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Moyen Orient et Monde - Irak

Chrétiens, yézidis, voire sabéens, ils sont de retour à l’Université de Mossoul

Moins d’un an après la reconquête de la « capitale » du groupe État islamique, des milliers d’étudiants issus des minorités persécutées par les jihadistes sont déjà de retour à l’Université de Mossoul. Entre peur de l’autre et espoir, le campus ravagé par les combats est l’un des rares endroits dans le nord de l’Irak à réunir ces communautés séparées par la guerre.

Des étudiants au campus de l’Université de Mossoul. Khalid al-Mousily/Reuters

Il est 7h15 lorsqu’un coup de klaxon brise le silence matinal. C’est le signal du départ. Myriam, 25 ans, et son frère cadet Youssef grimpent d’un bond dans le bus qui accueille déjà une quinzaine d’étudiants. Période d’examens oblige, chacun a les yeux rivés sur ses cahiers dans un silence religieux. Direction Mossoul. 

« Mes parents ont peur que mon frère et moi étudiions à Mossoul, mais ils ne peuvent pas nous empêcher d’y aller. Il s’agit de notre futur, nous devons continuer, affirme Myriam. Ils ne peuvent que prier pour nous », ajoute-t-elle avec un petit rire. Alors il faut faire avec les messages incessants de parents inquiets qui veulent suivre leurs déplacements heure par heure. « Moi, ça va, ils me laissent tranquille. C’est ma sœur qu’ils harcèlent », sourit Youssef, étudiant en médecine vétérinaire. Originaire d’un quartier de la rive est de Mossoul, cette famille chrétienne avait dû fuir l’arrivée du groupe État islamique, abandonnant tout derrière elle. Mais voilà ses enfants de retour, avec la ferme intention de décrocher leur diplôme. 

Inimaginable il y a encore un an, ce sont désormais 3 000 étudiants issus des minorités de la plaine de Ninive qui ont fait leur retour dans ce qui fut pendant près de trois ans le plus grand centre urbain du « califat » autoproclamé. Moins qu’avant que la ville tombe aux mains de l’EI en juin 2014, mais toujours 3 000 de plus que pendant l’occupation jihadiste. 

Sur le campus ensoleillé, des milliers d’étudiants fourmillent entre les bâtiments éventrés par des frappes aériennes ou noircis par les flammes. Véritable ville dans la ville, on y boit des jus de fruits en terrasse, y récite du Baudelaire ou y construit des prototypes de panneaux photovoltaïques capables de s’incliner en fonction de l’emplacement du soleil. Il est 14h, l’heure pour Youssef et Myriam de reprendre le bus. S’ils se sentent chez eux sur le campus, pas question de rester dormir à Mossoul. Tous deux logent dans la petite bourgade chrétienne de Karamlech, à une vingtaine de kilomètres plus à l’est. Leur maison a pourtant été épargnée par les combats, mais ils estiment qu’il serait trop dangereux de revenir habiter ici. Le reste de la famille a, elle, choisi l’exil à Erbil, dans le Kurdistan irakien. 

« Les gens bien à Mossoul (musulmans, NDLR) sont tous partis quand l’État islamique est arrivé. Donc ceux qui sont restés... eh bien... pas tous, mais bon... » commence Youssef sur un ton hésitant. « C’est impossible de leur faire confiance », finit-il par lâcher. À travers le pays, il n’est en effet pas rare d’entendre les habitants de Mossoul, arabes sunnites, se faire accuser d’avoir, du moins en partie, accueilli à bras ouverts l’arrivée des jihadistes. « Je n’ai pas beaucoup d’espoir, confie Myriam. J’ai peur des élèves, j’ai même peur des professeurs. » 


(Lire aussi : « Rafedine », un projet de mode qui redonne espoir aux réfugiées chrétiennes de Mossoul)


Un temple du multiculturalisme irakien

À Baachiqa, petite ville cosmopolite située en périphérie de Mossoul, plus d’un millier d’étudiants yézidis font eux aussi quotidiennement le trajet vers l’université, dans une ville qui accueillait il y a quelques années encore des marchés aux esclaves pour les femmes de ce groupe ethnoreligieux. 

Communauté multimillénaire qui puise une partie de ses croyances dans les religions préislamiques de la Perse antique, les yézidis considèrent Tawusi Melek, « l’ange-paon », comme une figure centrale de leur culte. Mais les jihadistes voient en lui un équivalent de Satan. Les considérant comme des « adorateurs du diable » et des idolâtres, l’EI avait, à l’été 2014, lancé l’assaut sur le mont Sinjar, leur foyer ancestral. Les milliers de yézidis qui n’avaient pas pu fuir sont alors, selon leur sexe et leur âge, vendus comme esclaves sexuels, enrôlés dans des camps d’entraînement ou exécutés puis jetés dans des charniers.

Être victime d’un génocide n’a pourtant pas empêché cette communauté de s’organiser et s’assurer un futur. 622 étudiants yézidis originaires de Sinjar sont ainsi logés gratuitement dans des maisons de Baachiqa, où un bus vient les chercher chaque jour pour les emmener à leurs cours. C’est la première fois qu’ils vivent sans leurs parents, qui, pour beaucoup, sont toujours installés dans des camps. « C’est difficile d’être si loin de nos familles, mais en même temps c’est une aventure. On vit entre amis et on peut étudier ensemble ! » lance Rahba, une étudiante de deuxième année en gestion qui vit avec quinze autres étudiantes yézidies. Mais comme ses colocataires, cette rescapée de l’assaut des jihadistes sur le mont Sinjar assure qu’elle rentrera chez elle dès l’obtention de son diplôme. Est-il possible pour des yézidis un jour de revenir vivre à Mossoul ? « Non », répondent-elles toutes en chœur. « Tout ce que nous voulons, c’est terminer nos études et partir. Ils nous ont fait trop de mal, nous ne pouvons pas rester, explique Daniela, 22 ans. De toute façon, nos parents ne le permettraient pas. » 

Les responsables universitaires veulent pourtant croire en un retour de toutes les minorités dans une ville qui fut jadis un temple du multiculturalisme irakien. Comme beaucoup d’autres Mossouliotes, Mohammad Zuhair Zaidan, directeur adjoint du département de français, estime que la situation est meilleure aujourd’hui qu’avant même la prise de la ville par l’EI. Il en veut pour exemple ces étudiantes non musulmanes qui, pour certaines, portaient le voile sur le campus en 2013 par crainte de représailles, mais se sentent assez en sécurité pour ne plus le faire aujourd’hui. « L’université représente la société irakienne dans son ensemble, et le campus joue un rôle prépondérant pour encourager les minorités à rentrer. Les étudiants viennent tous les jours, ils voient qu’il n’y a pas de menaces et ils en parlent avec leurs parents », analyse le professeur, parfait francophone. 


(Pour mémoire : Les chrétiens sont-ils prêts à revenir en Irak ?)


La dernière des siens

Au milieu d’étudiants chrétiens et yézidis au pessimisme ancré, qui pour beaucoup rêvent d’émigrer, Najlaa, une sabéenne de 24 ans, fait figure de lueur d’espoir. Étudiante en dernière année en génie informatique, elle est, à Mossoul, la dernière des siens. Une communauté judéo-chrétienne dont le baptême est le principal rite et qui se considère comme l’héritière de saint Jean-Baptiste, les sabéens (aussi appelés mandéens) sont méconnus jusqu’à l’intérieur même des frontières de l’Irak. « Personne ici ne sait qui sont les sabéens, confie Najlaa. Parfois je me sens seule, mais j’ai des amis chrétiens qui sont comme des frères et des sœurs. » 

Une trentaine de milliers avant l’invasion américaine de 2003, ils seraient aujourd’hui moins de 6 000 à encore vivre en Irak, les persécutions ayant poussé les autres à émigrer, particulièrement vers la Suède. Dans son essai Le dérèglement du monde (Grasset, 2009), l’auteur libanais Amin Maalouf argumente d’ailleurs que « la menace d’extinction à brève échéance » des sabéens en Irak est l’un des révélateurs de la régression morale du monde et de l’égarement de notre civilisation, et craint que, dans quelques années, leur langue ne soit plus parlée et leurs rites oubliés. « Qu’une telle communauté ait pu traverser tant de siècles pour venir s’éteindre devant nous en dit long sur la barbarie de notre époque », se désole-t-il. 

Mais entre l’exil ou l’anéantissement sur place, Najlaa a fait le choix de déjouer les pronostics les plus funèbres. « Je n’imagine pas quitter mon pays. Même à Mossoul, j’ai le sentiment d’être chez moi. J’aime cette ville. J’adore l’université, même mon département détruit ! » s’exclame-t-elle. L’étudiante marque une pause, rehausse ses lunettes et sourit : « J’appartiens à ce pays. »


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commentaires (1)

" Une communauté judéo-chrétienne dont le baptême est le principal rite et qui se considère comme l’héritière de saint Jean-Baptiste, les sabéens (aussi appelés mandéens) sont méconnus jusqu’à l’intérieur même des frontières de l’Irak. « Personne ici ne sait qui sont les sabéens, confie Najlaa. Parfois je me sens seule, mais j’ai des amis chrétiens qui sont comme des frères et des sœurs. » " Et pourtant les sabéens sont considérés par le Coran comme des "gens du livre", et le verset 62 de la sourate "Al Baqara" les mentionne à côté des "croyants", des juifs et des chrétiens comme aussi dignes de la "miséricorde divine", pourvu qu'ils croient en Dieu et au jugement dernier, et qu'ils fassent le bien...Dire que personne ne sait qui sont les sabéens c'est dire que personne n'a lu le Coran! L'héritage d'Abraham est bien a plus grande malédiction qu'ait connue la race humaine!

Georges MELKI

16 h 07, le 03 décembre 2018

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Commentaires (1)

  • " Une communauté judéo-chrétienne dont le baptême est le principal rite et qui se considère comme l’héritière de saint Jean-Baptiste, les sabéens (aussi appelés mandéens) sont méconnus jusqu’à l’intérieur même des frontières de l’Irak. « Personne ici ne sait qui sont les sabéens, confie Najlaa. Parfois je me sens seule, mais j’ai des amis chrétiens qui sont comme des frères et des sœurs. » " Et pourtant les sabéens sont considérés par le Coran comme des "gens du livre", et le verset 62 de la sourate "Al Baqara" les mentionne à côté des "croyants", des juifs et des chrétiens comme aussi dignes de la "miséricorde divine", pourvu qu'ils croient en Dieu et au jugement dernier, et qu'ils fassent le bien...Dire que personne ne sait qui sont les sabéens c'est dire que personne n'a lu le Coran! L'héritage d'Abraham est bien a plus grande malédiction qu'ait connue la race humaine!

    Georges MELKI

    16 h 07, le 03 décembre 2018

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