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Culture - Entretien

Quand Ryoko Sekiguchi entend parler de cuisine libanaise...

Une Japonaise à Beyrouth. En résidence à Beyt el-Kottab depuis début avril, cette auteure gourmande de mots et de mets concocte un ouvrage sur les Libanais à travers les saveurs de leur cuisine.

Ryoko Sekiguchi, une auteure aux livres largement assaisonnés de références et d’allégories alimentaires.

En un mois dans la capitale libanaise, Ryoko Sekiguchi dit avoir « mangé dans 60 restaurants, sans compter les déjeuners et dîners dans les maisons, et goûté 320 plats locaux ». Elle a néanmoins réussi à garder, en véritable Nippone, sa silhouette de roseau. Un exploit que lui envieraient bien des critiques gastronomiques, lui fait-on remarquer. « Mais je ne le suis pas. Je ne passe pas ma vie à juger les restaurants », réfute, avec le sourire, cette auteure, poétesse et traductrice, tout simplement aussi gourmande de mots que de mets.

Et cela se traduit dans ses écrits qui explorent, souvent, l’art culinaire ainsi que les spécificités et habitudes alimentaires des populations d’une ville ou d’un pays, révélatrices, selon elle, de leurs pratiques sociales et de leur manière de vivre.
Invitée par Chérif Majdalani en résidence d’écriture à Beyt el-Kottab, elle a donc naturellement entamé un projet d’ouvrage sur le Liban, une sorte de « portrait de Beyrouth à travers le goût et les gestes des gens qui y cuisinent ».
Rencontre, au Café des lettres de l’Institut français, avec cette écrivaine née en 1970 à Tokyo, et qui vit depuis 1997 à Paris, où elle publie indifféremment des romans, des essais et des recueils en français et japonais.

Vous vivez depuis vingt ans en France et vous publiez depuis une quinzaine d’années en français. Qu’est-ce qui vous a, en premier, attirée vers ce pays, sa gastronomie ou sa langue ?
En fait, c’est un peu le hasard. À la faculté de traduction de Tokyo, je devais choisir comme seconde langue étrangère entre le français, l’allemand, le russe et le chinois. J’ai préféré la langue française parce que c’était celle d’un pays où, si j’y allais, j’étais assurée de bien manger. Et puis, c’est l’un des rares pays où l’on trouve énormément de livres sur la question du goût. Par ailleurs, comme j’avais débuté ma carrière littéraire très jeune, à l’âge de 17 ans, par un recueil de poèmes, j’étais aussi attirée par la poésie médiévale française. J’ai étudié la langue d’oïl. J’ai travaillé sur les trouvères. Tout cela, ajouté au fait que je voulais fuir le machisme ambiant au Japon, m’a amenée en France, où j’ai également poursuivi des études d’histoire de l’art et cultures comparées à la Sorbonne.

Entre votre goût culinaire, transmis par votre mère qui était cuisinière, celui de la littérature, hérité de votre grand-père éditeur, et enfin celui de l’art, y avait-il des liens évidents à vos yeux ?
Je pense que tout est lié. Je le démontre d’ailleurs dans un livre que j’ai écrit autour du mot « astringent ». C’est d’ailleurs son titre. C’est parti de mon travail de traductrice. Parce que le mot « astringent » en japonais est fréquemment utilisé, mais pour désigner le goût esthétique, alors qu’en français, il qualifie plutôt des saveurs. J’ai même fait une enquête de détective pour savoir quand et comment est née cette différence dans l’utilisation de ce vocable. Au Japon, on parle de couleur ou de personne astringente pour signifier délicate, patinée par le temps ou encore à l’opposé de bling-bling.

« Manger Fantôme : manuel pratique de l’alimentation vaporeuse », « L’Astringent » ou encore « Le Fade », pour ne citer que quelques-uns de vos titres, renvoient souvent aux goûts et aux saveurs. Vous avez déjà écrit de nombreux ouvrages sur le thème de l’art culinaire et du rapport à la cuisine. D’où vous vient cet intérêt pour les mets mis en mots ?
Du fait que ma mère était cuisinière et que mon grand-père était éditeur, c’était en moi comme une sorte de nappe phréatique. Mais j’ai vraiment commencé à creuser ce thème à partir de 2011, suite à la triple catastrophe du séisme, du tsunami et de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima. Là, je me suis dit : c’en est fini de la nourriture au Japon. Et j’ai pensé que lors d’une catastrophe, on dénombre toujours les victimes, les morts et les dégâts, mais on ne peut pas recenser le nombre de plats préparés dans chaque maison par une maman, l’odeur du magnolia qui était là et que l’on respirait tous les jours en rentrant de l’école… Alors que ces éléments éphémères constituent notre vie. À partir de là, j’ai décidé que ce serait désormais mon rôle d’écrivain d’en parler.
D’ailleurs, de mon grand-père éditeur, j’ai appris qu’un livre ne naît pas de nulle part. Certes, il naît d’abord de la pensée d’un auteur, mais pour que celle-ci prenne corps, il y a toute une chaîne de personnes qui y travaillent : éditeurs, maquettistes, correcteurs, imprimeurs, livreurs… Et je trouve qu’il y a quelque chose dans cette entreprise qui n’est pas très loin de la cuisine, finalement.


(Pour mémoire : Ryoko Sekiguchi écrit le Japon de l'après-tsunami)


Vous avez déjà exploré et opposé, dans un essai intitulé ironiquement « Le Fade » (éditions Argol), les goûts alimentaires des Français et des Japonais. Estimez-vous que le rapport à la nourriture au Liban est, comme en France, fondamentalement différent de celui du Japon ?
Je pense qu’en dehors des techniques et des ingrédients, il y a une sorte de message, une pensée qui traverse une culture culinaire. C’est cela que j’ai comparé dans la gastronomie française et japonaise. La « bonne table » en France est dans une recherche permanente de vitalité, d’intensité, de théâtralité qui fait qu’on ne peut pas l’apprécier pleinement lorsqu’on n’est pas en forme. Alors que les mets japonais ne sont pas dans la festivité. Ils peuvent même paraître comme un peu ternes. Mais ils ont une douceur, une délicatesse, une sorte de discrétion qui en font les compagnons idéals dans les moments de tristesse ou quand on se sent un peu seul. Dans la cuisine libanaise, j’ai surtout senti une recherche d’harmonie. Les mezzés sont tous sur un pied d’égalité. Ils ne se heurtent pas. Et même au sein d’un seul plat, il y a plusieurs ingrédients, plusieurs épices qui créent une unité. C’est cela que j’ai vraiment apprécié…

Y a-t-il des saveurs de la cuisine libanaise qui ont éveillé en vous une émotion particulière ?

J’ai été surprise de retrouver à Beyrouth certaines habitudes alimentaires similaires à celles que j’avais découvertes à Téhéran, comme la prune verte trempée dans du sel ou l’utilisation de la cannelle dans les ragoûts. Par contre, j’ai découvert l’anis vert dans le kaak, le pain… C’est une épice que je ne connaissais pas du tout et que j’ai apprivoisée ici. Désormais, chaque fois que je mangerai quelque chose avec de l’anis vert, je penserai systématiquement au Liban.

« Lorsqu’on découvre un goût, c’est bien plus qu’un goût nouveau, c’est aussi la manière dont l’Autre pense que l’on découvre », avez-vous écrit. Qu’avez-vous découvert des Libanais à travers leur cuisine ?
Il y a quelque chose de très émouvant dans le rapport des Libanais avec la cuisine. Tout le monde aime manger dans ce pays, et en même temps, il me semble que ce n’est pas juste une question de nourriture. Au cours de ma résidence, j’ai demandé à beaucoup de gens que je croisais de me raconter leurs histoires de cuisine. J’en ai glané quelques-unes, joyeuses ou tristes, reliées à la guerre. Et j’en ai tiré l’impression que les Libanais sont très sensibles à son côté réconfortant. À chaque fois qu’ils me disaient « on aime bien manger », je l’entendais comme « on aime bien vivre ».

Peut-on considérer que votre littérature est gastronomique ?
Je n’aime pas du tout ce mot de gastronomie. J’utilise simplement l’écriture et le goût pour explorer tout ce qui nous nourrit. Au sens multiple du terme.

Bibliographie sélective
- « Le Fade », un essai sur le goût (Argol, 2016)
- « La Voix sombre » (P.O.L, 2015)
- « Manger Fantôme : manuel pratique de l’alimentation vaporeuse » (Argol, 2012)
- « L’Astringent » (Argol, 2012)
- « Le Club des gourmets et autres cuisines japonaises » (P.O.L, 2013)
- « Ce n’est pas un hasard – chronique japonaise » (POL, 2011).

En un mois dans la capitale libanaise, Ryoko Sekiguchi dit avoir « mangé dans 60 restaurants, sans compter les déjeuners et dîners dans les maisons, et goûté 320 plats locaux ». Elle a néanmoins réussi à garder, en véritable Nippone, sa silhouette de roseau. Un exploit que lui envieraient bien des critiques gastronomiques, lui fait-on remarquer. « Mais je ne le suis...

commentaires (1)

L’anis vert, dans le kaak, le pain, le gout de l'arak et de l'ouzo grecque ... et du "ricard".

Stes David

15 h 30, le 11 mai 2018

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Commentaires (1)

  • L’anis vert, dans le kaak, le pain, le gout de l'arak et de l'ouzo grecque ... et du "ricard".

    Stes David

    15 h 30, le 11 mai 2018

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