Cela ressemble à un énorme coup de bluff. Imaginer une rencontre entre Bachar el-Assad et Kim Jong-un – deux dirigeants parmi les plus honnis de la planète – a quelque chose de surréaliste dans le contexte actuel. Dix jours avant la rencontre historique entre le leader nord-coréen et le président américain Donald Trump, l’agence de presse nord-coréenne KCNA a pourtant rapporté hier que le chef de l’État syrien compterait se rendre à Pyongyang pour y rencontrer son homologue nord-coréen, sans toutefois préciser la date de cette possible entrevue. « Je vais visiter la RPDC (République populaire démocratique de Corée, nom officiel de la Corée du Nord) et rencontrer Son Excellence Kim Jong-un », a déclaré Bachar el-Assad le 30 mai, selon la KCNA. Le président syrien aurait tenu ces propos en recevant l’ambassadeur de Corée du Nord à Damas, Mun Jong-nam. « Le monde salue les événements remarquables survenus récemment sur la péninsule coréenne grâce à l’envergure politique et au sage leadership de Kim Jong-un », a poursuivi Bachar el-Assad. « Je suis sûr qu’il (Kim Jong-un) parviendra à la victoire finale et réalisera la réunification de la Corée », a-t-il ajouté selon KCNA.
Si l’information devait se confirmer, Bachar el-Assad serait le premier chef d’État dans le monde à effectuer une visite diplomatique en Corée du Nord sous le règne de Kim Jong-un. Cela ne serait pas totalement dénué de logique, compte tenu des bonnes relations qu’entretiennent Pyongyang et Damas depuis des décennies, tous les deux mis au ban de la communauté internationale. La Corée du Nord a été soupçonnée d’avoir aidé la Syrie à construire une installation nucléaire, détruite par Israël en 2007, et des soupçons de commerce d’armes chimiques entre les deux pays ont été évoqués par l’ONU et la Corée du Sud. Un rapport de l’organisation internationale réalisé en 2017 atteste que Pyongyang a contourné l’embargo sur les armes qui pèse sur la Syrie pour envoyer à Damas des composants d’armes chimiques et balistiques. « La Syrie est le deuxième cas de république, après la Corée du Nord, où il y a un système de succession de père en fils à la tête d’un pays ; un culte de la personnalité du président en place (…). Ce sont deux pays qui ont été fermés et sans connexion avec l’extérieur et qui entretiennent une grande coopération au niveau militaire », résume pour L’Orient-Le Jour Ziad Majed, politologue spécialiste de la Syrie.
(Lire aussi : Assad réclame le départ des Américains)
Double intérêt
Les médias syriens n’ont pas confirmé l’information rapportée par l’agence de presse nord-coréenne. Celle-ci apparaît peu crédible dans les circonstances actuelles, mais est sujette à interrogation concernant son timing. Quel est en effet l’intérêt de Pyongyang à vouloir rappeler son amitié avec un régime blacklisté à un moment où il cherche au contraire à prouver sa bonne foi au reste de la communauté internationale ?
Côté syrien, puisque selon l’agence nord-coréenne c’est Bachar el-Assad qui aurait annoncé vouloir faire le déplacement, il pourrait y avoir un double intérêt. Démontrer que le régime n’est pas si isolé qu’on le prétend, qu’il a encore des alliés, et qu’il a même un rôle à jouer dans le règlement d’une crise internationale que le monde entier observe avec attention. « Je doute qu’il (M. Assad) ait envie d’aller en Corée du Nord. C’est très loin de la Syrie, et quand on est un président comme lui, on évite au maximum de quitter son pays parce qu’on ne sait jamais ce qui peut se passer quand on n’est pas là », nuance à L’OLJ Fabrice Balanche, géographe français spécialiste de la Syrie. « Le seul pays où il est allé jusqu’à présent, c’est la Russie, et à chaque fois, c’était par transport russe et la nouvelle était rapportée lorsqu’il était rentré », affirme-t-il. « C’est la première fois qu’on annonce qu’une visite va avoir lieu. Avant, le régime se contentait d’annoncer une visite que lorsqu’elle avait eu lieu », confirme Ziad Majed.
Les deux pays comptent peut-être exploiter leurs relations respectives pour négocier avec les États-Unis. « Il se peut qu’il y ait une volonté de la part d’Assad d’impliquer les Nord-Coréens dans un envoi de message au président américain », analyse Ziad Majed. « Si Washington souhaite que le dirigeant nord-coréen abandonne la bombe atomique, ce dernier peut répondre qu’il est sollicité par de nombreux pays pour ses technologies nucléaires et balistiques, donc cela ouvrira d’autres négociations possibles », poursuit Fabrice Balanche. « Cela pourrait être un message qu’Assad envoie aux États-Unis en rappelant les liens qui unissent la Syrie et la Corée du Nord et que la meilleure manière de se protéger contre une nouvelle agression occidentale est de se fournir en armes sophistiquées », conclut-il.
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commentaires (6)
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17 h 12, le 04 juin 2018