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Le village préféré des Libanais - 2018 - Gastronomie

Les 10 commandements culinaires de Kamal Mouzawak (Souk el-Tayeb)

Kebbeh Nayeh

« Un jour, il y aura Mona de Majdel Zoun qui viendra cuisiner sa mousse de viande, le lendemain, Mohammad proposera sa moghrabiyé maftoulé... » On ne présente plus Kamal Mouzawak, le fondateur de Souk el-Tayeb en 2004, désormais cas d’étude à l’étranger, et de Tawlet, créé en 2009. Ce « food activist » autoproclamé et fier de l’être est un chantre de la bonne bouffe, notre Jean-Pierre Coffe à nous, et un promoteur de génie des racines libanaises et de la simplicité somptueuse de notre pays – une sorte de gardien du temple de nos papilles. À l’occasion du lancement de la troisième édition du Village préféré des Libanais (une initiative L’Orient-Le Jour, en partenariat avec la Fransabank et en collaboration avec Souk el-Tayeb, livelovebeirut et Waterfront City Dbayé), il livre ses recommandations culinaires pour chacun des dix villages de cette cuvée 2018.


Découvrez, ici, les dix villages en compétition pour l'édition 2018 de notre concours : Le village préféré des Libanais



Le kéchek de Aïn Dara
Aïn Dara : c’est le nom qu’on connaît de tous les cours d’histoire, comme un village de contes. Mais il existe en vrai, surplombant les montagnes du Chouf, à la limite du Mont-Liban et de la Békaa. Cette position géographique fait du kéchek (un mets montagnard et békaaiote à la fois) le plat phare de Aïn Dara. Séché au soleil de la montagne, ce mélange de bourghol et de laban fermenté est ce qu’il y a de mieux pour les jours froids d’hiver. Surtout en y ajoutant du gras : la awarma !
Sinon, les montagnes vertes des alentours sont parfaites pour cueillir des herbes sauvages, surout le aakoub, le chardon, cueilli à peine sorti de terre, bien nettoyé et cuisiné en ragoût avec de la viande. Mais aussi la mecheh, une herbe aux feuilles fines, longues et d’un vert foncé, qui se cuisine surtout dans sa version végétarienne, avec des pois chiches – une combinaison idéale, saine et équilibrée entre l’herbe sauvage et les protéines du hommos.

La mouné de Baakline
Raconter Baakline, c’est raconter toute la montagne du Liban, là où la cuisine devient affaire de survie face au climat rude de l’hiver, et aux terres montagneuses rocheuses.
La mouné – les conserves alimentaires – est au cœur de cette cuisine, avec ses produits typiques : la labneh serdeleh (lait de chèvre cru qu’on laisse fermenter dans des jarres en terre cuite pendant plus d’un mois pour récupérer un caillé compact) ; le thym-aiguille sauvage à conserver dans l’huile d’olive et à déguster dans des aarous (sandwiches) de fromage, ainsi que les fruits abondants, pêches, cerises et abricots à conserver en compote…
La cuisine, à base de mouné, est rustique : la emayché, parfaite pour les hivers froids, est composée de bourghol awarma (viande confite), kéchek et oignons grillés. Les fatayer (chaussons) sont farcis de hommos (pois chiches) et de awarma, ou pommes de terre et awarma. Des produits savoureux et précieux, destinés à une cuisine maison simple et sans chichis.

Les pignons de Bkassine
Remercier Bkassine de nous permettre encore de rêver avec cette image d’un Liban vert et de forêts à perte de vue : 220 hectares de pins – la plus grande pinède de la région, avec plus de 80 000 arbres. Des pins pignons que l’on regarde, que l’on renifle et, surtout, que l’on mange : les pignons de pin (nos fameux snoubar) sont la perle des kloubett, ces grains qu’on rajoute aux plats du dimanche, ou qui servent de farce pour la pâtisserie arabe ; la bourma, ou la balourieh, à base de pignons de pins. Habach, le célèbre pâtissier « faiseur de maamouls » de Saïda vante son maamoul fait aux bons snoubar de Bkassine !
Johnny Harb, producteur de pignons de pin, précise que le pin a été ramené à l’origine par Fakhreddine, de ses différents voyages et de son exil en Toscane. La cueillette des cônes se fait de novembre jusqu’en avril et les cônes cueillis se gardent à l’air libre jusqu’a la mi-mai. Ensuite, les graines en bois noir épais passent à la machine, d’où ressortent des pignons blanc perle ! « Le meilleur plat de Bkassine, ce n’est pas le rez aa djej (riz au poulet). Nous, on l’appelle rez aa snoubar ! » explique Johnny Harb.

La sauce d’œuf de Broummana
Il faut chercher bien loin pour raconter une histoire de tradition culinaire à Broummana : la ville est devenue plutôt synonyme de restaurants, de cafés-trottoirs et de beaux plaisirs d’été !
Toutefois, Broummana reste bien un fief de la montagne, proche, accessible, verte et accueillante. La mouné est naturellement au menu, avec son kéchek, bien sûr, mais aussi, et surtout, les pignons des pinèdes, qui annoncent les pins sans fin du Metn.
Il fallait bien chercher – et trouver! Les anciens Broummaniotes se souviennent encore d’un plat d’antan ; la « maree’t bayd », à traduire littéralement en sauce d’œuf ! L’explication est simple : on préparait une sauce à base d’ail (une tête entière !), revenu dans de la awarma (la constante de la montagne), à laquelle on ajoute du cumin et une tasse à café d’eau. On laisse réduire et on ajoute les œufs ensuite. Et puis on sert avec du pain grillé.
N’allez pas tout de suite dans les cafés-trottoirs de Broummana pour demander un maree’t bayd : les serveurs vous prendront pour un farfelu ! Faites plutôt hamburger ou crêpes, ou allez manger une bonne viande dans un restaurant…

La samké harra d’Enfé
« Tout de la mer », répondrait un habitant de Enfé lorsqu’on lui demande de citer des spécialités culinaires de son village… Effectivement, l’histoire d’amour d’Enfé et de la Méditerranée, entre géographie (tout dans l’eau) et histoire (un port depuis les temps les plus lointains et des salines historiques), est évidente…
La cuisine d’Enfé est bien une gastronomie maritime, à base de poissons, de fruits de mer, et même de salicorne, cette herbe grasse qui pousse sur la côte, au goût mi-thym mi-iode, qui se conserve en saumure et qui est au cœur des mezzés d’Enfé. Fruits de mer à toutes les sauces et poissons à toutes les cuissons, surtout la plus simple, à la façon des pêcheurs, qui grillent un poisson sur une tôle chauffée au feu de bois.
Les deux grandes spécialités d’Enfé restent la siyyadiyé et la samké harra. La première est relevée de poissons frits, d’oignons frits dans l’huile de friture du poisson (pour en prendre le goût !) et d’une pointe de cumin, de cannelle et de sept épices. Quant à la samké harra d’Enfé, elle se sert froide, avec une sauce à base de tehiné, cuite avec du citron, de l’ail et de la coriandre, et qui enrobe le poisson.

La kebbét batata de Jeb Jannine
Au Liban, la kebbé prend souvent des positions claires et très définies : kebbé du Nord ou du Sud, kbeb ou saniyé, kebbé de viande ou végétarienne, etc. Sauf dans la Békaa-Ouest, où elle devient synonyme de réconciliation nationale, avec cette kebbé de pommes de terre qu’on dirait végétarienne, mais qui reste tout ce qu’il y a de plus viandeux avec sa awarma (viande confite).
La kebbét batata de Jeb Jannine n’est donc pas celle qu’on connaît sous sa forme nayé ou bel saniyé, mais bien cette jolie kebbé en forme de cloche, avec une fine coque de pommes de terre et de bourghol, bien dorée, car frite, et farcie de labnet meezeh (labné de chèvre) bien séchée, mélangée à de la awarma. La kebbé frite et bien craquante contraste avec la farce fraîche et moelleuse. Et dans certaines régions de la Békaa-Ouest, on servirait la kebbét batata avec une sauce à base de sumac et d’ail.
Cette kebbét batata est presque un symbole national de la Békaa, qui célèbre les ingrédients phares de la région : pommes de terre, labné et produits laitiers de Chtaura et de toute la Békaa, et awarma de mouton, l’animal phare de ces plaines fertiles.

La fraké de Jouaya
L’éternel dilemme entre Sud et Nord s’illustre le mieux en kebbé nayé (notre tartare libanais) entre un Nord d’une nature rocheuse et dure et un Sud de collines douces et fragrantes, comme un masculin et un féminin, une kebbé du Nord puriste, à base de viande de chèvre et de peu de bourghol, et une kebbé du Sud à la kammouné, qui porte toutes les saveurs et les odeurs du jardin. Un bon Nordiste appelait la kebbé du Sud « Chanel n° 5 » : c’est la fameuse fraké !
À Jouaya, le plus important c’est la kammouné, le goût du Sud ! Là, il y a le kammoun (le cumin) et la kammouné (le mélange de cumin et de tehwiché, c’est-à-dire, littéralement, la cueillette, tout ce qu’on peut cueillir comme herbes aromatiques dans le jardin, qui seront pilées avec du cumin et du bourghol, pour obtenir la kammouné. Et pour une bonne kammouné, il faut un jardin, et des parts égales de marjolaine, de basilic, de oter (géranium odorant), de menthe, de menthe sauvage, de pétales de rose, de romarin, de piment vert et de cumin…
On raconte, pour rire (la cuisine du Sud étant toujours au cumin…), qu’un jour, un invité a rendu son verre d’eau à ses hôtes en leur expliquant qu’ils ont oublié d’y ajouter du cumin !

La hrissé de Kfour
Kfour est un des villages du Kesrouan qui préserve le mieux ses traditions à travers les vieilles pierres, une nature foisonnante et une vie d’antan. Demandez à un Kfouriote d’évoquer le plat typique de son village et vous aurez comme réponse : « Djéj mechwé (poulet grillé) le dimanche et tabboulé. » On oublie vite les plats d’hier ! Sauf que la hrissé est bel et bien là, préparée pour fêter le saint patron de Kfour, mar Geryes, le 3 novembre. Cette bouillie de blé et de viande (les produits simples et typiques de la montagne) est le plat idéal des grands rassemblements : fêtes du village ou grands mariages avec des centaines ou des milliers d’invités. La hrissé est aussi le plat typique de la Achoura, la commémoration, pour la communauté chiite, de la mort de l’imam Hussein, qui suit de 10 jours le Nouvel An islamique. Elle est préparée en version salée, mais aussi sucrée. C’est également le plat des grandes fêtes chrétiennes, surtout le 15 août, pour la fête de la Vierge, dans les villages de la montagne.
On se souvient aussi a Kfour de la kebbé b kéchek, de la kebbé mechwiyé et de la makhlouta. Si l’on veut reconnaître un montagnard, il faut lui demander s’il aime (ou du moins connaît) le kéchek ou la makhlouta. Un non-montagnard ne connaîtrait ni l’un ni l’autre, ou détesterait l’un et l’autre : il dira que la makhlouta est trop lourde, et que le kéchek pue la chèvre !

La friké de Marjeyoun
Le plus typique à Marjeyoun, c’est de dire « ya omré » entre chaque deux mots, et « labana » pour labné, et d’être accueillant et bienveillant – comme tous les Libanais, mais surtout les gens du Sud, en douceur… Quant aux plats typiques, ils sont nombreux : labana, donc, mais aussi kaak b halib, zlebiyé et friké…
Cette friké est la wonder-céréale du Sud : du blé vert, arrivé à maturité, mais toujours vert, jeté au feu pour le sécher et lui donner un goût fumé. C’est une délicatesse bien connue au Levant et qui commence à l’être un peu partout dans le monde.
La petite histoire de la friké raconte que sous l’Empire ottoman, les soldats turcs confisquaient souvent le blé et la farine. La solution était de récolter le blé avant maturité, donc vert, et, pour le conserver (sinon il pourrit), le jeter au feu – aussi simple que cela… Aujourd’hui, la friké est une céréale chic et un dîner sans friké n’est pas un grand dîner – qu’elle soit au poulet, à la viande, végétarienne, crémeuse façon risotto, ou sèche, revenue avec des oignons.
Toutefois, il ne faut rajouter aucune épice pour la friké : un peu de sel et un peu de poivre, parce qu’il ne faut pas cacher le délicat goût du fumé.

Le teffeh el-Charbiné de Qartaba
Ce qu’il y a de bon a Qartaba ? Si cela ne tenait qu’a moi, je dirai le « merry cream » de la séha, la place du village, du temps de la temchiyé, de la passagietta de tous les soirs, quand on estivait chez mes grands-parents maternels à Qartaba ! Mais si l’on doit parler de production agricole, ce sera certainement de pommes : toute la montagne est fière de ses pommes, et chacun pense en avoir les meilleures.
Les Qartabiotes en ont d’ailleurs planté tout le jurd, et parler de pommes ne concernera pas Qartaba, mais Charbineh, c’est-à-dire le jurd, les hauteurs de Qartaba, ou, comme dans chaque village, les terres agricoles et fruitières.
L’eau est au centre de ce monde (et au centre des conflits aussi…) et les sources sont abondantes et fraîches. La plus connue est sur la route principale, ou, en face, se trouvait la kahwé du jurd. Ce n’était même pas un restaurant, juste un café, où on arrivait, muni de l’essentiel du déjeuner, pour consommer des boissons et surtout mettre la pastèque à rafraîchir dans la source… Les pommes sont golden (jaunes) ou starken (rouge), des variétés américaines introduites au Liban dans les années 50, quand le Liban nourrissait le reste de monde arabe de fruits et de légumes, et quand les pommes de la montagne se vendaient à prix d’or.
Aujourd’hui, le jurd surplombe toujours la vallée d’Adonis et ses pommes se colorent sous un soleil d’or et un ciel des plus bleus, jusqu’à la cueillette en septembre.

« Un jour, il y aura Mona de Majdel Zoun qui viendra cuisiner sa mousse de viande, le lendemain, Mohammad proposera sa moghrabiyé maftoulé... » On ne présente plus Kamal Mouzawak, le fondateur de Souk el-Tayeb en 2004, désormais cas d’étude à l’étranger, et de Tawlet, créé en 2009. Ce « food activist » autoproclamé et fier de l’être est un chantre de la...

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