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Moyen Orient et Monde - Syrie

Sur la ligne de front, avec les FDS déterminées à en finir avec le califat

Soutenues par les États-Unis, les FDS avancent lentement mais sûrement vers le dernier bastion de l’EI dans la région de Deir ez-Zor, le long de l’Euphrate.

Un combattant des FDS sur la ligne de front à Hajin, en Syrie.

Retranchée dans son dernier bastion dans l’est de la Syrie, l’organisation État islamique (EI) joue ses dernières cartouches. Si la défaite du groupe jihadiste paraît inéluctable, la campagne « Al-Jazeera Storm » (alias Operation Roundup) menée par les États-Unis et leurs partenaires sur le terrain, les Forces démocratiques syriennes (FDS), n’est pas pour autant gagnée d’avance.

« À Hajin ! »
 « On entre dans le secteur le plus dangereux. Suivez-moi de près », ordonne Mahdi, notre escorte des FDS. Les check-points sont rares et espacés dans la région de Deir ez-Zor qui s’étend le long de l’Euphrate dans l’est de la Syrie, un territoire que les FDS et les forces de la coalition ont récemment repris à l’EI, et où elles sont à présent engagées dans une offensive contre la dernière place forte du califat autoproclamé.
À mesure que l’on s’enfonce dans les terres desséchées de la campagne de Deir ez-Zor, apparaissent à l’horizon des épaves de camions-citernes et des colonnes de fumée noire s’élevant au-dessus des puits de pétrole, sous un ciel sillonné par des hélicoptères de combat. « Accrochez-vous bien! Nous devons rejoindre la ligne de front avant le coucher du soleil. Traverser le désert la nuit est trop dangereux », avertit Mahdi. Tandis que la voiture roule à tombeau ouvert en direction de la ligne de front, louvoyant entre des monticules de sable gardés par des soldats en maillot de corps, le goût sec de la poussière se mêle à l’odeur âcre du moteur en surchauffe.
Mahdi affiche un grand sourire. La nuit précédente, le chef du bureau de presse des FDS à Hassaké, plus au nord, assurait que Hajin, le principal bastion résiduel du califat autoproclamé de l’EI, venait d’être libéré. Mahdi pousse à fond le volume de sa radio et claque des doigts au rythme du chant kurde qui grésille dans les haut-parleurs, en hurlant : « À Hajin! À Hajin ! » À cet instant, il ne fait aucun doute pour lui que la « tempête » de la campagne « Al-Jazeera Storm » va bientôt submerger le peu qui reste du califat autoproclamé de l’EI, et emporter son leader Abou Bakr al-Baghdadi, dont la rumeur dit qu’il se trouve à Hajin.

L’EI n’a pas dit son dernier mot
Sur le front, le son de cloche est différent. « Hajin n’est pas encore libéré », explique le commandant de la dernière position avant la ligne de front. Le drapeau jaune des FDS ne flotte pour l’instant que sur leurs avant-postes disséminés au nord de la ville.
Forcés par l’offensive turque sur Afrin, au nord-ouest, de redéployer leurs forces engagées à l’est dans la campagne « Al-Jazeera Storm », les FDS avaient temporairement relâché leur pression sur le dernier bastion de l’EI à Deir ez-Zor au début du printemps. Le groupe jihadiste avait ainsi pu se regrouper, fortifier ses positions et se ravitailler. La reprise des opérations par les FDS en mai en a été rendue d’autant plus difficile, comme en témoigne Ali, le commandant du poste avancé du village d’al-Bahra, qui suggère que les jihadistes conservent plus de ressources qu’il n’y paraît.
 « Il y a à peine quelques semaines, 500 combattants de Daech ont lancé un assaut surprise sur notre position. Ils cherchent désespérément à briser notre siège », dit-il, en ceignant son front de la fameuse écharpe imprimée de fleurs aux couleurs vives arborée par les combattants kurdes. « J’ai été blessé et j’ai perdu quatre de mes camarades. Quatre vingt-cinq combattants des FDS ont été grièvement blessés ce jour-là dans la bataille », continue-t-il, le regard dans le vide, tirant de profondes bouffées de sa cigarette.
Depuis, l’EI a aussi testé les positions des forces progouvernementales, reprenant pour quelques jours la semaine dernière la ville d’Abou Kamal sur la rive gauche de l’Euphrate, face à Baghuz.
 
« La guerre sera bientôt finie »
L’accalmie du printemps, qui avait permis à l’EI de monter cette offensive, n’aura cependant fait que retarder la défaite de l’organisation, qui apparaît désormais comme inévitable.
 « La guerre sera bientôt finie. Daech a peur de nous, ils ont déjà perdu confiance », assure Agid, 21 ans, engagé volontaire dans les YPG, les forces kurdes, depuis l’âge de 14 ans. « Daech s’est replié juste derrière ces maisons des faubourgs de Hajin. C’est le cœur de leur dernier retranchement en Syrie », explique-t-il, debout sur le toit du poste avancé. « Selon nos informations, 80 à 90 % d’entre eux se rendront lorsque nous entrerons dans la ville. Les autres, nous les tuerons, tout simplement », poursuit-il avec un air de défi.
Tandis que flottent dans l’air les relents des cadavres de jihadistes qui se décomposent deux étages plus bas, quelques coups de feu tirés au hasard vers les positions de l’EI dans Hajin interrompent le chant des oiseaux sur les toits. Un temps, retombe, sur la ligne de front, une certaine accalmie qui laissera néanmoins vite la place à la bataille furieuse et acharnée pour la prise de la ville.


(Lire aussi : L'alliance kurdo-arabe prête à des discussions sans condition avec le régime syrien)



Avancée sur Baghuz
En effet, les combattants des FDS qui veillent sur le front nord n’attendent plus désormais qu’une chose avant de donner l’assaut, que leurs camarades près de la frontière irakienne finissent d’encercler la ville par le sud. Au centre de commandement du front sud, où les troupes se rassemblent et prennent un peu de repos juste en arrière de la ligne de feu, Shirko, un des chefs des opérations, annonce fièrement : « Nous avons repris notre avancée il y a neuf jours, et nous avons déjà pénétré de plus de vingt kilomètres dans les lignes de Daech. Nous sommes maintenant à moins de deux kilomètres de Baghuz. »
Si la reprise du village de Baghuz est cruciale, c’est à cause de sa position géographique. En le reprenant à l’EI, les FDS s’assurent un accès à l’Euphrate en aval du bastion des jihadistes, et leur coupent du même coup l’accès à la frontière irakienne. « Nous atteindrons les abords du village et les rives de l’Euphrate en fin de journée », annonce Hachim Mohammad, 48 ans, le commandant en chef de la campagne « Al-Jazeera Storm », lors de sa visite des postes de la ligne de front. « Demain, nous mangerons du poisson du fleuve pour le déjeuner, ajoute-t-il avec un sourire. Ensuite, nous pousserons vers le nord jusqu’à Hajin. Ce sera la fin de Daech. »
 
La stratégie à géométrie variable de l’EI
Si l’EI n’a jusqu’à présent pas opposé une résistance farouche à l’avancée des FDS dans son territoire, c’est parce que la stratégie de l’organisation s’adapte à l’évolution du rapport de force, qui penche maintenant du côté des FDS. « Désormais, quand les combattants de l’EI sentent qu’ils perdent le contrôle d’un territoire, ils ne le défendent plus à tout prix comme auparavant, ils reculent pour se regrouper, constate, avec soulagement, le commandant d’un poste du front. Ça nous rend les choses plus faciles, au moins pour l’instant. »
Cependant, à mesure que l’étau se resserre autour du dernier retranchement de l’organisation jihadiste, la probabilité d’un nouveau changement de sa stratégie se fait plus forte. « Cette bataille marque la dernière heure de Daech. Ils vont mettre en jeu toutes les ressources qui leur restent », présage Hachim. « Nous estimons la présence de Daech dans cette zone entre 7 000 et 10 000 combattants. Ce sont les plus entraînés et les plus expérimentés, la bataille ne sera pas facile, prévient-il. Il nous faudra deux mois pour nettoyer la place et arriver aux portes de Hajin. » D’ici là, le commandant aura aussi mené ses troupes à l’assaut de la poche jihadiste qui subsiste dans le désert le long de la frontière irakienne un peu plus au nord, au sud-est de la ville d’al-Shaddadi. « Une simple formalité », assure-t-il.
En attendant, le premier souci des FDS est de se frayer un chemin vers Baghuz, au travers de l’océan de mines et d’engins explosifs improvisés (EEI) qui les séparent encore du village. « Dans la seule journée d’hier, nous en avons neutralisé 33 à l’approche du village », explique Shirko, en montrant un véhicule de déminage endommagé par l’explosion d’une mine. Sur le front, les soldats ne sont que trop conscients du danger qui les attend s’ils s’écartent du chemin balisé. « Le désert est plein de surprises », dit en riant jaune Mohammad, 24 ans, originaire de Deir ez-Zor, commandant du poste le plus avancé. « Un de nos camarades a perdu un pied sur une mine il y a trois jours, juste là, alors qu’il était parti pisser. Regardez bien où vous mettez les pieds ! » prévient-il.
Les combattants des FDS sont aussi sous la menace d’attaques-suicide, qui se font presque journalières. « Cette semaine, Daech a tenté plusieurs fois de briser nos lignes avec des voitures ou des motos-suicide », confie Abu Saha, scrutant l’horizon. « Mais grâce à la technologie de la coalition, ils échouent souvent », ajoute-t-il. Ces attaques peuvent cependant prendre de court les forces sur le terrain, et mettre à mal la coordination entre les membres de la coalition et leurs partenaires des FDS dans des moments critiques.

Les frappes aériennes de la coalition, double atout pour les FDS
Malgré les tensions occasionnelles qui peuvent survenir sur le front, chacune des deux parties sait bien que le succès de leur campagne contre l’EI repose entièrement sur leur coopération. C’est Agid, un soldat des FDS de 21 ans, sur le front nord à Hajin, qui résume le mieux la situation. « À l’exception des voitures-suicide, Daech utilise les mêmes armes que nous. La seule différence est le soutien aérien que la coalition nous apporte, explique-t-il. Quand les snipers tchétchènes de Daech tiraient sur nous depuis cette butte là-haut, on a demandé une frappe aérienne, et la coalition les a pulvérisés. »
Au-delà de l’avantage apporté aux FDS sur l’EI, les frappes de la coalition leur procurent aussi une sorte de garantie contre les menaces du gouvernement syrien, appuyé par les Russes. Dans une interview récente à la chaîne russe RT, le président syrien Bachar el-Assad n’a pas fait mystère de son intention de « libérer » les territoires sous contrôle des FDS, disant même crûment que « le seul problème qui reste en Syrie, c’est celui des FDS ».
 « Il y a deux jours, nous attaquions des positions de Daech lorsque les forces gouvernementales s’en sont prises à nous. Si le gouvernement persiste dans cette attitude, alors nous n’échapperons pas à d’autres affrontements », déplore Hachim. « Le gouvernement et la Russie ne veulent pas nous voir vaincre Daech si tôt », accuse-t-il, suspectant les deux gouvernements d’utiliser la lutte contre l’organisation jihadiste comme un prétexte politique pendant qu’Assad reconstitue son emprise autoritaire sur le pays.
« La seule raison pour laquelle nous ne sommes pas déjà en guerre ouverte avec le gouvernement, c’est la dissuasion exercée par les avions de la France et des États-Unis », commente Ali el-Hamud, membre des milices arabes incorporées aux FDS.
 
Apprivoiser les « lionceaux » du califat, une priorité pour l’avenir
Quel que soit celui qui contrôlera in fine cette bande de terre aride, il sera confronté à un défi de taille. Selon le Washington Post, al-Baghdadi a convoqué l’an dernier à Deir ez-Zor une réunion urgente à la suite de la chute de Mossoul, soucieux d’assurer la pérennité du noyau idéologique du califat et la poursuite de son influence, au cas où sa dernière enclave en Syrie tomberait. Il avait alors chargé un de ses lieutenants, Abu Zaid al-Iraqi, de concevoir la propagande et le « programme éducatif » susceptibles d’assurer l’endoctrinement de la prochaine génération, dont ils espéraient qu’elle pourrait mener une insurrection rampante.
Sur la ligne de front face à l’EI, Ali el-Hamud se projette déjà après la bataille, conscient du fait que battre militairement Daech sur le terrain n’est que la première étape avant de chasser l’organisation jihadiste de la région. « Lorsque nous aurons libéré ces territoires de l’EI, nous ouvrirons des écoles pour rééduquer les enfants qui auront vécu sous sa domination », dit-il, suggérant l’importance cruciale de garantir aux « lionceaux » de l’organisation jihadiste, les enfants combattants enrôlés dans ses rangs, une réelle opportunité de réhabilitation et d’intégration.


*Article réalisé en collaboration avec le média en ligne Unsighted, lancé le 1er décembre 2017 avec une stratégie inédite : faire collaborer, sur chaque article, un artiste et un journaliste. Le texte et les photos de Constantin Gouvy sont également à retrouver sur www.unsighted.coFacebook et  Instagram.


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commentaires (2)

Gaby Nasr a un sérieux concurrent avec l'auteur de cet article . Hahahaha....

FRIK-A-FRAK

10 h 49, le 15 juin 2018

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Commentaires (2)

  • Gaby Nasr a un sérieux concurrent avec l'auteur de cet article . Hahahaha....

    FRIK-A-FRAK

    10 h 49, le 15 juin 2018

  • LE ROLE DES FDS EST PLUS VASTE QUE LE CALIFAT... IL Y A APRES L'HEGEMONIE IRANIENNE A CHASSER DE SYRIE EN COOPERATION AVEC LES AMERICAINS... ET L'ACCORD DES RUSSES QUI LE DEMANDENT DEJA !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 26, le 15 juin 2018

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