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Lifestyle - Un peu plus

La petite fille qui ne voulait pas grandir

Photo DR

Il était une fois une petite fille qui ne voulait pas grandir. Elle ne le voulait pas intrinsèquement. Parce qu’elle savait pertinemment que grandir, c’était un piège. Un piège dont elle ne sortirait pas indemne, dont elle ne pourrait plus sortir. Ce n’était pas vieillir qui lui faisait peur. C’est grandir. Perdre son innocence et son insouciance. Abandonner quelques-uns de ses rêves. Souffrir. Souffrir plus, souffrir plus intensément, souffrir plus longtemps.

Elle l’a compris très tôt en lorgnant souvent le monde des adultes. En scrutant leurs visages et les émotions qui s’y dessinaient. Elle voyait les proches se déchirer, se réconcilier, se haïr, se perdre de vue. Ce n’était pas comme dans la cour de récréation, où après 5 minutes de chamaille, tout rentrait dans l’ordre. Ce n’était pas à cause d’un Carambar volé ou d’une défaite lors d’un match de foot. Les disputes des grands étaient plus violentes. Plus mesquines. Elles les voyaient jouer, mentir, trahir. Se trahir parfois. Elle les a lues plus tard, ces trahisons. Elle les a étudiées en classe. Elle a compris Molière et tous les autres caractères de la nature humaine. Et plus elle découvrait ce que serait le monde adulte, plus elle avait peur. Elle essayait de repousser sans cesse l’échéance tout en sachant indubitablement que cela était impossible.

Elle ne voulait pas de soucis et d’inquiétudes. Elle ne voulait pas céder aux angoisses de la maturité. Elle ne voulait pas se poser mille questions. Elle voulait juste s’interroger sur sa prochaine surprise de Noël ou le gâteau de son anniversaire. Elle ne voulait pas se prendre la tête sur des histoires de cœur. Elle a trop vu sa grande sœur pleurer ses ruptures. Elle voulait continuer à aimer comme elle aimait le petit Karim. Simplement. Sans malice ni hypocrisie. Sans mensonge ni tromperie. Elle voulait continuer à regarder à deux les couchers de soleil, le ciel étoilé et des dessins animés. Des films qui faisaient peur et Karim qui la consolait.

Et puis, elle a mûri. Mais pas la petite fille en elle. La petite est restée petite. Elle l’a caché sous des dehors de jeune adolescente rebelle, de femme accomplie, d’épouse rangée puis de maman dévouée. Elle s’est accommodée de sa dualité. Elle a fait coexister les deux avec dextérité. Et puis la petite fille n’a plus voulu rester dans l’ombre. Elle a commencé à se réveiller, à rejaillir quand il ne le fallait pas. Ce n’était pas du manichéisme, mais un paradoxe assez difficile à porter. Elle était devenue une femme-enfant troublante, un peu comme son idole, Marilyn Monroe. L’apparence solide et le cœur fragile. Les rides d’une femme de 35 ans et le cœur d’une fillette de 8 ans.
Elle a perdu son innocence, mais pas sa naïveté. Elle savait déjouer les tours que lui imposait le destin, mais elle ne lisait pas bien à travers les autres. Elle savait être manipulatrice, mais restait bonne. Elle pensait qu’être gentille était une qualité et réalisait à chaque fois, avec beaucoup de douleur, que c’était ce qui lui faisait le plus de mal. Elle pleurait souvent comme une petite fille conditionnée par les contes de fées. Pleurait en cachette ses rêves inachevés. Pleurait sur elle-même.

Et puis un jour, elle a compris. Compris que si elle empêchait la petite fille en elle de prendre son envol, elle continuerait à la harceler. Alors, elle a pris son courage à deux mains et a décidé de ne plus grandir. Elle a fait le tri dans ses ami(e)s. Elle a rompu avec ceux et celles qui l’enviaient ou lui voulaient du mal. Elle n’a plus fait confiance aveuglément et a ouvert les yeux. Ses grands yeux de petite fille pour regarder plus loin et contempler les âmes autour d’elle. Et un jour, elle a retrouvé le petit Karim à l’intérieur d’un homme. Elle a retrouvé ses amies de classe à qui elle donnait des bonbons dans le cœur d’une collègue, d’une copine rencontrée sur le tard, d’une inconnue qui a croisé son chemin.
Et ensemble, ils ont recommencé à manger des bonbons et des caramels, revu des dessins animés, re-regardé le ciel, eu des fous rires, fait des batailles d’oreillers lors de voyages aux airs de colonies de vacances, et là, elle s’est sentie bien. Elle a juste réalisé qu’elle n’était pas seule. Elle n’était pas la seule à avoir refusé de grandir.

Il était une fois une petite fille qui ne voulait pas grandir. Elle ne le voulait pas intrinsèquement. Parce qu’elle savait pertinemment que grandir, c’était un piège. Un piège dont elle ne sortirait pas indemne, dont elle ne pourrait plus sortir. Ce n’était pas vieillir qui lui faisait peur. C’est grandir. Perdre son innocence et son insouciance. Abandonner quelques-uns de ses...

commentaires (3)

Ça me rapelle "the tin drum" ... Les circonstances sont presque pareilles... Merci pour cet article!

Wlek Sanferlou

16 h 18, le 27 mai 2018

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Commentaires (3)

  • Ça me rapelle "the tin drum" ... Les circonstances sont presque pareilles... Merci pour cet article!

    Wlek Sanferlou

    16 h 18, le 27 mai 2018

  • Magnifique! Merci!

    Yves Prevost

    07 h 04, le 13 mai 2018

  • Les malheurs de Sophie . Nostalgique , émouvant et ça fait mal

    Hitti arlette

    13 h 16, le 12 mai 2018

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