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Moyen Orient et Monde - Jordanie

« Rafedine », un projet de mode qui redonne espoir aux réfugiées chrétiennes de Mossoul

Dans une église de Amman, des Irakiennes ont présenté un défilé de mode avec des vêtements qu’elles ont elles-mêmes confectionnés, avec l’aide de designers italiennes.

Le défilé a eu lieu dans l’église Saint-Joseph, située dans le quartier Jabal Amman. Photo LVR

Deux heures avant de s’élancer sur le tapis rouge, la surexcitation est à son comble. Les filles se préparent derrière le rideau. Ce petit coin d’église s’est transformé en véritable dressing-room. Les trousses de maquillage sont étalées sur les tables. Les talons hauts sont dispersés par terre. Les tenues sont classées sur des cintres, par prénom. Ce sont elles qui ont fabriqué tous ces vêtements, et qui les porteront. « Je présente en premier ce haut rose pastel avec cette jupe noire, dit fièrement Hadeel, en montrant sa tenue. Sur ma jupe, j’ai ajouté des bribes de keffieh », la coiffe arabe traditionnelle. Chacune prend le temps d’aider sa copine à se maquiller et à se coiffer devant les six miroirs installés pour l’occasion. Les filles rient aux éclats et prennent des selfies. Difficile d’imaginer que quatre ans plus tôt, ces seize chrétiennes étaient menacées de mort par l’État islamique, à Mossoul.
Il est 18h30. Dans la salle, le prêtre Don Mario Cornioli remercie les quelque 300 invités d’être venus les soutenir. La plupart sont des fidèles de cette église Saint-Joseph, située dans le quartier de Jabal Amman. Debout, une main sur le cœur, le public chante Mawtini, le célèbre hymne arabe adopté en 2004 par l’Irak. Le show peut commencer.

Les unes après les autres, les filles défilent. Elles sont de différentes tailles et formes, et se prêtent gracieusement au jeu. Chacune porte cinq tenues différentes : en fourrure, en soie ou en coton. Les designs sont d’inspiration italienne, avec une touche moyen-orientale. Sur certains vêtements, des bouts de keffieh sont incorporés. Les couleurs vives des tenues resplendissent dans le noir. Les mannequins d’un soir ne font aucun faux pas. La musique, choisie avec soin par un metteur en scène venu spécialement d’Italie pour l’occasion, rythme leur pas. Les applaudissements et sifflements du public les encouragent. Ils n’en reviennent pas de la qualité du show. À la fin, Souha s’exclame : « Le show était extraordinaire par sa modestie ! Ce sont ces femmes qui ont confectionné ces vêtements. C’est un projet fantastique qui leur permet de pouvoir rebondir dans la vie, d’apprendre une profession. La collection est très jolie ! » Sa voisine renchérit : « Je ne savais pas quoi attendre du défilé, je suis subjuguée ! Les filles ont fait un travail minutieux et ont présenté la collection avec fierté, c’est remarquable. »

Ce projet de mode, « Rafedine », a commencé en 2016, grâce à l’initiative du prêtre italien Mario Cornioli. Souhaitant œuvrer pour la communauté chrétienne irakienne fuyant l’État islamique, il a fait appel à une amie créatrice de mode italienne, Antonella Mazzoni. Elle, qui a mené plusieurs projets en Italie pour des réfugiés et dans les prisons, a immédiatement répondu présent. Depuis deux ans, elle apprend aux réfugiées à coudre et à confectionner des sacs et des vêtements, vendus en Jordanie et en Italie. « Abouna », comme les filles le surnomment, ne peut s’arrêter de sourire. C’est qu’il est fier de ses protégées. « Elles se sont vraiment données, elles ont réussi à se montrer devant tous nos invités, c’est que du bonheur ! » dit-il.

Le chemin a été long. « Quand on les a récupérées, elles étaient déprimées. Elles ne faisaient rien en Jordanie depuis leur arrivée. » Les réfugiés d’Irak n’ont officiellement pas le droit de travailler en Jordanie. Le père Mario a donc eu l’idée de les faire travailler dans son église. « L’idée, c’est de leur apprendre un métier, de leur donner des compétences pour plus tard. On ne fonctionne pas comme une entreprise, on est une famille », sourit-il, avant de rejoindre ses invités.

La mode a bouleversé leur vie. Ghaida, 21 ans, arbore un chapeau, une courte robe noire aux motifs multicolores et des talons hauts. Elle explique : « Pour moi, la mode, c’est nouveau. C’est une superexpérience, je suis contente d’apprendre quelque chose que je ne faisais pas avant. » Sa famille devrait recevoir un visa pour l’Australie d’ici à deux ans. Un changement de vie radical pour ces chrétiens qui ont été la cible privilégiée des jihadistes. Alors que l’EI s’emparait de Mossoul en 2014, le père de Hadeel était gérant d’une épicerie d’alcool. « Daech nous a demandé de l’argent et nous a menacés de mort. Alors on est venu en Jordanie. » Aujourd’hui, elle a 21 ans et veut émigrer aux États-Unis, en Europe ou en Australie. Son rêve : être créatrice de mode à son tour. Ce soir, « Rafedine » fête ses deux ans d’activité. Pour l’occasion, un buffet a été dressé dans la cour de l’église : bières, mezzé et musiques arabes sont au rendez-vous. Pour clore cette belle soirée, les filles, entourées de leurs proches, dansent la dabké. Une première étape réussie vers une nouvelle vie.


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