Dans huit jours, le grand suspense électoral sera terminé, mais n’en déplaise à tous ceux qui font croire que tout est joué d’avance, la bataille devient de plus en plus serrée, à mesure que se rapproche l’échéance. À partir du lundi 7 mai, beaucoup d’analyses seront faites, ainsi que des bilans et des évaluations, mais, en attendant, chaque partie mène campagne pour tenter de faire élire ses candidats, en essayant de ne pas remettre en cause ses alliances en prévision de l’étape de l’après-élections. Dans ce contexte, le CPL et le Hezbollah continuent d’affirmer que leur alliance est stratégique et qu’elle survivra au scrutin électoral. Pourtant, les deux formations alliées sont en rivalité dans trois circonscriptions importantes pour elles deux : Kesrouan-Jbeil, Baalbeck-Hermel et Liban-Sud III (Marjeyoun-Hasbaya/Nabatiyé/Bint Jbeil).
Au Kesrouan-Jbeil, l’enjeu est important pour le CPL, cette circonscription étant considérée comme un de ses fiefs et le « réservoir maronite » du Liban, mais, en même temps, le Hezbollah estime que sa présence dans cette région est déterminante pour casser ce qu’il considère comme la diabolisation dont il est victime. Selon la version du Hezb, lorsqu’il a décidé, avec le mouvement Amal, de se partager les candidatures pour les sièges chiites du Parlement, il avait sciemment choisi le siège de Jbeil-Kesrouan pour éviter que le CPL et Amal se retrouvent face à face. Ce qui aurait donné à la bataille un caractère acharné. Le Hezbollah et le CPL savaient en tout cas qu’en raison du mode de scrutin proportionnel, ils n’avaient pas intérêt à se retrouver sur une même liste, puisque la bataille aurait eu lieu autour des sept sièges maronites, laissant le siège chiite à une autre liste. Il était donc acquis que les deux formations ne seraient pas sur une même liste, mais cela ne voulait pas dire que le candidat du Hezbollah ne serait pas sur une autre liste. Et c’est là qu’a commencé le conflit. Le CPL estimait que le Hezbollah devait choisir une personnalité moins marquée sur le plan partisan, qui pourrait par la suite intégrer le bloc parlementaire qu’il compte former. Le Hezbollah, lui, a choisi un cadre du parti, alimentant ainsi la thèse de ses détracteurs sur sa volonté présumée de s’implanter en plein fief chrétien. Le Hezbollah croyait que le CPL ne prendrait pas un candidat chiite sur sa liste pour laisser plus de chances au sien, et le CPL pensait que le Hezbollah pourrait changer de candidat, ou alors qu’il ne parviendrait pas à former une liste dans cette circonscription. Finalement, le candidat du Hezbollah est dans la liste de l’ancien ministre Jean-Louis Cardahi, et, pour lui, la bataille est devenue vitale.
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À Baalbeck-Hermel, c’est un peu la situation inverse. Le Hezbollah a formé sa liste, sans laisser de place au CPL. Il a en effet choisi pour les sièges chrétiens l’actuel député Émile Rahmé et l’ancien ministre Albert Mansour. Le CPL a réagi en décidant de mener malgré tout la bataille. Il estime toutefois avoir ménagé son alliance avec le Hezbollah en refusant d’intégrer la liste des adversaires politiques du parti, le courant du Futur et les Forces libanaises. Mais, pour le Hezbollah, la liste du CPL non seulement ne donne pas à ce parti une chance d’avoir un siège, mais, de plus, elle sert les intérêts de la liste adverse. En effet, selon les estimations actuelles, la liste du CPL a peu de chances d’atteindre le seuil d’éligibilité dans cette circonscription. Par conséquent, en réduisant ainsi le coefficient électoral, elle conforte les chances de la liste adverse d’obtenir un siège ou même deux. Ensuite, elle prive la liste du Hezbollah des voix qui auraient pu être en sa faveur. Même si ce parti a entre les mains, en raison de son surplus de voix, la possibilité de choisir qui va percer sa liste en distribuant ses voix préférentielles aux candidats chiites ou à quatre chiites (sur six) et un sunnite (sur 2) et un maronite, il aurait été, selon ses proches, plus à l’aise dans la bataille sans la liste du CPL. Ce dernier balaie ces arguments en précisant qu’il était important pour lui d’avoir une liste et des candidats dans toutes les circonscriptions du pays, y compris celle de Baalbeck-Hermel, pour montrer qu’il est effectivement un parti transconfessionnel et transrégional. Autant le Hezbollah est donc soucieux d’éviter une percée consistante de sa liste dans la région qui est considérée comme son fief, autant le CPL a aussi besoin de cette légitimité régionale et multiconfessionnelle pour être réellement un des moyens d’action du président de la République dans la prochaine étape de son mandat, qui commence après les élections législatives.
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Au Liban-Sud III, le même scénario se reproduit, le Hezbollah, Amal et le PSNS ont formé une liste qui est considérée comme forte, alors que le CPL a formé une liste avec le courant du Futur. Là aussi, le Hezbollah considère que le CPL lui a porté un coup, parce que, selon les calculs actuels, la liste CPL-Futur a des chances d’obtenir un siège parlementaire qui irait à un candidat sunnite et non chrétien. De la sorte, le CPL aurait favorisé l’élection d’un sunnite (le siège est actuellement occupé par Kassem Hachem qui est membre du bloc parlementaire de Nabih Berry) du courant du Futur, dans une région que le Hezbollah considère particulièrement sensible parce que située à la frontière avec Israël et la Syrie, celle de Chebaa et de Kfarchouba. Le Hezbollah estime ainsi que le CPL est en train de servir les intérêts du courant du Futur et de renforcer ses chances d’obtenir un siège.
Il ne s’agit donc que de quelques sièges (quatre au maximum), mais ils sont suffisants pour troubler les relations entre les deux partis.
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commentaires (5)
Qu’elle belle et incisive analyse chere Scarlett ! Merci. Philippe Bardawil
Bardawil dany
10 h 10, le 30 avril 2018