En juillet dernier, l’Unrwa, qui emploie 20 000 personnes au Proche-Orient, annonçait le licenciement de 250 employés à Gaza et en Cisjordanie occupée. Et ce après la forte réduction de l’aide américaine qui a chuté de 360 millions de dollars en 2017 à seulement 60 millions pour l’année 2018. Résultat, le 8 août, des employés de l’agence onusienne occupaient partiellement le QG de l’organisation à Gaza, un mouvement qualifié de « mutinerie » par la direction locale de l’Unrwa. Ces développements surviennent après les révélations du magazine américain Foreign Policy, le 4 août, sur le contenu d’un courriel envoyé le 11 janvier dernier par Jared Kushner, conseiller et gendre du président américain Donald Trump, au représentant spécial du président américain pour les relations internationales, Jason Greenblatt, et à d’autres diplomates américains actifs sur les dossiers du Proche-Orient : « Il est important de poursuivre un effort sincère et honnête pour interrompre les activités de l’Unrwa », disait-il, poursuivant que « cette agence perpétue le statu quo, (qu’)elle est corrompue, inefficace et n’aide pas à la paix ».
Malgré ces attaques, le commissaire général de l’Unrwa, Pierre Krähenbühl, annonçait hier que les 711 écoles de l’Unrwa au Liban, en Jordanie, en Syrie, à Gaza et en Cisjordanie incluant Jérusalem-Est ouvriront leurs portes « à temps », à la prochaine rentrée scolaire. Les fonds d’urgence collectés ne permettent d’assurer les services d’assistance aux réfugiés palestiniens « que jusqu’à fin septembre », a-t-il néanmoins averti lors d’une réunion extraordinaire de la commission consultative de l’Unrwa, à Amman. Dans ce contexte, il a annoncé des « mesures robustes pour sauvegarder la situation financière de l’agence », basées « sur des réformes et sur l’identification des efficacités », avant d’insister sur « l’important mandat de l’Unrwa de préserver la dignité des réfugiés palestiniens ». L’Orient-Le Jour a contacté le bureau régional de l’Unrwa au Liban, dirigé par Ibrahim el-Khatib, afin de connaître les répercussions de cette crise sur l’aide apportée aux réfugiés palestiniens du Liban. Hoda Samra, porte-parole de l’agence onusienne au Liban, fait le point sur la question.
Quel est le budget annuel du bureau régional de l’Unrwa basé au Liban avant et après la décision américaine ? Quel est le budget de l’agence pour le Liban ? Qui sont les principaux donateurs actuels ?
Le budget global de l’Unrwa pour l’année 2018 s’élève à 1,397 milliard de dollars. Il est centralisé et redistribué de manière hiérarchisée aux domaines d’intervention, en fonction des besoins de santé, d’éducation, de secours, de services sociaux. Le budget pour le Liban est donc une partie du budget central et n’est pas estimé séparément.
Avant la conférence ministérielle extraordinaire tenue à Rome le 15 mars 2018 (de soutien à l’Unrwa, NDLR), le déficit cumulé total était de 446 millions de dollars. Nos efforts globaux et notre campagne « Dignity is Priceless » (La dignité n’a pas de prix) ont permis à l’Unrwa d’obtenir un soutien supplémentaire considérable. De mars à juin 2018, l’Unrwa a réuni 238 millions de dollars de nouveaux fonds et avec la clôture de la conférence des donateurs de New York le 25 juin, le déficit de 446 millions de dollars a été ramené à 217 millions de dollars. Une réalisation monumentale, mais nous sommes toujours en crise. Nous poursuivons nos efforts pour combler le déficit financier et assurer le financement nécessaire pour nos opérations en 2019. Et ce compte tenu que les principaux donateurs de l’Unrwa pour l’année 2018 sont l’Union européenne (100 millions USD), l’Arabie saoudite (100 millions USD), la Suède (65 millions USD), les États-Unis (60 millions USD), les Émirats arabes unis (50 millions USD) et le Qatar (50 millions USD).
Quel est l’impact de la décision américaine sur le bureau, les activités et le personnel local et régional de l’Unrwa au Liban ?
En dépit de cette crise financière sans précédent, l’Unrwa n’a pas réduit ses services aux réfugiés palestiniens au Liban. L’agence lutte pour éviter d’avoir à le faire. Elle intensifie ses efforts pour mobiliser des donateurs.
L’Unrwa a donc pris des mesures d’austérité. Au Liban, si l’effectif global du personnel a été maintenu, en dépit de la fermeture d’une centaine de postes liés à des projets, les augmentations de salaire du personnel de l’Unrwa ont été reportées. À l’échelle régionale, les employés retraités n’ont pas bénéficié d’extension de leur mandat. Les postes vacants n’ont pas été pourvus. Et les déplacements sont désormais limités.
Combien de réfugiés palestiniens dépendent de l’Unrwa aujourd’hui, au Liban et dans la région ? Cette aide est-elle menacée ? Quel est l’impact de la crise sur les réfugiés ?
Au Liban, c’est l’enseignement qui est aujourd’hui en danger, plus particulièrement les services d’enseignement primaire, préparatoire et secondaire offerts à environ 37 000 enfants réfugiés palestiniens inscrits dans 66 écoles, dont environ 5 500 enfants palestiniens réfugiés de Syrie (PRS). Est également menacé l’enseignement professionnel et technique d’un millier d’étudiants. Les étudiants PRS sont bien logés et intégrés dans les écoles de l’agence au Liban. Ils sont engagés avec les réfugiés de Palestine dans des activités scolaires et parascolaires, récréatives, sportives et psychosociales. Ils pourraient faire les frais du déficit financier de l’Unrwa. L’assistance médicale fournie à près de 160 000 patients par an est aussi menacée, ainsi que les soins de santé secondaires et tertiaires financés par l’organisation dans les hôpitaux conventionnés, de même que le soutien financier à plus de 61 000 réfugiés vivant sous le seuil de pauvreté.
À plus large échelle, le manque de financement met en péril tous les services fournis par l’Unrwa et pourrait avoir un impact considérable sur la vie quotidienne de millions de réfugiés palestiniens vulnérables en Jordanie, en Syrie, au Liban, à Gaza et en Cisjordanie, incluant Jérusalem-Est. À commencer par l’accès à l’éducation de base pour 526 000 garçons et filles dans 711 écoles de l’organisation. Sont également menacés l’aide alimentaire d’urgence et financière à 1,7 million de réfugiés palestiniens extrêmement vulnérables, ainsi que l’accès aux soins de santé primaires et prénataux pour 3 millions de réfugiés. Sans oublier que cette crise représente une atteinte à la dignité et la sécurité humaine de 5,3 millions de réfugiés qui ont enduré 70 ans d’injustice et d’incertitude.
L’Unrwa a-t-elle un plan B, si les États-Unis maintiennent leur décision?
Le commissaire général, Pierre Krähenbühl, a clairement annoncé que l’organisation travaillera sans relâche pour veiller à ce que les services ne soient pas interrompus. Mais la tâche est énorme parce que le déficit de financement est énorme. Nous avons lancé une campagne mondiale #Dignity_Is_Priceless pour atteindre d’autres donateurs non traditionnels, des organisations caritatives islamiques, des fondations et des particuliers.
L’Unrwa est-elle en danger aujourd’hui ?
Le mandat de L’Unrwa est fixé par l’Assemblée générale des Nations unies, dont les membres appuient largement la mission humanitaire et de développement de l’agence. Ils rendent aussi hommage à notre contribution indispensable à la paix et à la sécurité, avec certaines des communautés les plus marginalisées du Moyen-Orient. L’Unrwa continue de bénéficier d’un large soutien parmi ses membres. Ni elle ni aucun État membre de l’ONU ne peut modifier unilatéralement son mandat. Cela ne peut être fait que par l’Assemblée générale en tant qu’organisme. En attendant, nous continuerons à mettre en œuvre le mandat avec les ressources disponibles.
Liban - Réfugiés palestiniens
Réfugiés palestiniens : Au Liban, c’est l’enseignement qui est aujourd’hui en danger, avertit l’Unrwa
Hoda Samra, porte-parole de l’agence onusienne au Liban, fait le point sur l’impact, pour les réfugiés dans le pays, de la réduction drastique du financement américain.
OLJ / Par Propos recueillis par Anne-Marie EL-HAGE, le 17 août 2018 à 00h00