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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Washington face au casse-tête de la livraison des F-35 à Ankara

La future livraison du système russe de défense antiaérienne à la Turquie met l’OTAN dans l’embarras.

Un modèle de F-35 acquis par l’armée israélienne durant une démonstration militaire sur la base de Hatzerim dans le sud d’Israël, décembre 2016. Amir Cohen/Reuters

Le premier avion de combat F-35 devait être remis officiellement à la Turquie le 21 juin prochain, mais les États-Unis temporisent. Un comité du Sénat américain a voté la semaine dernière un amendement au National Defense Authorization Act pour geler la livraison des chasseurs à la Turquie. Le F-35 n’est pas juste le dernier stade d’une gamme d’avions de combat. C’est un véritable saut générationnel dans la technologie aéronautique. L’avion est hors de portée de la plupart des systèmes de radar, tandis que ses propres capacités de repérage lui permettent de collecter un grand nombre d’informations sur le terrain. Le F-35 a un effet multiplicateur en termes de puissance et de capacité d’action sur une flotte aérienne dans son ensemble. Il peut communiquer les informations collectées à d’autres équipages « non discrets » mais transportant des charges explosives plus lourdes, et désormais capables de lancer des opérations osées grâce au repérage préalable du F-35. Cette habileté à « voir sans être vu » est particulièrement recherchée sur des terrains comme la Syrie, où un grand nombre d’acteurs combattent sur une surface relativement limitée. Le F-35 est financé et développé depuis plusieurs années par un consortium de pays de l’OTAN, dont la Turquie est un pays membre.

Mais beaucoup de choses ont changé au cours de ces dernières années. Recep Tayyip Erdogan a diversifié son outillage diplomatique en jouant la carte russe. Moscou et Ankara, qui coopèrent dans le cadre des réunions d’Astana, ont trouvé un modus vivendi en Syrie, où la Turquie esseulée a vu son allié américain appuyer les groupes armés kurdes, qu’Ankara considère comme la principale menace stratégique à sa sécurité. Vladimir Poutine a ainsi donné son feu vert à l’opération Rameau d’olivier, débouchant sur la prise de contrôle par les Turcs de l’enclave de Afrine aux mains des Unités de protection du peuple (YPG). La Turquie a renvoyé l’ascenseur en obligeant l’opposition syrienne à modérer ses positions vis-à-vis des Russes.


(Lire aussi : Accord USA-Turquie sur un retrait des Kurdes de Manbij, annonce l'agence Anadolu)



Une sorte de  « corps étranger »
Pour surclasser son arsenal militaire, Ankara joue également deux cartes à la fois, en prenant ce que l’OTAN et la Russie font chacun de mieux. Moscou a encouragé la Turquie à acquérir son système mobile de défense antiaérienne et antimissile S-400 à l’automne 2017. Lors de sa visite à Ankara en avril dernier, le président russe a annoncé que la livraison serait avancée d’un an, de 2020 à 2019. Le S-400 est le fleuron de l’industrie militaire russe, capable de tracer la course de 160 missiles simultanés et d’agripper 80 cibles à la fois. Cela signifie que toute attaque aérienne est détectée plus tôt que par tous les autres systèmes.

Mettre des S-400 russes dans les mains de l’armée turque ne revient pas seulement à augmenter son avantage militaire relatif. Qui dit vente d’armement dit maintenance. En installant et en entretenant les batteries, les ingénieurs russes vont aussi pénétrer l’environnement de défense de l’OTAN, car les S-400 sont une sorte de « corps étranger » dans un dispositif militaire turc de fabrication issue de l’OTAN. Les utiliser de façon combinée avec les F-35 peut exposer les secrets du chasseur aux fabricants russes et livrer des informations cruciales sur la façon de les intercepter. « Les Russes installent ainsi leur jardin dans le pré-carré des Américains », résume pour L’Orient-Le Jour Jean Marcou, conférencier spécialiste de la Turquie à Sciences Po Grenoble.La « pause » dans la coopération militaire turco-américaine sur le dossier des F-35 a une double fonction. Régler le casse-tête stratégique et militaire posé par l’usage combiné des F-35 et des S-400, et s’arranger un moyen de pression sur Ankara pour faire avancer un certain nombre de contentieux entre les deux pays. Sur le premier point, « il faut distinguer le transfert de technologie de la simple fourniture d’armement », explique Jean Marcou. « Ankara peut très bien utiliser le chasseur sans en connaître le secret de fabrication. Tout dépend du degré d’implication du personnel au sein du consortium de pays qui a conçu l’appareil. Ce n’est pas la même chose si vous participez à la fabrication de la vitre du cockpit qu’au système de radar ». En accordant un avantage militaire et peut-être technologique comme le F-35 à Ankara, Washington se demande s’il n’est pas en train de marquer contre son camp. Non que la Turquie ait basculé dans l’orbite russe, mais elle s’est émancipée de l’OTAN et n’est plus considérée comme un allié fiable. D’autant que la logique d’Ankara est de reprendre, à terme, le contrôle des technologies qu’elle acquiert à l’extérieur. « La Turquie a développé son industrie de défense sur le modèle israélien. Quand elle achète un armement, l’idée est d’en percer le secret pour pouvoir le produire elle-même ensuite », conclut M. Marcou.


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UN PAYS ET UN MINI SULTAN EN QUI L'ON NE PEUT AVOIR CONFIANCE !

LA LIBRE EXPRESSION

08 h 11, le 31 mai 2018

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Commentaires (2)

  • UN PAYS ET UN MINI SULTAN EN QUI L'ON NE PEUT AVOIR CONFIANCE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 11, le 31 mai 2018

  • Quand on prend un délinquant et criminel dans son poulailler il faut s'attendre au pire.

    Sarkis Serge Tateossian

    07 h 45, le 31 mai 2018

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