Le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, a annoncé hier le nom de neuf des dix candidats sur sa liste dans la circonscription de Baalbeck-Hermel, en laissant en suspens le choix du dixième candidat, qui se présenterait pour le siège maronite, « dans l’attente d’un accord avec le Courant patriotique libre (CPL) ». Les noms annoncés sont, pour les six sièges chiites : le ministre Hussein Hajj Hassan, le député sortant Ali Mokdad, Ihab Hamadé (responsable du Hezbollah au Hermel), Ibrahim Moussaoui (responsable médias au sein du parti), le ministre Ghazi Zeaïter (relevant d’Amal) et le général à la retraite Jamil Sayyed (présenté comme « indépendant » ).
Pour ce qui est des deux sièges sunnites, le Hezbollah a annoncé les candidatures respectives du député sortant Walid Succariyé et celui de Younès Rifaï, issu des Macharii (Ahbache), qui remplace le député sortant Kamel Rifaï.
Pour le siège grec-catholique, Naïm Kassem a confirmé la candidature d’Albert Mansour, présenté comme « relevant du Parti syrien national social (PSNS) ». Il remplace le député sortant Marwan Farès, également PSNS.
La stratégie électorale du Hezbollah à Baalbeck-Hermel partirait de la présomption qu’une percée sur sa liste, voire plus, serait inévitable. Muni d’une capacité – supérieure aux autres – de contrôler ses électeurs, il peut doser la répartition des votes préférentiels chiites entre les candidats sur sa liste. Il a donc les moyens de choisir, plus ou moins, quel candidat affaiblir et quel candidat favoriser. C’est dans ce sens qu’il pourrait piloter le sens des percées attendues. À partir des noms annoncés hier, il devient plus aisé de cerner le siège susceptible d’être « cédé » par le Hezbollah.
Le choix d’Albert Mansour serait motivé par la volonté du parti chiite d’ « économiser ses votes préférentiels », pour les investir ailleurs, ce candidat étant considéré comme la figure grec-catholique la plus à même de recueillir les votes de sa communauté. Le Hezbollah a d’ailleurs défendu sa candidature jusqu’au bout : n’étant pas issu des rangs du PSNS, son nom avait été dans un premier temps contesté par ce parti, qui a fini par l’adopter hier dans une conférence de presse (Voir par ailleurs). Le Hezbollah aurait toutefois réussi à le lui « imposer » comme candidat en contrepartie du maintien de la candidature d’Assaad Hardane, membre du conseil exécutif du PSNS, sur la liste du parti chiite à Marjeyoun.
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Éparpiller les votes maronites
Pour ce qui est du siège maronite, le Hezbollah semble avoir opté pour la tactique de l’éclatement des voix au sein de la communauté concernée. Ne pas annoncer de candidat en arguant de l’attente d’« un accord avec le CPL » lui permettrait de faire d’une pierre deux coups.
D’abord, empêcher les parties chrétiennes, notamment les Forces libanaises (FL), d’identifier leur rival retarderait la formation d’une liste à même de faire contrepoids au Hezbollah. Plusieurs noms de candidats maronites potentiels sur la liste du Hezbollah continuent de circuler : outre plus d’un nom de la famille Fakhri, le nom du député sortant Émile Rahmé, très proche du CPL, mais en très mauvais termes avec les Marada, aurait des chances d’être retenu, au même titre que celui de l’ancien député Tarek Habchi, en brouille avec les FL, après que Samir Geagea eut soutenu la candidature du jeune universitaire Antoine Habchi sans en référer à lui.
Ensuite, en s’en remettant au choix du CPL pour le siège maronite, le Hezbollah fait entrer sur scène un acteur qui n’a quasiment pas de présence dans cette circonscription, aux fins de provoquer une collision avec les FL. Le chef du CPL aurait en effet envisagé d’interférer dans la bataille en choisissant le candidat maronite. S’il choisit d’aller dans ce sens, les FL pourraient y voir un « casus belli » sur un terrain qu’ils considèrent le leur.
La tactique du Hezbollah par rapport aux sunnites semble différente. La thèse de notables sunnites de la circonscription, selon laquelle une percée au niveau d’un siège sunnite serait tolérée, voire encouragée par le Hezbollah, n’est pas démentie par le choix de ses deux candidats sunnites. Le nouveau-venu, Younès Rifaï, propriétaire d’un commerce d’habillement dans la ville de Baalbeck, dont il est membre du conseil municipal, représente les Ahbache (aile sunnite de Damas), auxquels il a toujours appartenu. Ce parti est par définition très mal perçu par les sunnites, même dans les régions, comme Baalbeck-Hermel, où ils sont minoritaires. D’entrée, sa candidature est donc faible, d’autant que le candidat en question n’est pas de ceux à même de se rallier seuls un nombre de voix pesant. Si le Hezbollah a opté pour lui, c’est qu’il envisage éventuellement de faciliter une percée de la part de ses adversaires à ce niveau. Ne pas rafler les deux sièges d’une communauté qui lui est hostile serait un moyen de dire qu’une partie de la rue sunnite ne soutient pas le Hezbollah, mais que l’autre le fait – et qu’elle le fait donc volontairement.
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Épauler Hariri
Faciliter une percée à ce niveau serait aussi motivé par la situation du courant du Futur dans cette région. Son discours n’étant pas « suffisamment mobilisateur pour l’électorat sunnite du caza de Baalbeck (où cet électorat a son poids plus qu’au Hermel) », le courant de Saad Hariri risque d’avoir du mal à opter solennellement pour un candidat ou un autre sans provoquer de querelles dans ses propres rangs, selon un indépendant sunnite. Il aura donc du mal à présenter deux candidats à même de fédérer son électorat, c’est-à-dire deux candidats suffisamment forts pour percer ensemble. Il aurait donc intérêt à rester « passif », en acceptant un coup de main du Hezbollah, qui lui faciliterait alors la victoire de l’un de ses deux candidats.
La question reste de savoir quel serait le profil du candidat du courant du Futur sur lequel convergeraient les intérêts de Saad Hariri et de Hassan Nasrallah ? Dans cette circonscription, on évoque déjà la candidature potentielle d’un notable de Ersal, qui serait proche du président du conseil municipal, lequel n’affiche pas d’hostilité à l’égard du Hezbollah. Ce serait le moyen de mettre en avant cette bourgade symbolique de la résistance sunnite face au parti chiite, mais à travers un candidat qui n’en est pas vraiment représentatif.
En somme, Naïm Kassem n’avait pas tort d’annoncer hier une « bataille de l’image contre les ennemis ». Notons enfin que ce dernier s’est également prononcé sur la circonscription de Zahlé, en annonçant pour l’instant la candidature du député sortant Nicolas Fattouche, aux côtés du candidat chiite du Hezbollah, Anwar Jomaa.
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commentaires (3)
ils sont formidables ces strateges de wali fakih ! meme si on leur donnait 50% de vrai de ce qu'ecrit cet article, meme 20% de vrai , ILS DEPASSENT les autres parties, TOUS - de tres loin ! A LA GUERRE COMME A LA GUERRE des positions qui se foutent pas mal du bien de notre pays !
Gaby SIOUFI
12 h 42, le 24 février 2018