Photo d’illustration: P.H.B.
Depuis quelques années, le déficit public ne cesse de croître, passant de 2,3 milliards de dollars en 2011 à plus de 6 milliards anticipés pour cette année 2018, contre une estimation de 4,8 milliards dans le budget 2018 ; un écart dû principalement à une surestimation des recettes fiscales par le ministère des Finances. Sans mesures drastiques, 2019 ne dérogera pas à la règle et dévoilera les limites de notre fragile économie.
Plusieurs causes sont à avancer dont principalement l’extension de la nouvelle grille des salaires de la fonction publique à tous les employés d’établissements étatiques, dont Électricité du Liban (EDL). Citons aussi la hausse prévue des transferts à EDL en raison de la flambée des prix du pétrole, ainsi que le report de plusieurs centaines de millions de dollars de dépenses initialement prévues pour 2018 puis rééchelonnées, afin d’obtenir un budget national fidèle aux attentes de la communauté internationale à la CEDRE.
Cercle vicieux
Ces besoins additionnels de financement de l’État seront couverts par un nouvel endettement, gonflant ultérieurement une dette publique qui pèse déjà plus de 150 % du PIB (81,9 milliards de dollars à fin mars).
Une nouvelle fois, la Banque du Liban (BDL) et les banques commerciales assumeront ce déficit en souscrivant aux émissions de bons et obligations du Trésor. De fait, s’il subit la hausse des taux d’intérêt impulsée par la Fed américaine, le Liban en devient également acteur pour compenser un risque politique et économique qui s’accentue. Il conserve ainsi ses réserves en devises pour maintenir la stabilité du taux de change et finance la dette publique en attirant plus de dépôts dans nos banques. Le taux créditeur moyen en dollars américains des banques commerciales, qui avait atteint 2,75 % en juin 2010, frôle aujourd’hui les 4,25 %.
Cette hausse des taux d’intérêt est en train de porter un coup dur à l’économie réelle. En témoigne l’évolution des crédits octroyés au secteur privé, dont la croissance a continué de ralentir fortement à +2,2 % en glissement annuel en avril 2018 – contre une croissance annuelle moyenne supérieure à 18,5 % de 2008 à 2011, puis de 8,5 % entre 2012 et 2017 – et a même connu une contraction (-1 %) sur les quatre premiers mois de l’année. Une chute qui s’explique en grande partie par l’effet d’éviction généré, d’une part, par la priorité accordée par les banques aux besoins de financement de l’État ; et, d’autre part, par leur participation aux opérations d’ingénierie financière grassement rémunérées par la BDL. Par ailleurs, les coûts élevés des prêts bancaires dissuadent les entreprises à s’endetter, surtout dans le contexte économique actuel.
Les entreprises perdant l’accès au crédit ne peuvent plus financer leurs activités, et nous assistons de plus en plus à des licenciements et des faillites. En attendant les derniers chiffres qui risquent d’être alarmants, 388 industriels ont mis la clé sous la porte entre 2012 et 2015 selon l’Association des industriels libanais. D’autres secteurs sont concernés, notamment l’immobilier. Cette situation se traduira par une baisse des revenus fiscaux, qui entraînera une nouvelle hausse du déficit public puis de la dette.
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Restructurer la dette
Ce cercle vicieux n’est pas sans issue. Toute solution passera inévitablement par « … du labeur, des larmes et de la sueur » (en référence au célèbre discours du 13 mai 1940 de Churchill) et nécessitera avant tout une volonté politique. Tout doit commencer par l’application de réelles réformes et une réorganisation de l’administration publique. D’abord, il est temps de mettre un terme au gaspillage dans nos finances en réorganisant les établissements publics et en mettant fin à la plupart des « caisses » (Caisse des déplacés, Conseil du Sud, etc.), qui n’ont d’autres rôles que d’être des réservoirs d’emplois fictifs pour certains hommes politiques adeptes du clientélisme. Ensuite, l’adoption tant attendue de la loi sur le gouvernement électronique permettra de lutter plus efficacement contre les grands problèmes de l’administration publique, notamment la corruption, tout en offrant un service de qualité à moindre coût.
Enfin, il est également impératif de mettre un terme à la subvention des tarifs de l’électricité – qui a dépassé les 15 milliards de dollars depuis 2010 –, et nous devrons nous diriger vers une hausse des prix une fois le courant permanent assuré. Cette promesse manquée par tous les ministres qui se succèdent au ministère de l’Énergie ne peut plus se faire attendre ! Quid de la mafia des moteurs ? On laissera soin aux politiciens qui l’ont protégée pendant toutes ces années de trouver une solution…
(Lire aussi : Le Liban de plus en plus poussé à réformer son économie)
Par ailleurs, la restructuration de la dette publique, via la création d’un organisme ad hoc, est inévitable. Ce plan de restructuration serait négocié avec les banques libanaises et la BDL, qui se partagent près de 85 % de la dette publique, et devrait prendre en considération la privatisation de différents secteurs (dont les télécommunications). Il faudrait aussi penser soumettre les banques libanaises à une cotisation sur leurs bénéfices sur une période déterminée. Banques qui, malgré la crise économique, ont vu leur profit net annuel moyen augmenter de plus de 6 % depuis 2011, notamment grâce aux ingénieries financières et aux dépôts rémunérés généreusement par la BDL.
Au niveau des recettes, une révision de notre politique fiscale est primordiale. Elle aura pour objectif d’assurer une meilleure justice sociale et une efficacité économique, tout en restaurant nos finances publiques. Les réformes les plus importantes étant l’application de l’impôt unique sur le revenu, gelé depuis 2004, ainsi que la lutte contre l’évasion fiscale en créant un bureau qui aura pour mission d’améliorer la collecte des impôts.
Ces propositions, non exhaustives, illustrent le peu de marge de manœuvre qu’il nous reste pour sortir le Liban de la crise économique actuelle. L’élaboration du budget 2019 constituera à cet égard un vrai test de crédibilité pour le nouveau gouvernement.
Président du Conseil économique et social du parti Kataëb
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commentaires (4)
La dette est déjà en grande partie restructurée: la BdL ne fait rien d'autre quand elle "propose" aux banques des échanges de dépôts ou d'obligations de maturités proches vers des maturités de 10 ans et plus. Ce qui est plus intéressant c'est la réalité des bénéfices des banques qui dépendent entièrement de la probabilité de remboursement des obligations de l'état et de leurs dépôts à la BdL. Tous les marchés sont peu ou prou des systèmes de Ponzi (qui dépendent à divers degrés d'apports de liquidités pour fonctionner correctement) mais le système bancaire libanais ressemble de plus en plus à un schéma de Ponzi pur avec les banques agissant comme rabatteurs de liquidités au profit de la BdL, qui en retour leur fabrique des bénéfices mirifiques en livres libanaises (la monnaie qu'elle imprime). Tout cela peut s'écrouler demain ou jamais, mais avec les taux d'intérêts sur le dollar qui augmentent aux États Unis, le dollar se renforce et se raréfie partout et cela ne facilite pas la gestion des systèmes de Ponzi, y compris le nôtre. Ce qui paraît certain, c'est que, à moins d'émeutes issues d'une fin du consensus des voleurs, notre pseudo démocratie préfèrera à la faillite du système bancaire (en réalité un contrôle des changes "temporaire" destiné à préserver les apparences) les faillites de toutes les entreprises non financières et qui sont d'ailleurs déjà asséchées de liquidités. Mais cela ne veut pas dire qu'elle l'évitera éternellement.
M.E
20 h 33, le 01 juillet 2018