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Liban - Billet

De Gaulle et Balzac sur les routes du Metn

Les nuages et leurs ombres sur le mont Sannine (Photo Patricia Khoder)

Il est de ces choses qui n’arrivent peut-être qu’au Liban, et parfois dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Des choses drôles qui font penser à cette culture levantine particulière, celle d’un pays aux cèdres millénaires, avec ses montagnes majestueuses, son histoire à tiroirs, ses chrétiens qui s’écharpent en toute convivialité, son regretté mandat français et sa francophonie si libanaise.C’est l’histoire d’une jeune femme dont la mère vient de Aïntoura, l’un de ces villages haut perchés du Metn, adossés au mont Sannine, que rien ou presque ne peut perturber; tout blancs en hiver et quelquefois plongés dans la brume en été. Une brume qui effraie les citadines comme elle, les paralyse et les pousse à préférer prendre un taxi, quand il s’agit de rendre visite à des proches qui passent l’été au village. 

C’était le cas hier. Au retour, on dépose la jeune femme à Mrouj, où elle hèle un taxi. C’est une Mercedes déglinguée qui se présente. Au volant, Tanios, cheveux blancs, dentition inégale, tout ridé, l’accueille. Comme sa mère, il est originaire de Aïntoura, le village le plus haut du caza, et a un peu plus de 80 ans. 

Tanios, avec son lourd accent montagnard, engage la conversation. « Vous avez eu peur de la brume et vous avez garé à mi-chemin ? Vraiment ? Pourquoi, serait-on en janvier? N’ayez pas peur ! Faites le signe de la croix, prenez le volant et saint Élie vous mènera à destination », harangue-t-il. 

Tanios et la dame engagent la conversation. Au niveau de Dhour el-Choueir, il se livre : « Il n’y a pas de pays comme la France ! » Et de poursuivre : « À votre avis, qui est le plus grand des Français ? » Dans ce Liban où de nombreuses personnes ont un faible pour les militaires et regrettent un peu beaucoup le mandat français, elle devine la réponse mais laisse Tanios la dire, avec un point d’exclamation : « Charles de Gaulle. Y a pas d’hommes comme lui ! » 

La voiture avance. Et voilà que, à sa grande surprise, Tanios lui parle d’auteurs français, d’écrivains que lui et elle, malgré la différence d’âge, ont appris à connaître à l’école : Molière, Racine, Rousseau, Hugo et ses Misérables, Cosette et Jean Valjean, Baudelaire et ses Fleurs du Mal… 

La voiture est au niveau de Bickfaya déjà, quand il commence à jouer aux devinettes. « Quel était le prénom de Balzac ? » demande-t-il. Elle répond : « Honoré. » Le jeu se poursuit et elle gagne à tous les coups. 

Mais la colle arrive. « Proudhon? »... Oui, Proudhon, entre Bickfaya et Aïn Aalaq... 

« Comment, vous ne connaissez-pas Pierre-Joseph Proudhon, le socialiste du XIXe siècle ? » fait-il fièrement. « Ah oui, répond-elle, c’est un contemporain de Karl Marx. Je m’en souviens maintenant. J’ai vu, il y a quelques mois, un film qui s’appelle Le jeune Karl Marx . » Mais Tanios ne va pas au cinéma et ne regarde pas de films européens. Il aime la France, ses auteurs et Charles de Gaulle, c’est tout. 

Elle lui confie qu’elle travaille à L’Orient-Le Jour. Le chauffeur est tout content et reprend son jeu favori. « Qui est le fondateur de L’Orient ? » demande-t-il. « Georges Naccache! » Il continue sur sa lancée : « Où se trouvait le siège de L’Orient? » « Dans le centre-ville », répond-elle avec assurance. Plus précis, Tanios a gagné de nouveau : « Rue Trablos », précise-t-il. 

Aïn Aalaq, la promenade est finie. La voiture de la dame est garée sur le bord de la route. « Ah ! Vous conduisez une Citroën. M. Citroën n’a fabriqué que de bonnes voitures. Vous voyez l’importance de la France », lance-t-il joyeusement avant de démarrer. 

Derrière le volant, elle met le cap sur le littoral et affiche un grand sourire.Une journée particulière...

Il est de ces choses qui n’arrivent peut-être qu’au Liban, et parfois dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Des choses drôles qui font penser à cette culture levantine particulière, celle d’un pays aux cèdres millénaires, avec ses montagnes majestueuses, son histoire à tiroirs, ses chrétiens qui s’écharpent en toute convivialité, son regretté mandat français et...

commentaires (6)

A mon cher ami Tanios (II) Marcel Ghanem, sur MTV LebanonNews a créé une rubrique "Debates". Je n'ai pas un dictionnaire anglais-français pour vous traduite ce mot.

Un Libanais

17 h 19, le 24 août 2018

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Commentaires (6)

  • A mon cher ami Tanios (II) Marcel Ghanem, sur MTV LebanonNews a créé une rubrique "Debates". Je n'ai pas un dictionnaire anglais-français pour vous traduite ce mot.

    Un Libanais

    17 h 19, le 24 août 2018

  • Un article digne des fables de Lafontaine! L'âge de Tanios le place bien dans cette période du grand de Gaulle et malheureusement pour nous hors de cette période! Merci pour cet essai et au plaisir d'en lire d'autres!

    Wlek Sanferlou

    16 h 24, le 24 août 2018

  • A mon cher ami Tanios, Le plus illustre des Français, le grand ami du Liban le général de Gaulle avait dit : "Tant que je suis aux affaires, je ne permettrai à quiconque de nuire au Liban". Pour le récompenser à titre posthume, on a assassiné Louis Delamare, l'ambassadeur de France au Liban, tué dans sa voiture devant la Résidence des Pins, le 4 septembre 1981. On a créé un attentat par un camion piégé contre le poste DRAKKAR à Ramlet-el-Baïda qui avait tué 58 parachutistes français le 23 octobre 1983. Le comble de l'ingratitude, dans quelques petites années, on ne parle plus en français au Liban, pays fondateur de la francophonie dans le monde.

    Un Libanais

    15 h 34, le 24 août 2018

  • tres joli malheureusement dans 10 ans ou 20 ans tout au plus le Libanais ne connaitra plus probablement le francais dommage

    LA VERITE

    15 h 05, le 24 août 2018

  • ""Tanios, avec son lourd accent montagnard, engage la conversation."" Mieux vaut lire entre les lignes et ne pas tout prendre au pied de la lettre. Il n’y a qu’au Liban qu’on trouve des chauffeurs de taxis amateurs de ""Questions pour un champion"". Parmi les ventriloques, surtout quand on aborde les sujets politiques, il aura une place d’honneur ! Vous oubliez au passage que les habitants de Aaintoura s’appellent les Aanatra, non seulement en hommage à Aantar, ce personnage de légende… Nous sommes au Metn, terre libanaise par excellence… Il est pardonné d’étaler sa grande culture devant des inconnus pour son admiration pour le grand Charles, qui n’était pas n’importe qui… N'a-t-il pas fredonné : ""Halla halla y trab Aaintoura"".

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    10 h 18, le 24 août 2018

  • Photo bien maitrisee. Article tres sympa . On pourrait dire un bonjour à Tanios? PA.

    paznavour

    09 h 51, le 24 août 2018

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