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Culture - Exposition

Pour Roy Dib, partir, c’est mourir deux fois

Le talent du mois de janvier de la saison 3 de Génération Orient (prix L’OLJ-SGBL) a choisi de mêler expériences visuelles et sensorielles. Il investit l’espace de la galerie Tanit pour raconter une histoire basée d’abord sur une aventure onirique, ensuite sur une projection dans un avenir qui reste pour tout un chacun... incertain.

« Sandy 31 », 80 x 60 cm, impression papier photo sur bois.

Ce temps où la scène artistique se composait essentiellement de peintres et de sculpteurs est révolu. Mouvements et écoles artistiques se dissipent, et toutes les pratiques coexistent désormais. Performances, installations, art conceptuel, vidéos ou art cinétique cohabitent de plus en plus dans un espace aux contours de plus en plus insaisissables.

De là où l’on regardait simplement et où l’art était essentiellement un parcours optique, aujourd’hui on entend de plus en plus. Les expériences multisensorielles se multiplient, les installations sonores envahissent les foires et les galeries. Alors, les valeurs s’inversent, et c’est l’œuvre qui fait le spectateur, celui-ci devenant la condition même de l’expérience sensorielle de l’œuvre. La trentaine passée (il est né en 1983) et ayant percé dans le milieu de l’art conceptuel et dans le cinéma, Roy Dib défie la notion commune de l’espace en repoussant toujours plus loin les limites du temps. Dans Revisiting Hesitation (présentée à la galerie Tanit), sa conception visuelle et sonore s’étoffe de textes intimistes et sensuels, et met en scène des circonstances hypothétiques sorties de son imaginaire pour mettre en exergue la notion de la difficulté face à un choix. Ce n’est pas un titre choisi au hasard du fait même que sa traduction en arabe, Taraddod, renvoie à deux idées qui se complètent. Le fait d’hésiter et l’éternel recommencement. La nouvelle œuvre de ce candidat au prix L’OLJ-SGBL de la saison 3 de Génération Orient, détenteur de plusieurs prix (à la Berlinale 2014 pour un court métrage, du Lebanese Film Festival pour la meilleure première œuvre de fiction et, plus récemment, d’une mention spéciale au Network of Arab Alternative Screens, s’inscrit dans une recherche au sujet surprenant. Qu’y a-t-il de plus douloureux que la mort d’un être aimé? Sûrement le fait de ne pas pouvoir l’enterrer et de faire son deuil.

Dans un siècle où l’on ne respire plus que le soufre des batailles et la décomposition des corps, partir ou ne pas partir reste l’ultime question avec tout ce qu’elle comprend comme engagement dans les deux sens.


Chronique d’une mort annoncée

Quand on traverse le seuil de la galerie, c’est d’abord le son qui s’empare des sens. Une salle obscure et une voix de femme qui interroge un corps couché au sol en projection surréaliste.

Un corps entièrement dévêtu étendu par terre. C’est Charbel Saadé, également candidat au prix L’OLJ-SGBL de la saison 3 de Génération Orient. Une voix d’homme raconte un rêve christique, celui de traverser, nu, un lac, de marcher sur les eaux sans s’y noyer, mais d’un pas sûr et décidé. Sauf que s’il venait à se retourner à la manière d’Orphée pour réaliser que la Terre avait disparu, si la perfide hésitation venait à s’immiscer ne serait-ce qu’un instant, l’homme coulerait et, par la force des choses, se réveillerait.

Ce rêve récurrent hante cet homme et le garde suspendu entre deux moments cruciaux, comme coincé quelque part dans les limbes, jusqu’au moment où il prendra sa décision et chassera le rêve.

Autour de lui, s’affairent des femmes armées d’un portable et qui tentent en vain de capter une réalité qui quelquefois leur échappe.

Une fois à l’intérieur de la salle, le visiteur se retrouve partie intégrante de ce groupe qui tourne autour de l’homme visiblement mort. Tenté par le fait de dégainer son portable et de photographier à son tour, le visiteur prend le temps quand même d’essayer d’ingérer cette chronique d’une mort annoncée.

L’artiste explique que cette intervention constitue la première partie d’une volée de projets. « Dans une ville qui vit la guerre comme une évidence incontournable, les habitants décident d’instaurer un rituel pour se préparer à l’idée que les hommes partent à la guerre pour y mourir, dit-il.

Alors un soir, avant les adieux, la famille décide d’organiser les funérailles pour réaliser la moitié du chemin et s’habituer à l’idée d’un éventuel deuil. » Une vidéo qui tourne en boucle se projette sur le sol et envahit tout l’espace, montre d’abord un homme qui nettoie le corps, ensuite une femme qui vient nouer autour de la cheville du mort une sorte d’amulette.

Dans ce rituel sorti droit de l’imaginaire de l’artiste, Roy Dib explique : « C’est une ville qui assiste au départ des jeunes à la guerre. Pareil à Achille, le plus brave des guerriers, ils ont tous un point faible. Les amulettes comprennent les prières de tous les membres de la famille qui l’accompagneront et qui le protégeront. »

Pour avoir créé deux mondes parallèles, celui du haut (des visiteurs) et celui du bas (le rituel mis en place), l’artiste tente d’installer une communication entre les deux parties par le regard des acteurs qui, tout d’un coup, soulèvent les yeux vers le haut, et par le voyeurisme qui s’installe par la force des choses. Encore un nouveau volet de cet art conceptuel qui devient interactif. Mais encore faut-il réussir à s’y prendre à ce jeu funéraire… à comprendre, et ses règles et l’objectif de l’artiste.

* Galerie Tanit

« Revisiting Hesitation », Roy Dib

Jusqu’au 10 novembre.

Ce temps où la scène artistique se composait essentiellement de peintres et de sculpteurs est révolu. Mouvements et écoles artistiques se dissipent, et toutes les pratiques coexistent désormais. Performances, installations, art conceptuel, vidéos ou art cinétique cohabitent de plus en plus dans un espace aux contours de plus en plus insaisissables.De là où l’on regardait simplement et...

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