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Éloge de l’anarchie

Liban. Il y a quelque chose de prédestiné dans la sonorité de ce nom où se mêlent une idée douillette et une explosion. Il commence comme un rêve et se termine comme un sursaut, une alarme ou un cauchemar. Reste à interpréter ces trois derniers mots et agir en conséquence. Ou alors tâtonner dans un demi-sommeil, faire taire cette intrusion brutale de la réalité dans la ouate, neutraliser le bouton du réveil, se rendormir, assumer le retard, et qu’on n’en parle plus. Mais qu’on n’en parle plus du tout, sans geindre, sans se lamenter, sans soupirer.

Notre pays est dysfonctionnel, épuisé, mal géré et de plus en plus mal aimé. Voilà pour le diagnostic. Nous sommes citoyens non pas d’un État, mais d’une sorte d’entreprise en faillite dont nous essuyons les plâtres et honorons les dettes avec l’anémique économie que nous parvenons encore à faire tourner, mais jusqu’à quand ? Selon les statistiques, la majorité de l’argent frais qui entre dans les caisses provient de l’apport des émigrés. En gros, ceux qui partent font vivre ceux qui restent. Ils reviennent de temps en temps, le temps de récupérer la tendresse qui attend, panser la brûlure du manque et constater au passage que ce qu’on idéalise, quand on est loin, ressemble de plus en plus à un cloaque. Surtout les environs de l’aéroport qui donnent d’emblée le « la » avec d’insupportables miasmes. Lesquels proviennent de chères ordures bientôt converties en or dans certain projet immobilier privant le vulgus pecum de sa promenade à la mer, seul luxe accessible auquel il a déjà forcément renoncé. Car nous vivons désormais de renoncements, le plus cruel étant le renoncement des familles à leurs enfants. Une amie me confiait avoir intégré, esprit et lettre, l’injonction de « pousser » lors de ses accouchements. Une fois ses enfants poussés hors de ses entrailles, elle s’était donné pour mission de les pousser « jusqu’au bout ». Ce bout-là étant, graduellement, leur potentiel, leur scolarité, leurs diplômes, leurs visas, leur exil et sa propre solitude. Tu seras un émigré, mon fils. Tu iras chercher ta chance ailleurs, fort de tout ce que nous aurons placé en toi d’amour, de confiance et de valeurs. Et tu nous rendras fiers. Partout où tu iras, tu feras une belle réputation à ton identité libanaise, ce label de qualités humaines qui, de même que les produits chinois se trouvent partout sauf en Chine, n’existe pas au Liban.

Voilà où nous en sommes. Nous réchauffons pour notre descendance un territoire qui se dégrade à vue d’œil. Oublions l’ignorance, l’inculture, l’étroitesse d’esprit, la corruption, le machisme primaire, la microcéphalie, l’absence de vision autre qu’électorale, de

bienveillance, d’empathie et tout simplement de volonté de ceux qui nous gouvernent. En sommes-nous à ce point les otages ? Ne pouvons-nous, chacun à sa mesure, en nous imposant à nous-mêmes la rigueur qui manque au sommet, en réveillant en nous-mêmes l’élan des belles révoltes de naguère, en rêvant un peu plus haut, un peu plus fort, en retroussant nos manches, faire une différence et ignorer cette sanie qui nous sert d’État ? Quand personne n’est à la hauteur du pouvoir, il reste la volonté des citoyens et l’ordre auquel ils aspirent. Cela s’appelle l’anarchie, et c’est parfois salutaire.

Liban. Il y a quelque chose de prédestiné dans la sonorité de ce nom où se mêlent une idée douillette et une explosion. Il commence comme un rêve et se termine comme un sursaut, une alarme ou un cauchemar. Reste à interpréter ces trois derniers mots et agir en conséquence. Ou alors tâtonner dans un demi-sommeil, faire taire cette intrusion brutale de la réalité dans la ouate,...

commentaires (3)

Merci Chère Fifi, que je lis depuis des années, depuis le magnifique "French is an Asset" de février 2004. Ce qui est réconfortant, c'est qu'il y a encore des gens censés, cultivés, patriotes. Hélas, il est vrai que lorsque meurent les grands-parents, il est difficile de ramener les petits-enfants.

Aractingi Farid

00 h 34, le 14 septembre 2018

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Commentaires (3)

  • Merci Chère Fifi, que je lis depuis des années, depuis le magnifique "French is an Asset" de février 2004. Ce qui est réconfortant, c'est qu'il y a encore des gens censés, cultivés, patriotes. Hélas, il est vrai que lorsque meurent les grands-parents, il est difficile de ramener les petits-enfants.

    Aractingi Farid

    00 h 34, le 14 septembre 2018

  • VOUS AVEZ OUBLIE CHERE MADAME FIFI DE MENTIONNER L,HEBETUDE QUI CARACTERISE TOUS NOS ABRUTIS... CAR DE TELS IL S,AGIT... EN PLUS DU CARACTERE ALIBABISTE INNÉ QUI LES ANIME POUR UNIQUEMENT REMPLIR LEURS POCHES ET CELLES DE LEURS FAMILLES ET PARENTS... ET LES CITOYENS ? QUI S,EN SOUCIE ! I DABROU HALON... L,ANARCHE DOUBLEE DU CHAOS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 28, le 13 septembre 2018

  • Très émouvant en plus d'être un appel au sursaut de la citoyenneté et à préparer l'avenir...de nos petits enfants...s'ils reviennent.

    Marionet

    08 h 41, le 13 septembre 2018

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