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À La Une - L'Orient Littéraire

Au village d’Achrafieh

Façade d'immeuble à Achrafieh. Photo Matthieu KARAM

Je les salue chaque matin comme on le faisait au village de ma grand-mère d’un « Sabaho » dans lequel je mets le plus de chaleur possible. Les deux vieux sont assis sur leur balcon, immobiles. De cette immobilité fixe qui présage déjà l’autre, l’éternelle. Ils répondent à peine, semblent surpris, voire même mécontents. C’est qu’on ne fait pas partie du même monde. J’habite l’un de ces immeubles neufs, orgueilleux qui portent un numéro. Je suis le « Achrafieh 1588 ». Eux, c’est la maison Bou Antoun. Je porte pour tout domicile un chiffre, eux le nom d’une famille.

Ils subsistent, résistent tant bien que mal. Aux promoteurs gourmands qui rêvent de les envoyer à l’asile « où ils seront mieux traités », de démolir leur pauvre bicoque et de la remplacer par une nouvelle tour de verre, sans balcon bien sûr. Puisque de toute manière, on ne connaît plus ses voisins…

Pourtant, le grenadier du jardin continue vaillamment à donner des fruits et le gardénia ses fleurs blanches odorantes et, même si la peinture du bassin bleu s’écaille, on continue à étendre son pauvre linge de vieux sur ses parois. Les chats roux sont les gardiens des lieux sur lesquels ils veillent avec une farouche langueur, dans la torpeur des bougainvilliers violets poudrés, grimpant de temps à autre sur la vieille Coccinelle blanche du vieux toute recouverte de feuillages qui ne roule plus depuis longtemps.

Un petit escalier sombre derrière la maisonnée la relie à d’autres bicoques si délabrées que leurs habitants donnent l’impression d’être perpétuellement en instance de départ. Devant leur porte, des hommes poilus en fanella/marcel lavent mollement leur guimbarde, une mauvaise cigarette au bec. Sur le mur du dehors, une vieille photo délavée de « Bach », comme on l’appelle affectueusement ici, raconte l’époque de gloire d’Achrafieh, les désillusions et le désenchantement.

Hier, la lecture toujours édifiante de la rubrique nécrologie de L’Orient-Le Jour m’apprend que Madame Bou Antoun vient de décéder, regrettée par son mari, sa sœur, ses frères « ainsi que tous les habitants du quartier de Nasra-Achrafieh ».

Un village, je vous dis.


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Je les salue chaque matin comme on le faisait au village de ma grand-mère d’un « Sabaho » dans lequel je mets le plus de chaleur possible. Les deux vieux sont assis sur leur balcon, immobiles. De cette immobilité fixe qui présage déjà l’autre, l’éternelle. Ils répondent à peine, semblent surpris, voire même mécontents. C’est qu’on ne fait pas partie du même monde....

commentaires (2)

Émouvante nouvelle de notre village d’Achrafieh. Quand on me demande d’ou Je où on (la famille) vient, je réponds systématiquement Achrafieh et j’ Toujours droit à la même réplique mais le assel, et je répète à leurs grand étonnement, Achrafieh ! Que Dieu préserve notre village !!

TRAD Fouad N.

12 h 58, le 16 septembre 2018

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Commentaires (2)

  • Émouvante nouvelle de notre village d’Achrafieh. Quand on me demande d’ou Je où on (la famille) vient, je réponds systématiquement Achrafieh et j’ Toujours droit à la même réplique mais le assel, et je répète à leurs grand étonnement, Achrafieh ! Que Dieu préserve notre village !!

    TRAD Fouad N.

    12 h 58, le 16 septembre 2018

  • Les meilleurs grenades "bradi" du monde méditerranéen, étaient produites par la terre de Sahel-Alma. Y a-t-il encore une terre non-bétonnée à Sahel-Alma ? Y a-t-il encore une terre ensoleillée entre les tours à Sahel-Alma ? Il y a encore des arbres à Hong -Kong mais il n'y a plus de grenadiers à Sahel-Alma.

    Un Libanais

    12 h 58, le 16 septembre 2018

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