Peut-on repenser les modes de production et de commerce afin de placer l’humain et la planète au-dessus de la maximisation des profits ? À ce défi a priori « idéaliste », les équipes de Fair Trade Lebanon ainsi qu’une dizaine de représentants de la société civile, venus témoigner de leurs expériences respectives, semblent répondre avec succès à leur échelle et souhaitent transposer cette réussite au niveau national. Ils intervenaient mardi soir, à l’occasion du lancement de la charte du commerce équitable, qui a eu lieu à la faculté d’agriculture de l’Université américaine de Beyrouth (AUB). Un événement célébré simultanément par 250 organisations à travers le monde, à l’initiative de Fairtrade International et l’Organisation mondiale du commerce équitable (WFTO). Cette charte définit une vision commune pour atteindre à travers le commerce équitable les Objectifs de développement durable (ODD), trois ans après leur adoption aux Nations unies, qui visent notamment à lutter contre les inégalités, défendre les droits des femmes et relever le défi du changement climatique.
Le commerce équitable permet aux petits producteurs de se rassembler au sein d’organisations démocratiques et transparentes, qui soient en mesure d’améliorer les termes des échanges commerciaux et de concurrencer les marchés internationaux. « Le travail de plaidoyer et de sensibilisation est également indispensable afin que les consommateurs agissent de manière responsable en choisissant des produits qui offrent de meilleures conditions commerciales aux petits producteurs, et que les gouvernements instaurent des conditions d’échange plus justes », a expliqué Alexandre Salha de Fair Trade Lebanon.
(Pour mémoire : Dix municipalités se lancent dans le commerce équitable)
« Exporter nos produits plutôt que nos jeunes »
Au Liban, ce combat est porté depuis treize ans par Fair Trade Lebanon, qui travaille avec plus de 2 000 petits producteurs, dont 77 % de femmes. « Nous aidons ces producteurs à exporter vers 13 pays, en trouvant des marchés de niche. Nous réussissons à le faire car nous respectons les normes du commerce équitable », a confié le président de l’ONG libanaise, Samir Abdelmalak, avant d’insister sur la nécessité d’élargir ce modèle économique à l’ensemble des secteurs productifs du pays. « Nous souhaitons exporter nos produits, afin de cesser d’exporter nos jeunes qui émigrent à la recherche de meilleures opportunités », a-t-il affirmé, avant de pointer du doigt le creusement du déficit commercial, qui a atteint plus de 20 milliards de dollars en 2017. Pour mieux y parvenir, Fair Trade Lebanon a décidé d’accentuer ces dernières années le ciblage du marché local, en misant sur la sensibilisation des consommateurs libanais notamment à travers l’ouverture de 54 points de vente dans le pays et l’attribution d’un label « commerce équitable » à neuf villages. D’autres initiatives de développement au Liban ont aussi choisi de se conformer aux principes du commerce équitable et connaissent un certain succès auprès des consommateurs libanais. C’est le cas de la coopérative Namliyé qui regroupe une quarantaine de femmes issues du monde rural et les aide à commercialiser une centaine de produits artisanaux. « Grâce à Namliyé, nous avons pu acquérir des compétences en marketing, en informatique, en comptabilité et en gestion administrative, ce qui nous a permis peu à peu de diriger nous-mêmes la coopérative », indique Hala Ghamlouch, une productrice du Sud-Liban qui est devenue vice-présidente de Namliyé, grâce justement à cette politique interne d’inclusion et de démocratisation du processus de gestion. De son côté, la représentante de l’association pour la protection de Jabal Moussa, Joëlle Barakat, a insisté sur l’importance d’accorder des salaires équitables aux travailleurs : « Nous avons pour politique interne de ne pas fixer les salaires en fonction du marché. La rémunération accordée à un travailleur de Jabal Moussa est souvent deux fois supérieure à celle du marché. »
Reste que ces différentes initiatives issues de la société civile ne bénéficient que rarement d’un soutien public. « L’État ne doit pas forcément subventionner les entreprises du commerce équitable, mais peut les soutenir à travers la commande publique, en choisissant de consommer des produits issus du commerce équitable », a préconisé Samer Sfeir, de l’association des entrepreneurs sociaux libanais.
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