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Cybercauchemar

Il a beau répondre au charmant nom de gazouillis, ce tweet qui a fait irruption dans nos mœurs, tant politiques que sociales, n’est pas toujours agréable à l’oreille. C’est sur ce mode qu’un Donald Trump aime proférer ses outrances. Et c’est encore sur la toile que des ministres libanais échangeaient les accusations les plus graves. Et puis, un tweet peut être bien lourd de conséquences, comme l’illustre l’incroyable affaire Itani, venue secouer frénétiquement les deux cocotiers de la sécurité et de la justice.


Pour commencer, ce bref rappel des faits – du moins tels qu’ils se présentent au stade actuel de l’enquête – pour ceux et celles qui auraient raté les premiers épisodes de l’hallucinant feuilleton. Pour avoir souscrit à un ironique commentaire en ligne sur les Saoudiennes accédant enfin au volant, la colonelle Suzanne Hajj-Hobeiche est démise de son poste de chef de la lutte contre le crime cybernétique aux Forces de sécurité intérieure : son imprudent j’aime, pourtant annulé à la hâte, avait été largement diffusé entre-temps par un usager du web. Croyant châtier le responsable de ses déboires, elle aurait alors fait appel à un hacker professionnel, par ailleurs indic, pour monter de toutes pièces un accablant dossier tendant à faire du coupable un agent d’Israël. Manque de pot, c’est sur un innocent homonyme, le metteur en scène et acteur Ziad Itani, qu’elle aurait en réalité déversé sa furie vengeresse. Telle est désormais la conviction proclamée du renseignement des forces de police et de gendarmerie, et même du ministre de l’Intérieur ; mais le débat est loin d’être clos pour autant.


Si ce scénario de mauvais polar donne à ce point froid dans le dos, c’est pour toute une série de raisons :
* Il s’avère en premier lieu que dans l’état d’éparpillement sécuritaire où se trouve notre pays, tout un chacun, personnage public ou simple citoyen, peut parfaitement être la victime non plus seulement d’une malveillante diffamation sur réseau, mais d’une machination en règle faisant appel à des montages photographiques ou phonétiques et autres genres de contrefaçon.


* En sus de la disgrâce, du lynchage médiatique débridé qu’elle encourt, l’infortunée victime risque de passer des mois entiers sous les verrous, du fait des coupables lenteurs de l’enquête et de la procédure judiciaire, toutes deux viciées par des fuites portant atteinte au secret de rigueur. Cette affaire a d’ailleurs eu pour premier effet de raviver les exigences des familles d’islamistes suspects de terrorisme, dont certains attendent depuis des années de passer en jugement.


* À l’heure où le pouvoir se gargarise de promesses de réforme, tout cela rend plus hypothétique que jamais l’émergence d’un État de droit, pour ne pas dire d’un État tout court. Pour peu que se confirme sans plus de contestation la thèse du complot foireux (agrémenté, on croit rêver, d’une erreur sur la personne ciblée !), on se croirait revenu au temps des procès staliniens, des faux aveux extorqués sous la torture, du goulag ; ou alors, plus proche de nous, à l’ère des preuves préfabriquées qui ont eu cours sous l’occupation syrienne.


* Le plus atterrant est pour la fin. Quelle que soit l’issue de cette triste pantalonnade, on assiste en ce moment à un conflit d’un type sans précédent entre deux institutions censées, l’une et l’autre, être les vigilantes gardiennes de notre sécurité. La guerre des polices épargne peu de pays, certes ; les rivaux s’y livrent à une féroce émulation et recourent volontiers aux coups bas, crocs-en-jambe et autres recels d’informations. On savait déjà qu’au Liban, ces tiraillements se doublent, de surcroît, de prolongements sectaires. Or ce que l’on a soudain là, c’est une inimaginable situation, absolument sans précédent, où l’on voit une agence réfuter, communiqués à l’appui, les soupçons et conclusions d’une autre : ce qui revient à contester, sur la place publique, son professionnalisme, sinon sa rigueur morale…


Une police secrète prise, tel un insecte, au piège de la toile électronique : décidément, on aura tout vu…


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il a beau répondre au charmant nom de gazouillis, ce tweet qui a fait irruption dans nos mœurs, tant politiques que sociales, n’est pas toujours agréable à l’oreille. C’est sur ce mode qu’un Donald Trump aime proférer ses outrances. Et c’est encore sur la toile que des ministres libanais échangeaient les accusations les plus graves. Et puis, un tweet peut être bien lourd de...