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Culture - Exposition

Sursock, au carrefour de musées en exil

L’exposition « Past Disquiet » revient sur l’histoire de musées en exil, au croisement de luttes qui ont animé les années 1970.

Vue générale de l’exposition « Past Disquiet » au musée Sursock.

« Nous sommes très profanes avec l’archive », prévient Rasha Salti. L’archive pourtant est au centre de l’exposition « Past Disquiet », qu’elle monte pour la troisième fois avec Kristine Khoury, et que le musée Sursock accueille cette année, à la suite du Musée d’art contemporain de Barcelone (2015) et de la Maison des cultures du monde de Berlin (2016). C’est que les archives ici sont considérées moins comme des reliques que comme les pièces d’un puzzle en constante expansion : l’exposition est conçue comme une enquête, sorte d’exposition-documentaire, qui revient sur les traces de l’Exposition internationale d’art pour la Palestine, organisée par l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) et inaugurée le 21 mars 1978 par Yasser Arafat dans les sous-sols de l’Université arabe de Beyrouth. Quarante ans plus tard, c’est une reconstitution non pas de l’exposition même, mais de l’acte de collection qu’elle engageait, que l’on retrouve à Sursock.
Investiguant le catalogue sur lequel figuraient quelques deux cents œuvres et artistes issus de trente pays différents, Salti et Khoury ont patiemment remonté les fils qui avaient pu les lier les uns aux autres. Parmi eux, des noms connus, comme Joan Miró, Antoni Tàpies, Gérard Fromanger, Bernard Rancillac, André Masson ou encore Ernest Pignon Ernest, et de parfaits inconnus. Après neuf ans de travail, c’est un réseau de collectifs artistiques et de « musées en exil » qu’elles ont pu établir, au croisement de « passés troubles » et de luttes ayant animé les années 1970 à travers le monde.

La Palestine en souvenirs
 « La Palestine est un réservoir de souvenirs », entend-on dans l’une des vidéos présentées ; et, de fait, elle apparaît ici comme matrice pour des mémoires partagées – pour une « convergence des luttes », diraient d’aucuns : du Comité de solidarité des artistes avec la Palestine, on passe au Musée international de la résistance Salvador Allende, pour retrouver le Comité des artistes du monde contre l’apartheid ou encore Le Tiers-Monde et Nous... autant d’expositions et de collections itinérantes envisagées comme des actes politiques, qui ont réuni des artistes à travers des réseaux de solidarité internationaux. « L’art appartient au cœur de la vie sociale et publique, et un rôle principal est joué par les artistes. La plupart de ceux de l’exposition de 1978 sont encore en vie, mais hors du système du marché. C’est une histoire de l’art en dehors des récits financés par le marché que nous retraçons », explique Salti. C’est aussi une histoire de l’art de mouvements militants dont l’effervescence est peu à peu tombée dans l’oubli à mesure que les archives étaient déposées dans des cartons, éparpillés par les aléas de l’histoire.
« Quarante ans plus tard, on est dans un autre registre : comment écrit-on l’histoire des expositions dans l’histoire de l’art ? Comment peut-on, sans tomber dans les pièges classiques du postcolonialisme ou des divisions Nord/Sud, écrire une histoire transnationale où des Chiliens se reconnaissent dans un combat avec des Palestiniens, des Nicaraguayens, des Sud-Africains, des Japonais ?... Le point de départ était la Palestine, et puis on a voyagé », poursuit Rasha Salti.
En dépit d’archives institutionnelles, les curatrices ont donc mené l’enquête, cherchant et rassemblant les témoignages, écrits comme oraux, d’artistes et de militants impliqués dans ces différents projets de musées solidaires pour reconstituer cette histoire. « Le souvenir est très lié à l’affect, et il reste beaucoup de trous dans notre récit : c’est un récit spéculatif, et nous assumons sa responsabilité. C’est comme un passé glorieux, presque utopique, qui ressurgit dans un présent plein de déceptions, plein d’oubli », affirment-elles. En revendiquant l’incomplétude autant que l’inévitable partialité de ces mémoires, elles redonnent à l’archive une force vive, et la réinscrivent au sein d’une histoire connectée, dans laquelle la voix est (enfin) laissée à ceux-là mêmes qui produisent les archives, archontes des marges.
Exposition sur des expositions,
« Past Disquiet » échappe de cette façon aux travers du spéculaire et à un didactisme trop appuyé, pour laisser le visiteur déambuler à droite à gauche, dans un espace ouvert et non linéaire : l’exposition se refuse à donner un fil conducteur, pour nous offrir un réseau, toujours susceptible de s’étoffer.

Musée Sursock
« Past Disquiet », jusqu’au 24 septembre 2018, rue de l’archevêché grec-orthodoxe, Achrafieh, Beyrouth.


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