Le président Vladimir Poutine déclarait il y a quelques jours que les troupes russes resteraient en Syrie aussi longtemps que cette présence servirait les intérêts stratégiques de Moscou. De son côté, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah soulignait que ses miliciens ne se retireraient du terrain syrien que si Bachar el-Assad, et lui seul, le réclamait. Ces deux petites phrases reflètent cyniquement une petite partie des réalités – peu prometteuses – dans lesquelles se débat la Syrie.
Les propos du chef du Kremlin revêtent un caractère très peu diplomatique et ne prêtent à aucune équivoque. Ils confirment de manière on ne peut plus claire ce qui ne fait aucun doute dans le contexte présent, à savoir que Bachar el-Assad n’est pas maître de sa destinée ni de celle de la Syrie, tant au plan militaire que politique. Il a totalement perdu le contrôle de la situation et, pour l’heure, il n’a pratiquement pas son mot à dire dans les grands choix géostratégiques qui concernent son pays. De là où la Syrie était, lorsqu’elle occupait le Liban, l’un des principaux acteurs incontournables de la région, elle est devenue aujourd’hui une simple pièce d’un vaste puzzle moyen-oriental, morcelée en zones d’influence par les grandes puissances mondiales et régionales.
Grandeur et décadence… Tel est le sort de ceux qui cherchent à jouer dans la cour des grands et qui n’en ont pas les moyens, ou bien qui commettent des erreurs « historiques », soit parce qu’ils ont manqué de clairvoyance et de perspicacité, soit parce qu’ils ont fait preuve de cécité politique en se refusant à tirer les leçons de l’histoire.
Lorsque le chef du Hezbollah s’emploie à souligner haut et fort qu’il ne retirera ses forces de Syrie qu’à la seule demande de Bachar el-Assad, cela signifie, implicitement, deux choses : la véracité des informations selon lesquelles la Russie ferait pression pour un repli des diverses milices chiites pro-iraniennes étrangères à la Syrie, à commencer par le Hezbollah ; la décision d’un retrait (hypothétique) du parti de Dieu libanais de Syrie revient en définitive à l’Iran (wilayat el-fakih oblige), le « président » syrien n’étant pas en mesure de faire entendre sa voix sur ce plan face aux desiderata du guide suprême de la République islamique iranienne à qui s’en remet inconditionnellement le Hezbollah en matière de guerre et de paix.
C’est précisément au niveau de ce dernier point que se situe le grand défi auquel se trouve confronté aujourd’hui le Hezbollah. Les développements qui se précipitent en Syrie, et d’une manière générale dans la région, tendent à confirmer une règle évidente – une lapalissade, en quelque sorte – en géopolitique, en l’occurrence que les petits acteurs finissent par faire les frais des accords entre les grands. Les milices kurdes de Syrie l’ont appris, dans une certaine mesure, à leurs dépens. Pour le Hezbollah, le fait de lier intimement son sort au pouvoir des mollahs de Téhéran (plus précisément au guide suprême) est une arme à double tranchant. L’Iran est en effet gravement fragilisé par une crise économique et sociale aiguë, avec une monnaie en chute libre, un taux de chômage dangereusement élevé parmi les jeunes, et une contestation populaire à l’état à peine latent, entretenue essentiellement par des femmes militantes qui mènent une campagne assidue contre le port obligatoire du voile. Les sanctions économiques croissantes imposées par l’administration Trump ne peuvent que rendre encore plus fragile l’édifice iranien, et plus précisément celui des pasdaran, mentors du Hezbollah.
À l’ombre d’une telle conjoncture en pleine mutation, un risque, à ne pas négliger, émerge clairement à l’horizon : celui que le parti de Dieu subisse de manière frontale les contrecoups d’un affaiblissement drastique – si ce n’est d’une implosion – de l’Iran, ou encore qu’il fasse les frais d’un éventuel accord « au finish » entre la République islamique, les États-Unis, la Russie, Israël et l’Arabie saoudite notamment. Dans un tel contexte, une seule conclusion s’impose, fût-elle chimérique : si le Hezbollah désire assurer sa survie de manière pérenne en tant que parti politique représentatif de sa communauté, sa garantie, c’est au Liban même, vers l’intérieur libanais, qu’il doit la chercher, et non pas dans des alliances régionales dont le caractère éphémère est démontré régulièrement par les développements qui s’accélèrent dans la région.
Cela paraît, certes, utopique, voire naïf… Mais avec une position de recul, on ne peut s’empêcher de relever que les expériences maronite et sunnite de l’exercice du pouvoir, en différentes phases de l’histoire contemporaine du Liban, ont montré que la seule garantie réelle et durable pour toute composante nationale réside dans des rapports équilibrés et lucides, s’inscrivant dans la durée, avec ses partenaires locaux. Cela suppose pour le Hezbollah (autre utopie...) d’avoir l’audace et la perspicacité de couper le cordon ombilical idéologique – et uniquement idéologique – avec le parrain iranien, sans pour autant renoncer à sa spécificité propre, mais à condition que celle-ci soit centrée exclusivement sur l’échiquier libanais.
Nous sommes, à n’en point douter, très loin d’une telle vision d’avenir, basée sur un virage centripète. Mais pour maintenir le cap, ne faut-il pas, parfois, avoir des rêves fous ?
Grandeur et décadence
OLJ / Par Michel TOUMA, le 19 juin 2018 à 00h00
commentaires (8)
merci pour cet article ...tout est dit...c 'est une realite politique
Soeur Yvette
15 h 51, le 19 juin 2018