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Culture - Rencontre

« Depuis que je suis petit, vous m’obligez au hommos, à la télé libanaise et à Feyrouz ! »

Dans son premier roman « Le nez juif », qui sort en France le 15 mars (L’Antilope), le jeune auteur s’amuse de son identité orientale, qu’il tord dans tous les sens.

Sabyl Ghoussoub, en autoportraits démultipliés.

Forcément, on s’attend à Cyrano, et c’est un jeune trentenaire brun aux cheveux très courts, compensés par une barbe, qui parle de son premier roman, Le nez juif (L’Antilope,
160 p.) avec décontraction.
Photographe et chroniqueur pour la presse française et libanaise, Sabyl Ghoussoub est également écrivain et commissaire d’exposition. Entre 2011 et 2015, il a été directeur du Festival du film libanais à Beyrouth. Celui qui « voulait faire un métier avec des cheveux longs » présente son livre qui sort en France le 15 mars (et sera disponible à Beyrouth quelques jours plus tard) comme une autofiction, où on découvre l’itinéraire sinueux d’un artiste qui refuse tabous et interdits.

« Notre petit yahoudé »
« Toute mon enfance, on m’a parlé de mon nez juif : à l’école, où j’étais alternativement traité de sale juif ou de sale Arabe, et aussi à la maison où on m’appelait le petit yahoudé à cause de mon nez. En fait, dans n’importe quelle société, quand t’es pas comme tout le monde, t’es juif ! » L’histoire d’Aleph, c’est bien celle de Sabyl Ghoussoub, « avec la liberté de mélanger fiction et réalité ».
Le protagoniste grandit dans une famille libanaise à Paris et est scolarisé dans un collège huppé où ses amis sont issus de différentes diasporas (juive, iranienne, turque…). Le bombardement israélien de 2006 révèle au jeune homme sa volonté de s’engager, il crée un blog, stopwarinlebanon, s’inscrit au Parti socialiste et dans une association de libération de la Palestine. Des études de mode puis de droit et de multiples voyages rythment la quête d’un artiste qui expérimente le cinéma et la photographie.
La dernière partie du roman s’intitule « Juif et fier de l’être » : elle se déroule au Liban. Aleph relate son odyssée à travers les vestiges de la présence juive, accompagné d’un improbable historien censé le guider, de Wadi Abou Jmil à Aley, en passant par Hasbaya et Bhamdoun. Il recherche des signes tangibles d’une histoire effacée et les photographie.
Au cœur du cimetière juif de Beyrouth, Aleph se demande ce qu’il fait là : « Pourtant, la réponse me pend au nez. Depuis tout petit je me fais traiter de sale juif. À cause de mon nez. Alors, l’histoire des Juifs libanais, c’est aussi un peu mon histoire, car aujourd’hui je me sens juif, un Juif arabe. »
Les distorsions identitaires d’Aleph sont infinies : « Depuis que je me suis fait raser le crâne, je fais peur aux salafistes. À croire qu’entre juifs et musulmans, il n’y a qu’un cheveu. »

« Enterrer l’oncle fantasmé »
Le nez juif a permis à l’artiste de revisiter l’histoire de la gauche communiste libanaise : « J’ai écrit pour faire le deuil de ce que représentait mon oncle, un homme de gauche, une sorte de superhéros communiste et propalestinien, dont j’ai découvert les limites : ils ont du sang sur les mains et ont commis beaucoup d’erreurs. Ils excusent tout à partir du moment où on défend la cause palestinienne. Je soutiens la cause palestinienne, mais je tiens à clarifier ce soutien, il n’implique pas l’antisémitisme. »
Le roman met aussi le doigt sur un tabou : « Mon titre est volontairement provocateur : on a un problème avec les juifs de nos pays arabes. On leur doit leur histoire, qui est notre histoire, ce qui ne fait pas le jeu d’Israël, où il n’est pas de bon ton pour les mizrahim (Juifs d’Orient) de revenir à leurs racines arabes. Ma génération recherche ses racines et on crée des liens entre nous, on réécrit notre histoire, non étudiée au Liban comme en Israël. »

« C’est comme ça que tu nous remercies ? »
Lorsqu’Aleph décide de partir s’installer au Liban, la réaction de ses parents est intéressante, et révélatrice du décalage entre pays fantasmé et réalité : « Ton père et moi sommes venus en France pour t’offrir un bel avenir et c’est comme ça que tu nous remercies ? » Et l’enfant de les mettre face à leurs propres contradictions : « Depuis que je suis petit, vous me faites manger du hommos, regarder la télé libanaise et écouter Feyrouz. Tu t’attendais à quoi ? »
Tout au long du roman, c’est la rencontre d’autres cultures qui lui donne des clés de lecture de lui-même – le cinéma iranien notamment : « J’ai découvert une immense envie de vivre et une double culture complètement assumée. Je ne me reconnais pas dans une culture juste arabe ou occidentale. J’ai même appris le persan et ça m’a ramené à ma culture arabe. »
À la fin du roman, Aleph souhaite réaliser un autoportrait avec une croix, une kippa et un keffieh, mais le flash se déclenche au mauvais moment et la dernière phrase du roman annule toute possibilité de fixer une identité : « Mon autoportrait est un fond vert. »
Le nez juif d’Aleph est le support sur lequel se cristallisent les enjeux identitaires de l’auteur : « Je refuse d’être figé, je suis libanais à ma façon. J’ai vécu sept ans au Liban, j’aurais rêvé d’y rester, mais c’est impossible. Il n’y a pas de place pour moi. Mon roman aussi est difficile à classer : littérature juive ou arabe? Mon but est d’être dans les deux. »

« Ma génération est prête à évoluer »
« J’aurais aimé écrire mon livre en arabe, confie l’écrivain. Les lecteurs de ma génération sont prêts à le lire. Par mon blog (En attendant la guerre), je sais que ma génération est prête à évoluer ; ce qui lui pose problème ce sont les générations antérieures et les familles, avec qui ils ont du mal à échanger sur ces questions. »
Plusieurs signatures sont déjà prévues en France, et Sabyl Ghoussoub a du mal à anticiper la réception de son œuvre : « Pour l’instant, mes lecteurs français se marrent, ils apprécient la dimension subversive. Peut-être que ça les amènera à s’interroger sur leur propre société, parce qu’il y a un problème autour de l’immigration en France, un trop-plein de haine, et en même temps, une richesse incroyable, une vraie curiosité pour les autres cultures, qu’on ne trouve nulle part. »
Les perspectives artistiques de l’artiste sont plurielles : un projet de roman, une exposition à Paris intitulée « Chercher Beyrouth » et une anthologie de musique arabe.

Forcément, on s’attend à Cyrano, et c’est un jeune trentenaire brun aux cheveux très courts, compensés par une barbe, qui parle de son premier roman, Le nez juif (L’Antilope, 160 p.) avec décontraction.Photographe et chroniqueur pour la presse française et libanaise, Sabyl Ghoussoub est également écrivain et commissaire d’exposition. Entre 2011 et 2015, il a été directeur du...

commentaires (3)

On dit je suis Libanais et après la religion .

Eleni Caridopoulou

17 h 09, le 09 mars 2018

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Commentaires (3)

  • On dit je suis Libanais et après la religion .

    Eleni Caridopoulou

    17 h 09, le 09 mars 2018

  • Ce sont de tels jeunes, intelligents et curieux, ouverts à tous et tout, qui réussiront à changer nos sociétés arabes et juives aux mentalités figées dans un obscurantisme et un fanatisme qui augmentent chaque jour. Il a compris que les vengeances ne mènent à rien, sauf à garder nos sociétés dans des guerres sans fin et inutiles ! Irène Saïd

    Irene Said

    15 h 32, le 09 mars 2018

  • Tout ce qui peut rapprocher les peuples part d'un sentiment de bon sens. Être en conflit avec des voisins ou d'autres peuples cela ne doit pas constituer un obstacle insurmontable et encore moins se transformer en racisme répugnant. Se battre et se défendre pour des idées et pour une juste cause oui, mais ne jamais transformer ce conflit en une haine séculaire. Les futures générations doivent pouvoir surmonter les difficultés et se rapprocher pour bâtir un avenir et un présent commun. Renier le côté humain d'autrui, c'est s'exclure de cette même humanité.

    Sarkis Serge Tateossian

    15 h 29, le 09 mars 2018

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