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Idées - Société

L’indifférence politique face à la crise du logement au Liban

Une vieille bâtisse, dans un quartier de Beyrouth. Photo loeskieboom/Bigstock

Depuis 25 ans, les problématiques de l’habitat ne pénètrent que rarement le débat public et n’ont jamais été une priorité pour les gouvernements successifs. Preuve s’il en est : il n’existe même plus de ministère dédié pour piloter l’action des pouvoirs publics dans ce domaine depuis l’an 2000.
Si le vote de la suppression des loyers anciens en 2014 et les élections municipales de 2016 avaient remis les questions de logement au goût du jour, cet enjeu semble une fois encore être le grand oublié des échéances politiques et économiques qu’est en train de vivre le pays. Quasiment absent de la campagne des élections législatives, il l’est aussi de la conférence CEDRE qui s’est tenue le 6 avril. À ce jour, pas un seul dollar du plan d’investissements annoncé, estimé à plus de 17 milliards de dollars, n’est fléché vers la production de logements abordables.
La crise du logement n’est pourtant pas nouvelle au Liban : c’est elle qui, en 1940, motiva la publication du fameux décret instituant le contrôle des loyers dont la suppression a été initiée il y a quatre ans. Dans le contexte d’une financiarisation et d’une « rentiérisation » accrues de l’économie nationale, elle s’est, en outre, aggravée ces vingt dernières années avec la transformation progressive des biens fonciers et immobiliers en actifs financiers. Pour faire simple, les terrains, appartements et immeubles sont devenus des instruments d’attraction, d’accumulation et de recyclage de capitaux, ainsi que des actifs dont la valorisation élevée garantit la soutenabilité d’une dette privée en pleine expansion. Ils contribuent ainsi à la croissance de l’économie et à la stabilisation du système financier au détriment de leur usage premier : loger les ménages.


(Lire aussi : Liban : La demande immobilière au plus bas depuis 2015)


Inadéquation
Particulièrement prégnante dans le Grand Beyrouth, cette mutation de la nature et de la fonction de l’immobilier, qui influe par exemple sur le financement et le profil des nouvelles constructions, a profondément contribué à l’amplification d’une crise du logement qui présente deux dimensions majeures : l’inaccessibilité économique des biens à la vente et à la location, et l’inadéquation entre les caractéristiques de l’offre et les besoins de la demande domestique.
Les booms financier et immobilier des années 2000 ont entraîné une hausse des prix des logements, à l’achat comme à la location, bien plus rapide que celle du revenu des ménages. À titre d’exemple, à Beyrouth entre 2003 et 2013, les prix immobiliers à la vente ont progressé plus de deux fois plus vite (+200 %) que le revenu national brut par habitant (+85 %). Ainsi, même si les prix ont connu une légère baisse depuis 2014-2015, le pouvoir d’achat immobilier a globalement nettement diminué et le taux d’effort des ménages pour se loger, via le remboursement d’un prêt ou le versement d’un loyer, n’a cessé d’augmenter pour atteindre, dans certains cas, plus de 50 % de leurs revenus.
Après deux décennies de construction intensive, évoquer une crise du logement peut paraître paradoxal. Et pourtant, l’inadéquation entre l’offre immobilière sur le marché résidentiel et les besoins de la demande domestique est évidente. Les logements disponibles à Beyrouth sont principalement de standing, destinés à une riche demande d’investisseurs, et proposés à la vente… quand la majorité des ménages cherche des logements bon marché et ne peut prétendre à l’accession à la propriété faute de moyens et/ou de garanties suffisantes. En d’autres termes, alors que les invendus se sont accumulés dans l’immobilier de prestige, l’offre de logements abordables, disponibles à la location, est insuffisante et la fin du contrôle des loyers ne va faire que renforcer cette tendance.
De plus, les conditions de logement ne cessent de se dégrader : dans la capitale, la majorité du parc résidentiel, qui date en grande partie d’avant 1975, souffre d’un manque patent d’entretien et de rénovation et, parfois, de suroccupation. Ainsi, le mal-logement est la réalité quotidienne de centaines de milliers de Libanais, qu’ils habitent dans le secteur formel ou informel.


(Lire aussi : Immobilier : à quoi s’attendre en 2018 au Liban ?)


« Société de propriétaires »
Dans ce contexte, il est essentiel d’identifier les décisions qui ont amplifié la crise et d’explorer les solutions qui pourraient contribuer à relever un défi à la fois quantitatif et qualitatif. La stratégie de la Banque du Liban vis-à-vis du secteur immobilier pose notamment question. Le développement des filières bancarisées d’accession à la propriété, via la subvention massive des crédits immobiliers qui vise en premier lieu à soutenir la croissance du PIB et à maintenir la valeur des actifs fonciers et immobiliers, a contribué à l’exubérance des prix à la vente, et indirectement à la location. Par ailleurs, ces programmes de prêts restent inaccessibles pour bon nombre de ménages dans une société où l’inclusion financière est limitée : selon la Banque mondiale, seuls 47 % des Libanais (âgés de 15 ans et plus) disposaient d’un compte en banque en 2014. Autrement dit, en plus de contribuer à l’inflation immobilière, ces filières bancarisées d’accès à l’habitat sont de facto fermées à un Libanais sur deux, sans même prendre en compte les niveaux de revenus.
Ainsi, il est urgent de mettre en place de nouveaux outils législatifs et financiers qui proposent des solutions d’accès au logement au plus grand nombre. Une récente note de l’Institut Issam Farès de l’Université américaine de Beyrouth et de la Fondation Konrad Adenauer, publiée au mois de décembre dernier, soulignait, par exemple, la possibilité d’accélérer le développement des coopératives et de mettre en place des quotas de logements abordables dans les nouvelles constructions. De la même manière, à contre-courant du dogme d’une « société de propriétaires » qui ne fait qu’attiser les inégalités d’accès à l’habitat, la relance du secteur locatif libre apparaît aujourd’hui une priorité.

Urbaniste et doctorant en études et politiques urbaines à l’Université McGill (Montréal).

Depuis 25 ans, les problématiques de l’habitat ne pénètrent que rarement le débat public et n’ont jamais été une priorité pour les gouvernements successifs. Preuve s’il en est : il n’existe même plus de ministère dédié pour piloter l’action des pouvoirs publics dans ce domaine depuis l’an 2000. Si le vote de la suppression des loyers anciens en 2014 et les élections...

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