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Moyen Orient et Monde - Interview

Moussa Mostafa Moussa : Je ne veux pas des votes des anti-Sissi et des anti-armée

Face au président sortant candidat à sa propre succession, les rares opposants qui ont osé se présenter et ayant des chances réelles de récolter des voix ont été écartés de la course ou carrément arrêtés. « Il est clair que les autorités égyptiennes sont fermement décidées à arrêter et harceler quiconque se met en travers du chemin du président Abdel Fattah el-Sissi », déclarait, en janvier dernier, Najia Bounaim, directrice des campagnes pour l’Afrique du Nord à Amnesty International. Aujourd’hui, face à M. Sissi, il ne reste dans la course à la présidentielle que Moussa Mostafa Moussa, un partisan du président sortant. Il a décidé de se lancer à la dernière minute, le 29 janvier dernier...

Le candidat à la présidentielle égyptienne Moussa Mostafa Moussa. Mohammad Abdel-Ghany/Reuters

Peu connu des Égyptiens, Moussa Mostafa Moussa, président du parti al-Ghad, est le seul concurrent au président Abdel Fattah el-Sissi lors de l’élection présidentielle du 26 mars. Fier d’un programme porté sur l’économie, il reconnaît avoir peu de chances de gagner mais défend la liberté de ce scrutin.

« OLJ » : Quelles sont les difficultés que vous rencontrez lors de cette campagne ?
Moussa Mostafa Moussa : Je suis désormais un candidat approuvé par la commission électorale, mais ce n’est pas facile. Se lancer dans une campagne nécessite beaucoup d’organisation, beaucoup de publicité, de financements. Or cette campagne est financée par mes fonds propres, je n’ai aucun soutien, qu’ils soient de mon parti ou d’hommes d’affaires. Ma priorité est donc de faire des apparitions à la télévision et de déployer des affiches, un peu au Caire, mais surtout dans le reste des gouvernorats à travers le pays. Se déplacer est aussi compliqué, notamment pour des raisons de sécurité, j’ai donc décidé de ne pas me rendre aux meetings à l’extérieur de la capitale et de laisser mes soutiens prendre en charge cette organisation.

Quelles sont les grandes lignes de votre programme ?
On peut qualifier mon programme de sophistiqué mais faisable. Son objectif est de changer le mode de vie de nos jeunes, de nos femmes. Sissi a de très belles réalisations, je souhaite poursuivre ces projets si je suis élu, mais en changeant la manière de les aborder. Je pense qu’il faut aller plus vite dans les réalisations, il faut que les effets positifs soient rapidement ressentis, que ce soit rapidement rentable. Mon programme propose de couper court et de raccourcir ce temps à cinq ou six mois après mon élection.
Par exemple, je propose de changer les rentrées financières des jeunes, qui sont les premiers à souffrir de notre crise économique et du flottement de notre monnaie, qui est passée de 7 à 18 livres pour un dollar. Je souhaite notamment faire rouvrir toutes les usines fermées après des liquidations judiciaires. Je souhaite que l’État et les banques égyptiennes gardent la propriété des terrains et des murs, mais que la production soit gérée par le biais d’actions. Je veux mettre en vente des actions à bas prix, 5 000 livres, payables sur 5 années dans lesquelles des jeunes peuvent investir. Nous ferons venir des experts internationaux pour former ces ouvriers-actionnaires à des productions destinées à l’export, notamment vers l’Afrique, pour concurrencer les produits chinois. Je souhaite lancer trois millions d’actions et prévoie un revenu mensuel pour chaque investisseur d’au moins 1 000 dollars par mois. L’idée, c’est qu’en contrepartie d’une formation gratuite et d’un accès facilité à l’investissement, chaque personne reverse 50 % de son salaire aux membres de sa famille. Ainsi, avec un emploi, on améliore la vie de cinq, six personnes. Avec trois millions de travailleurs, cela veut dire qu’on met 18 millions de personnes à l’abri. C’est ce que j’ai appelé le « capitalisme national » et que je compte appliquer à l’industrie, mais aussi aux terres agricoles, au domaine de la santé et de l’éducation. Je veux aussi lancer le concept d’actions populaires sur tous les biens détenus par le pays : les terrains, les aéroports, les ports, les hôtels, les usines et plutôt que de faire des dons à l’État ou des investissements avec des taux d’intérêt, je veux que la population ait des actions dans les biens de l’État. Je veux aussi encourager les Égyptiens à l’étranger à revenir investir dans leur pays avec une assurance de faire des bénéfices.


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Quand votre programme complet sera-t-il disponible ?
J’ai déjà lancé le titre : « Le capitalisme national ». C’est très difficile de diffuser mon programme de la manière dont je le souhaiterais. Ça coûte beaucoup d’argent, on n’a plus le temps, j’essaye donc dès que possible de l’expliquer en quelques points sur les plateaux de télévision.

L’une des raisons de ce manque de temps, c’est que vous vous êtes déclaré candidat à la toute dernière minute, pourquoi ?
J’ai commencé à préparer ce programme il y a 18 mois. Je me suis concerté avec un certain nombre de partis politiques, avec le président lui-même, pour leur exposer mes idées et la manière de l’organiser. Ahmad Chafic a décidé de se présenter, j’ai donc décidé d’arrêter. Il y avait deux grands pôles d’influence, chacun avec un certain nombre de soutiens, le président Sissi et Ahmad Chafic, je ne souhaitais pas que ma candidature fragmentent les votes. Mais Ahmad Chafic s’est retiré, et d’autres candidats se sont également présentés puis retirés ou ont été éliminés. Selon moi, l’élection présidentielle idéale, pour qu’elle respecte la balance démocratique, a besoin de deux à trois candidats. Le référendum n’était pas souhaitable dans le contexte actuel, j’ai donc décidé de reprendre la course présidentielle. Bien sûr, ça va être difficile de gagner. J’ai en face de moi quelqu’un avec beaucoup de réalisations, énormément de soutiens, qui est connu. Moi les gens ne me connaissent pas, donc j’ai un impact limité. En même temps, je n’ai pas peur d’aller au fond des choses, et de dire : voilà mon programme. Je veux convaincre les jeunes et si je ne gagne pas, j’aimerai que Sissi l’applique, je pense qu’il est bien étudié. Le plus important pour moi, c’est l’avenir de l’Égypte.


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Comment explique-t-on la présence de seulement deux candidats, le président sortant et vous-même ?
Certains n’ont pas voulu participer car ils ne voulaient pas être en concurrence avec le président sortant. Ils le soutiennent tous. Même si moi aussi, je l’ai longtemps soutenu, et le parti al-Ghad est connu pour le soutien qu’il a apporté à Sissi, je considère que ce n’est pas en contradiction. Ce n’est pas parce que je l’ai soutenu et poussé au maximum, et même fait campagne pour lui les mois passés, que je ne peux pas être en compétition avec lui aujourd’hui. J’ai un programme, j’ai une vision. J’ai demandé avec insistance à d’autres présidents de partis de se porter candidats, je ne voulais pas y aller seul, mais j’estime que c’est mon devoir national de participer. J’ai quelque chose à offrir au peuple et je tiens au système démocratique. Mais sans programme, je n’y serai pas allé.

Comment percevez-vous les déclarations récentes de plusieurs anciens candidats qui ont assuré avoir reçu des pressions et des menaces de la part des autorités ? Certains ont été arrêtés et même condamnés, comme le général Sami Anan.
Personne n’a été arrêté. Sami Anan, c’est autre chose, ce sont des affaires militaires. Il a enfreint les lois militaires, il y a donc une enquête. Les autres n’ont pas été arrêtés. C’est un jeu. En ce qui concerne Khaled Ali par exemple, nous avons des informations confidentielles selon lesquelles il n’aurait pas eu le nombre de signatures suffisant. Mais lui parle de pressions pour se faire un peu de publicité. Certains invitent aussi au boycott, mais ce sont des gens qui veulent saboter cette élection et qui ont passé des accords avec l’étranger. Khaled Ali et d’autres ont peut-être été instrumentalisés. Je ne crois pas que quiconque ait été menacé. Jamais !
C’est du baratin, c’est un jeu qui n’est pas compréhensible pour le moment, mais c’est d’ordre financier, ils sont payés, soit par l’extérieur, soit par les Frères musulmans pour se retirer soudainement et donner une mauvaise image du pays.


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Êtes-vous inquiet pour votre propre sécurité dans le contexte que vous décrivez ?
J’ai des gardes du corps, beaucoup de gens autour de moi, et je prends des risques, mais je le fais pour ce pays. Je ne pense pas que le peuple égyptien ait une quelconque méchanceté. En revanche, il faut se méfier des Frères musulmans, ils ont été écartés, mais dès qu’ils auront l’occasion de se rapprocher du pouvoir, ils mèneront des attaques féroces. J’ai brisé les espoirs des gens qui étaient contre la tenue normale de cette élection et ne voulaient pas de rivaux face à Sissi, pour pouvoir dénoncer le scrutin. Quant aux autorités, je ne risque rien de ce côté, tout le monde connaît la valeur du président Sissi, je ne suis même pas un sujet d’inquiétude pour elles, sauf si le vent tourne soudainement bien sûr ! En tout cas, je suis très clair, je ne veux pas des votes qui ont pour but de pénaliser Sissi, je ne veux pas des votes des anti-Sissi, je ne veux pas des votes des Frères musulmans, ce sont mes ennemis, et je ne veux pas des votes des gens qui sont contre le système démocratique du pays, qui veulent briser le système militaire ou le président, je l’ai dit à plusieurs reprises.
 
Que répondez-vous aux gens qui estiment que cette élection est une mascarade ?
Je peux vous dire que je suis entré dans cette élection 10 jours avant la clôture des candidatures, c’est trop tard. On a terminé nos papiers deux heures avant, on a couru partout, donc nous avons pris du retard. Il y avait d’autres candidats, six ou sept, mais ils se sont retirés. J’ai pris ma décision quand j’ai vu qu’il y avait un vide total, un danger. J’ai un programme, ça ne peut pas être une mascarade pour moi. C’est vrai, je soutenais le président ces derniers mois, mais nous sommes désormais en compétition, lui avec des réalisations, moi avec un programme. Nous ne sommes pas ennemis, nous sommes de la même école, contre les Frères musulmans, mais on peut aussi avoir des idées différentes. Je ne suis ni orienté ni téléguidé. Si vous venez me donner votre vote, je ne vous demanderai pas d’aller le donner à mon concurrent. Si tout ça est manipulé, pourquoi le président ne m’a-t-il pas contacté ? Pourquoi on ne s’est pas assis ensemble ? Il a bien fait de ne pas me parler. Si on me demandait d’être un faire-valoir, je refuserais, je me respecte, je connais ma vision pour mon pays, donc personne ne peut me téléguider.



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