C’est une nouvelle vie qui commence pour lui. Celle d’un faiseur de roi, courtisé par ses opposants d’hier, qui a su mieux que quiconque sentir le pouls de son pays dans une période de refondation en prenant le leadership de la contestation. Objet politique non identifié, Moqtada Sadr, 44 ans, est le grand gagnant des dernières élections législatives irakiennes, qui ont vu sa liste, « La marche pour les réformes », arriver à la surprise générale en tête du scrutin. L’homme est inclassable : héritier d’une dynastie de clercs chiites aux discours nationalistes, antisystème et fondamentalement populistes, il montre une nouvelle fois aujourd’hui son instinct politique. C’est en surfant sur la vague protestataire chronique et sur le sentiment nationaliste particulièrement vif depuis la reconquête des territoires contrôlés par l’État islamique (EI) que cet outsider, au passé sulfureux, est parvenu à s’imposer à tous ses adversaires. Celui qui était autrefois qualifié « d’agitateur », voire de « hors-la-loi » par des officiels américains, se retrouve désormais au centre du jeu dans un pays soutenu par un condominium américano-iranien.
Ce n’est ni son crédit militaire ni ses qualifications religieuses qui ont porté sa liste à la tête d’un tiers des provinces irakiennes. Sa milice est restée relativement en retrait de la bataille contre l’EI, préférant se concentrer sur la défense de bastions chiites comme Samarra. Moqtada Sadr n’est pas un ayatollah. Moins intéressé par les études théologiques que son titre de clerc le laisse entendre, ce chef charismatique est avant tout un véritable tribun, avec à son actif les retournements de veste et alliances opportunistes de tout animal politique qui se respecte. En témoigne son alliance avec les communistes pour mener la bataille des législatives qui fait de lui le premier pôle chiite, talonné par l’Alliance du Fateh, avatar politique des milices chiites obligées de Téhéran qui sont montées en puissance à la faveur de la guerre contre l’EI.
Un pied dans la contestation antisystème, et un autre dans les rouages conventionnels de l’establishment chiite au pouvoir depuis 2003, le chef chiite est désormais idéalement placé pour tirer les ficelles. Sa capacité à jouer sur les deux registres de la tentation révolutionnaire et des manœuvres politiques conventionnelles fait la force de Moqtada Sadr. Elle lui vaut le surnom de « Tiers- État » qui cherche à être « quelque chose » par ses concurrents élitistes, qui méprisent autant qu’ils redoutent la puissance mobilisatrice de ce jeune dirigeant. Ne se présentant pas lui-même au poste de Premier ministre, il devrait être incontournable dans la formation de la prochaine coalition de gouvernement, même si l’Iran, par le biais du chef de la force al-Qods, Kassem Souleimani, est déjà à la manœuvre pour l’écarter. C’est un bras de fer avec la puissance chiite dominante qui s’annonce pour Moqtada Sadr, qui se présente comme le premier opposant chiite à Téhéran. Dès l’annonce des premiers résultats dimanche soir, ses partisans, réunis à Bagdad, ont fêté la victoire aux cris de « Iran dehors, Iran dehors ». Est-il fondamentalement opposé à l’influence iranienne en Irak ou tient-il ce discours uniquement par opportunisme électoral compte tenu de ses relations ambivalentes avec Téhéran ? Sa milice n’aurait pas vu le jour sans le soutien iranien, et l’activisme actuel de Téhéran à Bagdad démontre clairement que l’establishment iranien se méfie notoirement de Moqtada Sadr, l’homme qui joue sur tous les tableaux.
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« Ô Kassem, ô Souleimani, ce Sadr est d’essence divine ! »
S’il n’a pas les talents oratoires d’un Hassan Nasrallah, dont il s’inspire, il jouit de l’aura hérité de son père, Mohammad Sadek Sadr, assassiné avec plusieurs de ses fils en 1999 par le régime de Saddam Hussein. « Sadr capitalise sur le prestige familial. Son père était une personnalité hautement charismatique, qui fédérait les chiites, les sunnites et les Kurdes. Ces derniers avaient énormément d’estime pour Sadek, qui avait émis une fatwa religieuse interdisant la guerre contre les Kurdes », explique à L’Orient-Le Jour Adel Bakawan, chercheur associé à l’Ehess. Cette filiation singularise Moqtada Sadr. Il est le seul à susciter une pareille hystérie collective autour de sa personne, ses partisans allant jusqu’à scander « Ô Kassem, Ô Souleimani, ce Sadr est d’essence divine ! ».
Après la chute de Saddam Hussein en 2003, Moqtada Sadr a pris la relève familiale de façon controversée. Il accuse de complicité silencieuse les marjaiates (références religieuses) comme Ali al-Sistani et son prédécesseur al-Kho’i dans l’assassinat de son père. En avril 2003, ses hommes lynchent devant le mausolée de l’imam Ali à Najaf l’un des fils d’al-Kho’i, avant d’aller mettre à sac la maison de l’ayatollah Sistani. Il devient ensuite le fer de lance de la guérilla contre l’occupation américaine. Son Armée du Mahdi harcèle les GI’s, orchestre les tristement célèbres « escadrons de la mort » chargés d’écraser l’insurrection sunnite. Les troupes américaines sont lancées à sa poursuite. Après maintes mésaventures, il est secouru par le même Sistani qui, magnanime, fait par ce geste la démonstration de sa puissance. L’ayatollah Sistani obtient que le jeune Sadr soit incorporé au nouvel establishment politique, en lui réservant une place au sein de la Liste irakienne unifiée, une grande coalition de partis chiites qui régnera pendant 13 ans à Bagdad.
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« Lorsqu’il arrive à Qom, on le regarde de haut »
Moqtada Sadr est rattrapé par le meurtre du fils d’al-Kho’i en 2008. Il fuit à Qom pour échapper au mandat d’arrêt qui le vise personnellement dans l’enquête. Cet exil va impacter sa pensée politique. Il pouvait s’attendre à être reçu comme un héros de la résistance à l’occupant américain. Mais c’est le mépris et la froideur qui dominent. Ali Khamenei trouve très difficilement le temps pour un tête-à-tête. « Sadr n’a pas le capital religieux et la formation de son père. Lorsqu’il arrive à Qom, on le regarde de haut comme un gamin. Il a très mal vécu cette expérience, son sentiment anti-iranien se renforce à ce moment-là. C’est peu après son retour de Qom qu’il effectue une visite de courtoisie en Arabie saoudite », raconte Adel Bakawan.
Quand il rentre en Irak en 2011, les accents nationalistes et xénophobes de sa rhétorique sont plus distincts. Il tente en parallèle de relativiser le duopole irano-américain en nouant des liens avec l’Arabie saoudite et les chancelleries européennes. Sur le plan interne, il prend la défense de l’« irakité ». La ligne nationaliste implique en effet une rupture avec le sectarisme d’antan, qui expose le pays aux ingérences extérieures via des solidarités confessionnelles transnationales. L’Armée du Mahdi est rebaptisée dans un style édulcoré « Saraya al-Salam ». Ses hommes combattent l’EI aux côtés de tribus sunnites, et accueillent positivement l’idée d’une intégration dans l’armée régulière une fois la menace jihadiste repoussée. « Il y a eu une évolution personnelle de Sadr », affirmait Raëd Fahmi, secrétaire général du Parti communiste irakien, dans une interview donné à L’OLJ en avril dernier. « On a assisté à une évolution radicale des sadristes vers la modération. Ceux d’entre eux parmi les plus impliqués dans les mouvements sectaires ont fait scission. Le sadrisme est aujourd’hui un mouvement populaire pas tout à fait homogène, qui rassemble des gens opposés aux ingérences étrangères. »
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C’est au printemps 2016 que Sadr démontre le mieux ses talents de tribun et son habilité à manier la stratégie de la corde raide. Il va transformer un mouvement de contestation populaire fléchissant en un contrepouvoir majeur par la vertu de sa seule présence. Un an plus tôt, les manifestants étaient descendus suite à des coupures d’électricité prolongées. Des tabous sont levés, comme la revendication d’un État civil et le refus de la confiscation du pouvoir par Téhéran et ses obligés. Moqtada Sadr envoie alors ses jeunes séminaristes enturbannés réclamer la « séparation de la mosquée et de l’État » aux côtés des manifestants, dont le réservoir originel était plutôt les milieux intellectuels de gauche et la classe moyenne éduquée. En reprenant à son compte les slogans anticorruption et antisectaire des manifestants, Moqtada Sadr a probablement trouvé le bon filon qui le propulsera sur la dernière marche du succès lors du scrutin à venir.
Selon les représentants du Parti communiste irakien (PCI) et du mouvement sadriste, c’est à cette occasion que leurs troupes fraternisent. Au plus fort du mouvement en mars, Moqtada Sadr pénètre seul dans la zone verte, ce sanctuaire ultrasécurisé de Bagdad concentrant les lieux du pouvoir. Plutôt que de le maîtriser suite à cette entrée illégale, le général irakien en charge de la sécurité de la zone lui embrasse la main en geste symbolique de soumission. Depuis son fief de Sadr City, le chef charismatique laisse alors ses partisans prendre d’assaut le Parlement, puis ordonne quelques jours plus tard la dispersion dans le calme. Tout le monde obtempère.
Pour mémoire
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UN GRAND HOMME BIEN QU'IL AIT FAIT DES CHOSES PAS TRES CORRECT IL S'EST REPRIS ET EST ENTRER DANS LE BON CHEMIN BRAVO MR SADR .. UN VRAI PATRIOTE ET UNE PERSONNE FIER DE SON CHIISME IRAKIEN
15 h 08, le 17 mai 2018