C’est la première grande crise du quinquennat du président français Emmanuel Macron. Face à l’intense pression médiatique exercée sur le pouvoir depuis le déclenchement de l’affaire Benalla, la présidence française a décidé hier d’entamer la « procédure de licenciement » du responsable de la sécurité du président. Cette affaire, révélée mercredi par le journal Le Monde, se transforme en véritable tempête politique pour le sommet de l’État.
Le 1er mai dernier, Alexandre Benalla était invité comme observateur dans le cadre du dispositif policier mis en place pour surveiller les cortèges de la fête du Travail. Mais il a rapidement perdu ses nerfs et a ainsi été filmé en train de frapper un manifestant à terre et de malmener une jeune fille, le tout vêtu d’un casque de police et entouré par des CRS. L’Élysée a dans un premier temps sanctionné M. Benalla d’une mise à pied de quinze jours sans salaire. Le porte-parole de la présidence française, Bruno Roger-Petit, a pris la parole jeudi au sujet de cette sanction et a déclaré qu’elle a été « la plus grave pour un chargé de mission à l’Élysée ». « Elle vient punir un comportement inacceptable », a-t-il insisté. À noter que c’est la première fois qu’un porte-parole de l’Élysée s’exprime publiquement sur ce genre d’affaires.
La mise en ligne de la vidéo sur le site du Monde a suscité l’indignation générale et a conduit au licenciement de M. Benalla, sur la base de « faits nouveaux » apparus la veille au soir. Une mise en garde à vue lui a également été imposée pour des faits de violences en réunion par personne chargée d’une mission de service public, d’usurpation de fonctions, de port illégal d’insignes réservés à l’autorité publique et de complicité de détournement d’images issues d’un système de vidéo-protection, selon une source judiciaire. Et en plus de l’enquête préliminaire menée par la justice, une autre, administrative, a été lancée jeudi par la police des polices et une dernière par l’Assemblée nationale. Cette affaire, qui évolue un peu plus chaque jour, ressemble à une grosse épine dans le pied d’Emmanuel Macron.
L’échec de la com
Le président français s’était pourtant fait le candidat de la rupture avec l’ancien système et avait, durant toute sa campagne présidentielle et depuis son accession au pouvoir, promis la mise en place d’une « République exemplaire », centrée sur la transparence de la vie politique et la confiance avec le peuple. Ces valeurs phares chères à M. Macron semblent, avec cette affaire, clairement écornées. « C’est un très mauvais coup politique pour Emmanuel Macron, notamment parce que ça vient contredire sa position sur sa volonté de faire de la politique autrement, d’être dans un monde nouveau, d’avoir de la transparence et de rompre avec les pratiques anciennes des partis politiques traditionnels », dit à L’Orient-Le Jour Luc Rouban, politologue et chercheur au CNRS et à Science Po. « Or, avec cette affaire, on a l’impression que ce discours et ces pratiques anciennes, effectuées dans une certaine obscurité, perdurent », ajoute-t-il. La vision d’une pratique d’un certain « copinage » ou d’avoir au sommet de l’État des personnes se croyant au-dessus des lois pourrait sérieusement porter atteinte à l’image du jeune président.
Ce dernier n’a pas pu profiter de l’effet post-Coupe du monde. En moins d’une semaine, on est passé de la photo, qui a fait le tour du monde, où on le voit en train de célébrer un but français lors de la finale de la Coupe du monde, à une autre photo le montrant en train de faire du vélo aux côtés de M. Benalla. Au-delà de l’image, c’est toute la stratégie de communication du président français qui s’est révélée être un échec.
Motion de censure
Même avec une communication ultramaîtrisée et très contrôlée dans tous les domaines, des affaires comme celles-ci peuvent passer entre les mailles du filet et éclater. Par ailleurs, les conditions du licenciement d’Alexandre Benalla laissent penser que les autorités l’ont licencié sous la contrainte et que, sans l’intense pression dont le pouvoir a été victime, le responsable sécuritaire n’aurait pas été remercié ou, au maximum, on se serait contenté d’une nouvelle suspension. « Il y a un manque de prise de conscience qu’aujourd’hui, les élus et leur entourage doivent être exemplaires », insiste Luc Rouban. « Il y a eu une défaillance au sommet de l’État car c’est la presse qui a révélé ce fait grave », complète pour L’OLJ Stéphane Rozès, président de la société de conseil Cap. Refusant de se soumettre à l’ « agenda médiatique », Emmanuel Macron n’a pas réagi à l’affaire. Le gouvernement, en particulier le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, est aujourd’hui en première ligne. Ce dernier a été accusé hier de « mensonges » par certains députés qui le soupçonnent d’avoir su ce qui s’était passé dès le lendemain des événements du 1er mai sans ne jamais l’avoir dit. « Est-ce qu’il a encore la capacité à être ministre de l’Intérieur ? » s’est demandé Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste. Certains ont également demandé que M. Collomb, voire le Premier ministre, Édouard Philippe, viennent s’expliquer devant la représentation nationale. Jean-Luc Mélenchon, leader de la France insoumise, a demandé le dépôt d’une motion de censure, et Benoît Hamon, lui, la démission de Gérard Collomb. Ce dernier a d’ailleurs été convoqué mardi prochain par la commission des Lois du Sénat afin de s’expliquer « sur les conditions de la participation de M. Alexandre Benalla aux événements du 1er mai », selon un communiqué.
La situation est donc plus que délicate pour le pouvoir qui dispose de peu de portes de solution pour se sortir de ce marasme. « C’est toujours compliqué de rattraper les choses, surtout dans ce genre d’affaires. Car, comme la communication est mauvaise, on a l’impression que plus vous allez vous justifier d’une manière ou d’une autre, plus vous allez vous enfoncer et vous empêtrer dans des explications vaseuses qui peuvent à leur tour être interprétées comme des éléments supplémentaires de doutes et de suspicion », conclut Luc Rouban.
Pour mémoire
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14 h 22, le 21 juillet 2018