Assassinats, disparitions, enlèvements : en République démocratique du Congo (RDC), la vie des prêtres ressemble aujourd’hui à un cauchemar. Deux prêtres catholiques ont été agressés la semaine dernière dans l’extrême ouest du pays par une dizaine d’hommes cagoulés, certains en tenue militaire, selon l’agence Fides. Les attaques contre les membres du clergé se multiplient ; ces agressions surviennent une semaine après l’assassinat du prêtre Étienne Nsengiyumva à la sortie de son église dans l’est de la RDC, et l’enlèvement d’un autre abbé trois jours plus tôt, libéré contre rançon dans le territoire voisin de Rutshuru. « Le clergé est presque protégé dans la société congolaise, mais lorsque la violence atteint son paroxysme, même lui n’est pas épargné. C’est le cas aujourd’hui », décrit au micro de RFI Omar Kavota, directeur exécutif du Centre d’étude pour la promotion de la paix, de la démocratie et des droits humains.
En 2016, l’Église avait pris position contre le président Joseph Kabila, qui refuse de quitter son poste bien que son mandat soit officiellement terminé. Après avoir joué un rôle de médiateur, l’institution ecclésiastique congolaise a mobilisé les gens en organisant des marches de protestation, ce qui a fait des chrétiens une cible du gouvernement. « Nous sommes devenus la cible de leur terreur. Des prêtres sont fréquemment molestés, insultés, même à travers les médias de l’État, brutalisés, arrêtés en plein exercice de leurs services pastoraux », a dénoncé l’abbé Jean-Marie Konde en janvier, pendant une cérémonie en réaction à la répression des marches chrétiennes.
Avec plus de 80 millions de fidèles, l’Église s’est imposée comme l’un des seuls contre-pouvoirs réels face au dirigeant. « Il est temps que la vérité l’emporte sur le mensonge systémique, que les médiocres dégagent et que règnent la paix, la justice en RDC », avait déclaré en janvier le très influent archevêque de Kinshasa, Laurent Monsengwo. Fin 2017, alors que la commission électorale congolaise avait annoncé la tenue d’élections présidentielles en 2018, sept personnes ont été tuées lors de rassemblements organisés par les catholiques du Comité laïc de coordination, et une centaine de personnes, dont des enfants de chœur, ont été arrêtées. Elles réclamaient une assurance que le président sortant ne se représenterait pas et la fin des violences qui ébranlaient déjà le pays. Depuis ces manifestations, le pouvoir ne recule devant rien pour faire taire les contestations, appliquant une répression sanglante : les forces congolaises n’hésitent plus à tirer à balles réelles sur les fidèles et à interrompre les célébrations à coups de gaz lacrymogènes. Ce fut le cas en janvier et février, avant de nouvelles marche. On déplorait dans la première au moins sept morts, dont une religieuse, une cinquantaine de blessés et une centaine de personnes arrêtées, dont douze religieux, d’après l’Association congolaise à l’accès à la justice (ACAJ).
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« On a bien affaire à un pays en guerre »
Les chrétiens sont aussi victimes de plusieurs groupes armés de la région, comme les Forces alliées démocratiques (FAD). Leur objectif est de pousser les populations chrétiennes à quitter la région nord-est de la RDC à travers des attaques, mais aussi des meurtres, viols et kidnappings terriblement fréquents. La FAD, originellement liée à un mouvement voué à remplacer le gouvernement ougandais par un État islamiste fondamentaliste, s’est relocalisée à la frontière de la RDC. La situation des populations de cette région est extrêmement délicate : forcées à se déplacer, elles laissent derrière elles leurs terres et leurs biens, et deviennent vulnérables à la famine.
Cette extrême violence dirigée contre les chrétiens s’inscrit dans une logique plus large de guerre civile, qui détruit le pays depuis 1993. « La guerre civile ne s’est pas arrêtée, malgré l’accord signé en 2002 », affirme à L’Orient-Le Jour Séverine Autesserre, professeure à Columbia et spécialiste de la région. Le gouvernement et les acteurs locaux s’affrontent. Les membres du clergé et les fidèles ne sont pas les seules victimes : plus d’une centaine de meurtres et 80 enlèvements ont été dénombrés pour la seule province du Nord-Kivu depuis février. « Les kidnappings, les meurtres sont liés au conflit en cours sur le territoire congolais. Ce n’est pas de la criminalité : on a bel et bien affaire à un pays en guerre », martèle Séverine Autesserre.
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Une catastrophe
La région des Grands Lacs est un foyer de violence depuis 30 ans. La RDC, anciennement Zaïre, le Rwanda, le Congo, le Burundi et le Cameroun s’affrontent régulièrement. Des groupes rebelles de ces différentes nationalités, comme les Forces alliées démocratiques, ont trouvé refuge dans l’instabilité congolaise et l’utilisent comme base arrière. Le gouvernement congolais actuel semble plutôt se servir de ces conflits à des fins électorales. Plutôt que de les résoudre, les politiciens utilisent les lignes de tension locales et s’impliquent dans ces conflits en prenant parti. Ils s’assurent ainsi les votes des habitants d’un village en proposant protection ou vengeance. « Les élus sont impliqués dans les conflits locaux. On est encore dans une logique de guerre qui cherche avant tout l’acquisition du pouvoir », selon Séverine Autesserre. Le gouvernement appelle d’ailleurs au retrait de l’ONU. Le retrait des 2 500 Casques bleus restant sur le territoire, comme le préconise Kinshasa, serait toutefois une catastrophe selon l’experte. « Le gouvernement et les autorités provinciales ferment les yeux ou participent aux conflits. La population est la grande victime de tous ces combats. Les seules personnes à même de protéger les civils congolais sont les soldats de la Monusco. Ils assurent de plus la visibilité des crises en tirant des sonnettes d’alarme grâce à leurs nombreux observateurs. »
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