Le ministre français de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, à l’Élysée. Photo AFP
La France propose que le coût d’éventuelles sanctions financières imposées par les États-Unis à des entreprises européennes soit pris en charge par le budget européen, a déclaré hier son ministre de l’Économie et des Finances. La décision de Donald Trump de retirer les États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien ouvre la voie à des sanctions à l’encontre d’entreprises européennes ayant des relations d’affaires avec l’Iran. « Est-ce que nous acceptons que les États-Unis soient le gendarme économique de la planète ? La réponse européenne doit être clairement non », a déclaré Bruno Le Maire, invité du Grand Rendez-vous Europe 1-Les Échos-CNEWS.
La Commission européenne a décidé la semaine passée d’activer un règlement européen de novembre 1996, adopté à l’époque pour contourner l’embargo américain à Cuba et censé protéger les entreprises européennes contre « l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers » – en d’autres termes, contre des sanctions américaines. Il permet théoriquement aux entreprises et tribunaux européens de ne pas se soumettre à de telles législations ou sanctions mais n’a jamais été employé jusqu’ici. Les gouvernements de l’Union européenne considèrent que cette « loi de blocage » est plus une arme politique qu’un instrument juridique pratique, car elle est assez vague et difficile à mettre en œuvre.
La France propose cependant de s’appuyer sur ce règlement pour renforcer la souveraineté économique de l’UE et protéger les entreprises européennes, a expliqué Bruno Le Maire. « Le renforcement du règlement de 1996 (...) nous permettrait de prendre à notre charge l’éventuel prix des sanctions payées par les entreprises et qui pourrait être payé par l’Union européenne », a-t-il déclaré. La France souhaite aussi que l’Europe se dote de « systèmes de financement autonomes » pour que les entreprises européennes désireuses d’investir à l’étranger, par exemple en Iran, ne dépendent plus du système financier et bancaire américain.
Riposter ou disparaître
Pour le ministre français, le budget européen devrait être mis à contribution : « Nous sommes en train de travailler sur (...) sur le nouveau budget européen. Est-ce qu’il ne faut pas que nous réfléchissions à ce qui, dans ce budget, pourrait être prévu pour payer notre autonomie, pour payer notre indépendance ? »
La France est par ailleurs en faveur d’une capacité de riposte de l’Europe, pour sanctionner des entreprises qui ne respecteraient pas ses règles. « L’Europe est à la croisée des chemins : soit elle construit sa souveraineté, elle affirme sa puissance politique, et, dans ce cas-là, elle ne sera pas broyée par les États-Unis et par la Chine ; soit elle se couche, elle cède. Mais là, effectivement, elle disparaîtra », a-t-il averti. Il a dit comprendre qu’un groupe comme Total envisage de renoncer à un projet gazier en Iran s’il n’obtient pas une « dérogation » aux sanctions américaines. « Il y a des entreprises dont nous pouvons parfaitement comprendre que, dans l’immédiat (...), elles n’ont pas d’autre choix que de partir », a dit Bruno Le Maire, qui a aussi cité le cas d’Airbus. « Aujourd’hui, il y a un contrat de 100 Airbus qui doivent être livrés à l’Iran. Airbus ne peut pas le faire. Car, dans un A350, il y a 40 % de composants américains. »
Le ministre de l’Économie et des Finances a également invoqué l’accord tout juste conclu par la Chine et les États-Unis pour tenter d’éviter une guerre commerciale. « C’est bien la preuve par l’exemple pour ceux qui en doutaient encore (...) que les États-Unis et la Chine risquent de se mettre d’accord sur le dos de l’Europe si l’Europe n’est pas capable de montrer de la fermeté », a-t-il dit.
Le retrait d’Engie
Le spécialiste français de l’énergie Engie (ex-GDF Suez) va aussi se désengager de ses activités d’ingénierie en Iran d’ici au mois de novembre afin d’éviter les sanctions américaines contre les entreprises présentes dans ce pays.
Engie n’a pas d’infrastructures en Iran, ni « d’activité qui nécessite des investissements », a rappelé vendredi la directrice générale d’Engie, Isabelle Kocher, lors de l’assemblée générale du groupe. « En revanche, nous avons des équipes d’ingénierie qui travaillent pour des clients dans ce pays. Nous avons 180 jours pour mettre fin à ces contrats, ce qui nous mène au mois de novembre prochain, et évidemment ce sera fait », a-t-elle précisé, en réponse à une question d’actionnaires. Les Américains ont donné à ces dernières un délai de 90 à 180 jours pour se retirer d’Iran. Le premier train de rétablissement de sanctions, fixé au 6 août, concernera l’automobile et l’aéronautique civile. Suivront le 4 novembre l’énergie et la finance. L’imposition de sanctions américaines contre Téhéran peut entraîner de lourdes amendes pour les entreprises non américaines entretenant une activité aux États-Unis et investissant dans le même temps en Iran.
Le commissaire européen à l’Énergie Miguel Arias Canete a débuté samedi une visite à Téhéran pour présenter aux dirigeants iraniens les mesures décidées par l’Union européenne pour assurer la poursuite des achats de pétrole et protéger les entreprises européennes implantées dans ce pays. « Il est certain qu’il y a des difficultés évidentes avec les sanctions (...) Nous devrons demander des dérogations, des exemptions pour les entreprises qui font des investissements » en Iran, a déclaré M. Canete.
Emmanuel JARRY/Reuters