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Rendez-nous nos saisons

Mais oui j’ai reçu tes photos sous la neige. J’ai vu par ta fenêtre le silence ouaté, les bruits amortis, les buissons givrés, les rues endormies, la belle paix blanche. Et j’ai cru humer ce parfum merveilleux entre tous, celui d’un feu de bois qui grésille dans la brume. Sur mon chemin à travers les rues de Beyrouth, j’ai pris pour toi des images d’arbres en fleurs sous un soleil éblouissant, et puis j’ai hésité, et puis j’ai renoncé à te les envoyer par peur de réveiller dans ton studio si loin d’ici une douloureuse nostalgie de printemps. Pourtant, j’aurais bien aimé qu’ici l’hiver s’attarde un peu, se pose, nous gratifie de quelques flocons comme il l’a fait parfois, il y a longtemps. J’aurais aimé retrouver à la maison cette indescriptible odeur ozonée, cette odeur de ciel et de vent que le froid y laisse sur son passage. Entendre les radios et les télévisions en mal de sensations nous vendre à la criée l’arrivée d’une tempête qui est toujours « la tempête du siècle » et que dans d’autres pays on appelle simplement l’hiver. Que les écoles ferment leurs portes en solidarité avec les élèves des établissements ruraux dont les batailles de boules de neige secoueraient le grand chêne de la place, devant les autocars immobiles. Et qu’on l’allume au moins une fois, cette cheminée autour de laquelle on a construit la maison de ses rêves. Un rêve un peu confus, au fond, où l’on a cru voir, dans une lumière dorée, de longues veillées claires-obscures réunissant les familles autour d’un âtre où brunit une poêlée de marrons et de pommes de terre, chacun s’affairant, au fil des récits et des souvenirs, à ajouter un peu de temps au temps. Mais nous n’avons eu à Beyrouth qu’un déluge sans grâce, violent et bref comme un grand seau d’eau froide qu’une ménagère céleste et néanmoins revêche nous aurait versé sur la tête.

On se console en se disant qu’avec tous les réfugiés abrités sous des tentes précaires dans les régions les plus froides du pays, il aurait été malvenu que l’hiver en fasse davantage cette année. Déjà qu’il a emporté une petite famille assez désespérée pour tenter de franchir la frontière par un chemin de contrebande, en plein blizzard, le seul de la saison.

D’ailleurs, c’est presque fini. Les amandiers, ces étourdis, ces impatients, ces éternels adolescents sont déjà en fleurs. Les petits pois s’arrondissent dans le secret vert de leurs cosses. Des effluves de figuiers sauvages et de bigaradiers clandestins vous rattrapent déjà, comme venus de nulle part, au coin d’une rue, au hasard du vent. Février a beau ruer, dit un adage de chez nous, il a l’odeur de l’été. « L’été », déjà ! Même pas le printemps ! La sagesse populaire ne fait pas dans les transitions. Alors on se prépare à renoncer. Accepter le retour précoce des marguerites et des cyclamens et puis le règne implacable du soleil, avec cette joie mitigée que l’on a d’accueillir un visiteur imprévu.

Tandis que j’écris ces lignes, imaginant dans la montagne l’herbe folle et d’extravagantes floraisons, l’idée même de l’été me répugne et pour cause. Bientôt il faudra affronter la hideuse réalité des plages dépotoirs et d’une mer devenue cloaque. Notre environnement pue la corruption. Aux prochaines élections, nous devrons être éminemment, impérativement écologistes. Sinon, à quoi bon.

Mais oui j’ai reçu tes photos sous la neige. J’ai vu par ta fenêtre le silence ouaté, les bruits amortis, les buissons givrés, les rues endormies, la belle paix blanche. Et j’ai cru humer ce parfum merveilleux entre tous, celui d’un feu de bois qui grésille dans la brume. Sur mon chemin à travers les rues de Beyrouth, j’ai pris pour toi des images d’arbres en fleurs sous un...

commentaires (1)

VOUS AVEZ UN TALENT POETIQUE MADAME FIFI. VOUS CHANTEZ EN PROSE COMME D,AUTRES LE FONT EN VERS. ALLEZ, VOUS ETES UNE POETESSE !

LA LIBRE EXPRESSION

16 h 09, le 01 mars 2018

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Commentaires (1)

  • VOUS AVEZ UN TALENT POETIQUE MADAME FIFI. VOUS CHANTEZ EN PROSE COMME D,AUTRES LE FONT EN VERS. ALLEZ, VOUS ETES UNE POETESSE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    16 h 09, le 01 mars 2018

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