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À La Une - législatives libanaises - reportage

À Zahlé, un scrutin d’une grande lenteur et des échauffourées interchrétiennes

Dans certains bureaux, on vote à la place d’électeurs illettrés.

Une électrice libanaise à Zahlé. Dimanche 6 mai 2018, les Libanais étaient appelés à renouveler leur parlement, pour la première fois depuis 9 ans. AFP / Haitham MOUSSAWI

Dans l’étroite cage d’escalier de l’école publique de Rassieh el-Fawqa, des électeurs zahliotes s’agglutinent face aux listes affichées à l’entrée d’une salle de classe, au premier étage. Ils cherchent leurs noms, mais bloquent l’accès à d’autres électeurs qui empruntent les escaliers. Il n’est que 9h30 en ce dimanche électoral au Liban. Les électeurs, pour ces premières législatives depuis 9 ans, ne se bousculent pas. Mais on dirait qu’il y a foule, ici, et dans d’autres locaux aussi peu adaptés. Il faut dire que l’opération de vote est plus longue que prévu, elle s’éternise dans certains cas. Comme dans cette salle de classe où une dame âgée accomplit son devoir.

Après avoir remis sa carte d’identité et écouté les explications du chef de bureau, elle se dirige vers l’isoloir. Sans se hâter, elle choisit sa liste, puis son candidat. Elle doit maintenant plier son bulletin de vote, conformément aux directives. Mais l’opération s’avère compliquée. Reprise par le responsable, elle doit la répéter deux, voire trois fois, pour insérer correctement le bulletin dans l’enveloppe, car la signature du chef de bureau doit être visible. Une dizaine de minutes plus tard, le bulletin est enfin dans l’urne. Entre-temps, dehors, les files d’attente s’allongent. Les électeurs s’impatientent. On grogne contre la mauvaise organisation. Le brouhaha gagne les salles jusqu’à l’assourdissement. Soucieuses de gagner du temps, les forces de l’ordre s’invitent parfois dans l’organisation. Mais le taux de participation demeure désespérément bas. Il grimpera à 47,82 % à 18 heures.

Aucun accès pour les personnes handicapées
Le caza de Zahlé tout entier subit cette même lenteur dans le processus. Une lenteur qui, dit-on ici, en a découragé certains. Qui a poussé d’autres électeurs à « regretter l’ancienne loi majoritaire, où il suffisait de glisser un papier dans l’urne ». Pire encore, dans certains bureaux de vote de Saadnayel, comportant un taux élevé de bédouins naturalisés d’origine syrienne, impossible d’expliquer le procédé à nombre d’électrices et d’électeurs illettrés. Résultat, des représentants de partis ou des proches parents se sont permis de voter pour eux, au vu et au su de tous, histoire de débloquer la situation. « Généralement, on n’accepte d’intervention extérieure que lorsqu’il s’agit d’un électeur handicapé. Mais là, nous n’avons pas le choix. Regardez la file d’attente dehors », lance le responsable d’un bureau à Saadnayel.

Mis à part cette extrême lenteur et l’application de la proportionnelle, rien ne différencie le scrutin 2018 des éditions précédentes. Mêmes bâtiments inadaptés aux personnes âgées et handicapées. Mêmes personnes âgées qu’on transporte sur des chaises ou dans des lits pour obtenir leurs voix. Mêmes délégués et partisans qui s’invitent jusque dans les bureaux de vote pour « conseiller » les électeurs.

C’est toutefois avec satisfaction que les citoyens glissent leur bulletin dans l’urne. Chacun est soucieux de s’exprimer. Venu tôt avec son épouse Nada, à Rassieh el-Tahta, le Pr Melhem Chaoul constate une bonne dose de « confusion » et des « ratages », mais il note que ce nouveau mode de scrutin rend plus difficile la corruption. « Les gens ont l’habitude de personnaliser le vote. Or on leur demande désormais un vote politique auquel s’ajoute le vote personnel. » Sans oublier, ajoute son épouse, juriste, « l’ambiguïté de certaines alliances électorales au sein d’une même liste ».

Si nombre d’électeurs font part de leur attachement aux partis traditionnels, d’autres affirment vouloir le changement. « Je veux le changement et la réforme », martèle ainsi Simone Braidy, 43 ans. « Ma préférence, c’est le Liban des FL, qui prône le développement », dit de son côté Sami Ghorra, agriculteur. Mais les moins traditionnels n’hésitent pas à faire part de leur volonté de chambardement réel. « Je vote pour la première fois et c’est une belle expérience, car j’ai espoir en un renouveau de la classe politique », dit à Haouch el-Oumara Élias Maalouf, 28 ans, architecte d’intérieur. Une mère de famille est tout aussi catégorique : « Mon père qui fait partie de l’ancienne génération va voter pour les mêmes. Mais mon fils et moi avons soif de nouveauté », martèle Nada Machaalani, qui regrette les promesses non tenues des partis traditionnels. « Ils sont incapables ne serait-ce que d’éclairer les routes la nuit », regrette-t-elle.


(Lire aussi : Tension et débordements sur l'ensemble du territoire lors des législatives)


Vitres brisées et cartes d’identité confisquées
Autre similitude avec les précédents scrutins, la mobilisation partisane massive à proximité des bureaux de vote, à coups de chants patriotiques et guerriers, de défilés de voitures, toutes sirènes hurlantes, de déploiements de drapeaux militants et de slogans, agités souvent par des enfants. Une mobilisation qui ne manque pas de provoquer des échauffourées au sein de la rue chrétienne, au cœur même de la ville de Zahlé, à Haouch el-Oumara. Et ce entre les partisans des Forces libanaises et ceux de l’ancien ministre et candidat Nicolas Fattouche ; mais aussi entre les FL et les partisans de la candidate Myriam Tok Skaff. Particulièrement nerveux, accusant leurs adversaires d’achats de voix, les jeunes militants en viennent aux mains. Ils brisent même la vitre d’une permanence des partisans de Nicolas Fattouche et confisquent des cartes d’identité, « après avoir constaté des achats de voix », assurent-ils à L’OLJ. Déployée en force dans ce quartier très sensible, l’armée libanaise rétablit rapidement l’ordre, laissant les candidats et partisans s’étriper par déclarations télévisées.


(Lire aussi : Législatives libanaises : des centaines de violations de la loi électorale relevées)


La mobilisation partisane est tout aussi importante dans le quartier zahliote à majorité chiite de Karak Nouh, et dans la localité sunnite de Saadnayel, mais le scrutin y est nettement plus serein. Et pour cause, Karak Nouh arbore fièrement son appartenance au Hezbollah et Saadnayel son allégeance absolue à Saad Hariri. « Je vote pour sayyed Hassan qui tient ses promesses », lance Malak el-Kak, 25 ans. Autrement dit, pour le candidat chiite de la liste du Hezbollah, Anouar Jomaa. Comme la majorité des femmes de la région, elle arbore le tchador noir du Hezbollah. À Saadnayel, c’est plutôt le vieux slogan « Zay ma hiyé » qui circule. Le nom de Saad Hariri est sur toutes les lèvres, et donc de son candidat sunnite Assem Araji. Il ne faut pas oublier qu’avec 35 000 voix, le vote sunnite est déterminant. « Mais le vote préférentiel demeure un libre choix », assure une émigrée venue d’Australie pour l’occasion. Quelques noms circulent alors, avec en priorité ceux de la candidate arménienne-orthodoxe Marie-Jeanne Bilezikjian et du président d’EDZ, le candidat grec-orthodoxe Assaad Nakad.



Dans l’étroite cage d’escalier de l’école publique de Rassieh el-Fawqa, des électeurs zahliotes s’agglutinent face aux listes affichées à l’entrée d’une salle de classe, au premier étage. Ils cherchent leurs noms, mais bloquent l’accès à d’autres électeurs qui empruntent les escaliers. Il n’est que 9h30 en ce dimanche électoral au Liban. Les électeurs, pour ces...

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