Une annonce faite hier par le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a eu l’effet d’une bombe dans les milieux de la société civile. Le chef de la diplomatie a annoncé qu’il allait présenter un projet de loi permettant aux Libanaises mariées à des étrangers, à l’exception des Palestiniens et des Syriens, de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Les mouvements et associations qui travaillent pour la transmission de la nationalité par la mère ont rapidement crié au scandale et dénoncé une loi qu’ils jugent « raciste et discriminatoire ».
« Nous allons présenter un projet de loi pour réaliser l’égalité entre les femmes et les hommes en donnant aux femmes, mariées à des non-Libanais, à l’exception des hommes venant des pays voisins, le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants », a déclaré M. Bassil lors d’une conférence de presse organisée à son ministère. « La Constitution interdit la naturalisation, et l’État libanais est attaché au droit au retour des Palestiniens et des réfugiés syriens », a-t-il ajouté.
« Partant du principe de l’égalité entre les hommes et les femmes, ce qui est interdit à la femme est interdit à l’homme concernant l’exception faite à ces nationalités », a encore dit M. Bassil, suggérant que les hommes libanais mariés à des Palestiniennes ou des Syriennes ne pourront pas non plus transmettre leur nationalité à leurs enfants.
« Je sais que cette loi va engendrer beaucoup de débats mais j’ai décidé de la présenter malgré tout (…). Cette loi est ouverte aux discussions avec les personnes concernées, notamment le ministre d’État aux Droits de la femme, Jean Oghassabian, la Commission nationale de la femme libanaise, les partis, les députés et les associations de la société civile », a déclaré le chef de la diplomatie.
Une attitude « patriarcale »
Jointe par L’Orient-Le Jour, Lina Abou Habib, directrice exécutive de l’ONG Women’s Learning Partnership, qui milite pour les droits de la femme et membre fondateur du mouvement « Ma nationalité, un droit pour ma famille et pour moi », a laissé éclater sa colère.
« M. Bassil s’est permis de différencier entre les gens en se basant sur leur choix de partenaire. Ce n’est pas étonnant puisqu’il a toujours eu des prises de position sexistes et racistes », a-t-elle déclaré, dénonçant par la même occasion une attitude « patriarcale ».
« Le principe de l’égalité entre hommes et femmes et entre les femmes elles-mêmes est ce qui prime, de même que le principe de la liberté individuelle. Il s’agit d’une institutionnalisation qui va légiférer l’inégalité et légaliser une discrimination déjà existante », a souligné Mme Abou Habib qui participait hier à New York à une réunion de la Commission pour le statut de la femme CSW62.
Pour Moustapha Chaar, directeur de la campagne « Ma nationalité, ma dignité » (Jinsiyati karamati), « cette loi est inacceptable, elle est contraire à la Constitution, aux traités internationaux et aux droits de l’homme, elle instaure une différence entre une femme libanaise et une autre ». « Il s’agit d’une propagande électorale dont le but est d’attiser les tensions communautaires pour obtenir des votes », a-t-il estimé.
« Cette proposition est raciste et confessionnelle, et risque de semer la haine entre les Libanais. Les droits des femmes doivent être respectés. De plus, si un Libanais est marié à une Syrienne par exemple, quelle nationalité auront leurs enfants ? (sachant que les Syriennes ne peuvent pas non plus transmettre leur nationalité) », a souligné M. Chaar, qui ajoute que « les enfants n’ont pas à payer le prix ».
Face à la menace de l’implantation des Palestiniens et des Syriens, M. Chaar appelle à l’établissement de limites claires pour l’octroi de la nationalité pour les enfants nés de mères libanaises, mais « en évitant que ces limites soient racistes ou confessionnelles ».
« Si cette loi est appliquée, il s’agira non seulement d’une injustice pour les musulmans, mais aussi pour les chrétiens », a-t-il dit, en allusion aux craintes d’un déséquilibre démographique si les enfants nés de pères étrangers et de mères libanaises, et qui sont musulmans pour la plupart, venaient à être naturalisés. « Parmi les enfants issus de mariages mixtes où la mère est libanaise, nous avons 35 % de sunnites (Syriens, Égyptiens, Jordaniens) et 35 % de chiites (Iraniens, Pakistanais). Seulement 4 % de ces femmes sont mariées à des Palestiniens », a indiqué M. Chaar.
« C’est injuste »
« C’est injuste, honte à M. Bassil », a lancé Ghada, fervente militante en faveur de la transmission de la nationalité par les mères libanaises, jointe par L’OLJ. Mère de trois enfants nés de père syrien, cette mère de famille se dit absolument « révoltée ».
Le fils aîné de Ghada, Mohammad, 27 ans, a émigré clandestinement en Suède il y a quelques mois, poussé par le désespoir de sa situation au Liban. Son benjamin, Mahmoud, 16 ans, rêve de devenir footballeur professionnel, mais il a été refusé par plusieurs clubs parce qu’il est syrien. Seule sa fille de 25 ans a réussi à régulariser sa situation en épousant un Libanais qui, lui, est parvenu à lui transmettre sa nationalité.
« Je ne peux pas accepter une telle chose. Je ne possède rien d’autre que ma nationalité que je souhaiterais transmettre à mes petits-enfants », a déclaré Ghada à L’OLJ. « Nos enfants sont résidents et pas réfugiés. Ils doivent donc obtenir la nationalité. Mais ce qui m’inquiète le plus aujourd’hui, c’est que mes petits-enfants auront besoin d’un garant (kafil) pour pouvoir rester au Liban », a-t-elle ajouté. Réagissant à la discrimination entre une femme libanaise et une autre, qui pourrait être établie par la loi Bassil, Ghada est catégorique : « Qu’est-ce qu’une autre femme pourrait avoir de mieux que moi ? Je ne peux pas accepter cela. »
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Je suis en désaccord avec cette proposition. Ca me semble en effet "propagande électorale". Justement parce que ce sont des pays voisins, il doit y avoir un un grand pourcentage des relations/marriages, et il me semble que cette proposition ne prend pas serieux la problématique. C'est d'ailleurs le sujet (serieux) du film (humouristique) de Sophie Boutros d'amour ou marriage entre Syrien et Libanais (https://www.lorientlejour.com/article/1040858/et-vous-auriez-vous-pardonne-par-amour-pour-votre-fille-.html)
21 h 24, le 22 mars 2018