avec des couleurs différentes. Beaucoup pensent que chasser (tous) les petits oiseaux est permis. La loi sur la chasse devait permettre d’améliorer les capacités de reconnaissance des espèces, mais ce n’est pas ce que nous voyons sur le terrain. »

Selon Géraldine Attard, « il est trop tôt pour estimer si la situation en général s’améliore ou s’empire, en tout cas depuis l’instauration de la loi ». Elle ajoute : « Nous avons eu quelques avancées, mais le problème est complexe et ces pratiques sont très ancrées dans la culture. Ce qui est clair, c’est que peu à été fait dans la région d’Eghbé-Chahtoul-Raachine (Kesrouan) depuis que nous y avons signalé des abus aux autorités l’année dernière. C’est un lieu extrêmement important pour la migration des oiseaux. Cependant, suite aux arrestations (à Chahtoul et Raachine) et notre présence continue durant plusieurs jours, l’activité de chasse a diminué, ce que nous prenons comme un très bon signe. »

La militante estime que « les choses n’avanceront pas tant que la possession d’armes sera aussi normalisée et sans que les gens ne prennent conscience de la valeur de la nature ».

« Discuter avec les braconniers »

La mission du CABS cette année au Liban a revêtu un caractère spécifique. « Après notre première mission de groupe l’année dernière, durant laquelle nous avons exploré des régions avec d’importants passages de migration, nous avons décidé de focaliser nos efforts sur les alentours d’Eghbé, souligne Géraldine Attard. Nous avons également reçu un bon soutien des autorités dans cette région. »

Elle poursuit : « Un an après l’instauration de la nouvelle loi sur la chasse, nous voulions voir si (et comment) elle était appliquée dans cette région. Nous voulions également mesurer l’ampleur du braconnage et mieux comprendre ce qui motivait les braconniers à tuer autant d’oiseaux. Une grande partie de notre travail a été de discuter avec eux et d’essayer de leur faire prendre conscience de l’impact qu’ils ont sur l’écosystème local et global. Au final, cela nous a permis de chercher des solutions adaptées. À l’heure actuelle, nous discutons avec nos partenaires sur la meilleure stratégie à adopter, mais il est clair que la résolution de ce problème viendra principalement d’une application ferme de la loi par les autorités et d’un changement culturel par l’éducation et la sensibilisation. »

Et la mission a porté ses fruits, « notamment avec l’arrestation de plusieurs braconniers, et, en conséquence, la diminution de l’activité de chasse illégale dans les jours suivants, ce qui montre qu’avec plus de contrôles et de sanctions, la situation pourrait progressivement s’améliorer », selon elle.


(Lire aussi : Au Liban, massacre et protection des oiseaux)


« Le nombre d’enfants portant des fusils… inquiétant ! »

Concernant les arrestations, Géraldine Attard note la réactivité des Forces de sécurité intérieure à chaque fois qu’elles sont sollicitées. « Lorsqu’il y avait une infraction, la personne était interpellée et ses armes confisquées, raconte-t-elle. Nous attendons toujours de connaître la sentence, mais, d’après les policiers, il y aura de fortes amendes. »

« Malheureusement, poursuit-elle, les policiers connaissent mal la loi et notamment les espèces chassables. On ne peut pas les blâmer, ce n’est pas facile de différencier les oiseaux. Or, la plupart des chasseurs que nous avons rencontrés tuent des espèces protégées. Il est donc essentiel que les policiers soient mieux formés ou que des unités spéciales (ex : des gardes-chasse) soient déployées dans des lieux aussi sensibles. Il n’y a qu’une dizaine d’espèces chassables, et des ornithologues pourraient facilement apprendre à ces unités comment les reconnaître. »

L’experte souligne cependant que les policiers, même non spécialisés, pourraient commencer par contrôler les permis de chasse car la majorité des chasseurs que l’équipe du CABS a rencontrés ont reconnu ne pas en avoir. « Nous avons cependant perçu un problème auquel les policiers font face : la plupart d’entre eux travaillent dans des zones d’où ils sont originaires », souligne-t-elle.

Elle fait référence à un autre problème alarmant, le nombre d’enfants portant des fusils. « C’est inquiétant pour leur sécurité, mais aussi pour ce qu’on leur apprend sur le respect de la nature, du droit de vie et de mort, et des lois », déplore-t-elle. En définitive, selon elle, faire respecter la loi après des décennies de braconnage illégal est « un grand challenge pour les autorités ». « Ici, c’est le Liban, on fait ce qu’on veut », ont d’ailleurs répondu plusieurs braconniers au CABS.


« Engager les familles et les écoles »

L’opération du CABS au Liban était coordonnée avec la Société de protection de la nature au Liban (SPNL) et le Centre du M-O pour la chasse durable. « Ce dernier à un rôle très important à jouer puisque les chasseurs responsables (respectant la loi) peuvent avoir un effet contre-normatif et donc changer la culture de la chasse au Liban, affirme la spécialiste. Beaucoup de braconniers sont jeunes et ont en moyenne 20 à 25 ans. Ils peuvent donc encore être influencés et orientés vers des pratiques plus acceptables. La SPNL a aussi un grand rôle à jouer dans le changement culturel qui doit s’opérer. Comme en France, il faut engager les familles et les écoles dans des activités ludiques qui visent à protéger et aimer la nature, plutôt que la détruire. D’autres associations, comme la Lebanese Bird Conservation Coalition (LBCC), sont actives de ce point de vue-là. C’est un très beau réseau qui se renforce pour la protection de la nature, contre le braconnage et pour l’éducation des citoyens libanais. C’est en grande partie là que résident les solutions, selon nous. »

Elle ajoute : « De notre côté, nous travaillons pour sensibiliser l’opinion internationale et pour générer un maximum de pression. La communauté internationale attend plus d’efforts du Liban, mais nous comprenons l’ampleur de la tâche, et c’est pourquoi nous mettons volontiers notre expertise au service des autorités et des associations locales. »

Elle note aussi que les citoyens libanais sont de plus en plus réceptifs à la nécessité de réglementer la chasse. Elle salue par ailleurs le soutien des autorités à leur action. « Nous avons rencontré des juges, procureurs, élus locaux et chefs de police qui souhaitent faire appliquer la loi, affirme-t-elle. Le problème, c’est souvent le manque de moyens. Nous avons aussi le soutien des hautes autorités, comme le président de la République Michel Aoun, représenté par sa fille Claudine Aoun Roukoz, qui est régulièrement en contact avec nos partenaires libanais. »

Le braconnage au Liban, cause du déclin d’une espèce de rapaces

Interrogée sur les espèces qui sont le plus affectées par le braconnage au Liban, l’éthologue Géraldine Attard, chargée de communication au CABS, affirme qu’une espèce de rapaces, la bondrée apivore, est la plus touchée parmi les oiseaux de grande taille. Selon elle, la chasse illégale au Liban est reconnue par l’IUCN comme la première cause responsable de son déclin (-25 % en 30 ans, voir http://www.iucnredlist.org/details/22694989/0).

« Rien qu’à Eghbé, qui représente un petit pourcentage des lieux où la bondrée est chassée à travers le pays, nous pouvions en voir cinquante tomber sous les tirs en l’espace de dix minutes, dit-elle. Pour référence, cela représente plus de la moitié de la population de bondrées au Royaume-Uni (estimée à 46 couples). »

Mais cet oiseau n’est pas le seul à souffrir : les cigognes et les hirondelles sont également très touchées. « C’est un véritable massacre à grande échelle, et ces oiseaux sont seulement ramassés pour faire des photos qui illustreront “l’exploit” du tireur », dénonce-t-elle.

« Sur une note plus positive, une image marquante à été l’observation de la migration de centaines d’oiseaux sans un coup de feu, dit-elle. C’était le lendemain de l’arrestation d’un braconnier dans la localité. Ce moment était magique et, pour la première fois au Liban, je me suis autorisée à être l’ornithologue passionnée et émerveillée que je suis. »



Pour mémoire

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Un chasseur c'est quoi ?

Sarkis Serge Tateossian

13 h 51, le 05 octobre 2018

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Commentaires (6)

  • Un chasseur c'est quoi ?

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 51, le 05 octobre 2018

  • A Egbeh, vers 1950, il y avait un vieux chêne plusieurs fois centenaire que l'on voyait à l'oeil nu de 20 km à la ronde. N'étant plus au Liban depuis 1975, j'ignore s'il existe encore. En septembre les chasseurs avec ou sans permis se trouvaient par dizaine autour pour attendre l'arrivée des rapaces du nord. Dès qu'ils arrivent à portée de leurs fusils, c'était la Bataille de Stalingrad. Les bondrées tombaient par dizaines dans la partie pentue à l'ouest du chêne, les chasseurs en faisaient cadeaux aux renards. (Témoin oculaire).

    Un Libanais

    10 h 56, le 05 octobre 2018

  • "...ici c'est le Liban, on fait ce qu'on veut..." Comment voulez-vous raisonner des imbéciles ignorants et fanfarons qui vous avancent cet argument ??? Irène Saïd

    Irene Said

    10 h 16, le 05 octobre 2018

  • IL FAUT INTERDIRE LA CHASSE POUR AU MOINS CINQ ANS ET APPLIQUER RIGOUREUSEMENT LA LOI POUR DONNER LA CHANCE AUX OISEAUX DE SE MULTIPLIRER ET RECONSTRUIRE LEURS VOLEES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 43, le 05 octobre 2018

  • avec l'application des lois, les corrompus & corrupteurs jetes en prison, obliges a rembourser les montants voles, il n'existeraient plus au Liban.

    Gaby SIOUFI

    09 h 29, le 05 octobre 2018

  • "Avec des contrôles et des sanctions, la chasse illégale pourrait diminuer progressivement". Bien sûr!, mais, comme écrit ici, "la plupart d’entre eux (les gendarmes et policiers) travaillent dans des zones d’où ils sont originaires". Cela explique leur manque de réactions. Dans les 3/4 des cas, les braconniers agissent au vu et au su des gendarmes qui n'osent pas les interpeller, simplement pour vérifier leur permis. Par ailleurs, comme il est parfois difficile de les arrêter, il faut que ceux qui sont pris paient pour les autres, ou plutôt, paient pour toutes les fois où ils n'ont pas été pris. Autrement dit, que les sanctions soient très sévères.

    Yves Prevost

    07 h 29, le 05 octobre 2018

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