Visiter le siège du Tribunal spécial pour le Liban (TSL) à La Haye, au moment de la treizième commémoration à Beyrouth de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, c’est un peu être suspendu entre deux temps : le temps de la politique et celui de la justice.
L’hiver néerlandais, adouci par un soleil inespéré en cette période de l’année, déteint sur la façade de briques du bâtiment abritant le TSL, froide comme le sont les antres de la bureaucratie. Le rationnement des porte-parole du tribunal sur les informations à divulguer accentue l’impression d’une institution opaque, que l’on finit par croire stérile. À Beyrouth, la logique de compromis politique avec le Hezbollah a été pervertie au point de faire oublier ses armes.
Les journalistes libanais invités à un séminaire de deux jours au TSL sont de fait désabusés. Ils court-circuitent le thème du débat de la journée (les défis auxquels les journalistes font face en couvrant des procès internationaux) et profitent du temps de parole qui leur est donné pour poser les questions à même d’apporter un élément d’information sur une affaire qui « depuis longtemps » n’est « plus sujet à couverture médiatique ».
Le Liban supportera-t-il un verdict de condamnation des quatre accusés, même s’ils sont jugés sur base de leur responsabilité individuelle, qui n’engage pas celle de leur groupe politique d’appartenance ? D’aucuns, plutôt que de craindre l’impact du verdict, en déplorent l’inutilité. Quelle est la valeur d’un verdict sur une affaire dont la page a été tournée en politique ? Et, question des plus cyniques, le compromis politique ne risque-t-il pas d’infléchir, directement ou indirectement, le cours de la justice ?
Bien que formulées à partir d’angles différents, ces questions touchent au même problème : le camp politique qui se dit défenseur du legs de Rafic Hariri a-t-il vraiment envie que le travail du TSL aboutisse ? A-t-il toujours envie de connaître « la vérité » ?
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Parasitage pro-Damas
Ce qui était sûr hier, c’est que le camp prosyrien, lui, craint toujours cette vérité. Ainsi, un homme se présentant comme journaliste de « l’agence d’informations libano-syrienne » (en dehors de la délégation officielle) a pris la parole pour lancer ce message : « Condamner les accusés serait condamner une communauté (les chiites) dans son ensemble », a-t-il dit, sur le ton à peine voilé d’une mise en garde, prenant de court l’assistance.
En réalité, le TSL semble se prémunir de ces parasitages, grâce au distinguo entre la justice et ses effets politiques. Le temps de la justice est rarement celui de la politique, comme l’illustrent les procès internationaux pour l’ex-Yougoslavie et le Kosovo (objet d’un panel à part hier). D’ailleurs, la politique des puissances bloque souvent la justice (le cas de la Cour pénale internationale, également exposé hier, en est symptomatique). Le Liban a eu l’opportunité politique de se doter d’un tribunal international. « Ce tribunal est le vôtre, c’est un tribunal spécial pour le Liban », a ainsi insisté la présidente du TSL, Ivana Hrdlickova, suivie dans ce sens par Daryl Mundis, greffier du TSL. À partir de là, une « responsabilité s’impose », selon lui, aussi bien aux journalistes qu’aux citoyens libanais. Et pour l’assumer, il faudrait comprendre que « le tribunal n’est pas la solution à tous les maux du pays », selon Janet Anderson, responsable de rédaction à l’International Justice Tribune. Et d’ajouter à L’Orient-Le Jour : « Ce n’est pas le verdict qui changera la culture du pays ni le verdict qui mettra un terme à l’impunité. »
L’exigence de vérité
Bien que radicale, cette approche permet de dépassionner le débat autour du TSL et à l’exigence de vérité – premier moteur de la justice – d’opérer.
C’est dans ce processus que devrait jouer la coopération entre le TSL et les médias. Pourtant, celle-ci est loin de faire l’unanimité entre les journalistes libanais. Qu’ils remettent en cause ou non la légitimité du tribunal, c’est-à-dire qu’ils s’approprient ou non la rhétorique du Hezbollah, ils sont critiques de la communication exercée par le TSL.
Ceux qui ne font pas partie des détracteurs du TSL lui ont reproché de ne pas leur fournir suffisamment d’informations pour faire contrepoids au lynchage médiatique du TSL.
Ceux qui en revanche tendent à défendre – subtilement – l’approche du Hezbollah, ont critiqué le TSL pour avoir poursuivi des journalistes pour outrage au tribunal, plutôt que de « gérer ses fuites ». D’autres ont mis en garde contre le risque de faire basculer les médias dans l’autocensure.
Mais la responsable du bureau de sensibilisation et héritage du TSL, Olga Kavran, a vite rappelé la norme en vigueur : aucun journaliste n’a été poursuivi pour outrage au tribunal que dans un seul cas, celui de la publication d’informations confidentielles (liées à des témoins ou autres). Du reste, nul n’a été poursuivi pour avoir critiqué le tribunal. Au contraire, la critique est encouragée, a-t-elle dit en substance.
Derniers développements
La dernière information publique communiquée par le TSL sur le déroulé du procès (ouvert le 16 janvier 2014) date d’il y a une semaine et a été détaillée hier aux journalistes sur place. Le 7 février, l’accusation a fini de présenter ses éléments de preuve (les témoignages de plus de 260 personnes et quelque 2 470 pièces à conviction sous forme documentaire). C’est désormais la défense qui a voix au chapitre. Dans les deux prochaines semaines, la défense doit entamer son plaidoyer et présenter ses preuves à décharge : la tactique choisie par les conseils de (Hussein) Oneissy diffère de celle des conseils des autres accusés. Ils ont carrément déposé une demande de « no case » (non-lieu) en vertu de l’article 167 du règlement de procédure et de preuves du TSL, arguant du fait que les éléments de preuves présentés par l’accusation ne sont pas suffisants pour constituer un dossier contre Oneissy. L’audience consacrée à l’examen de cette requête de « no case » est prévue les 20 et 21 février, devant la chambre de première instance.
Rencontré par hasard à l’entrée du siège du TSL, le juge David Re, avec le même air décontracté qu’il affiche lors des audiences, a répondu à toutes les questions qui lui étaient posées par : « Je ne fais que mon travail. » Oneissy, rappelle-t-on, est accusé d’avoir cherché à brouiller les pistes de l’enquête en montant la vidéo d’Abou Adass. Son cas est « indépendant » des affaires des trois autres accusés, Hassan Sabra, Salim Ayache et Hassan Habib Merhi, en ce sens qu’un non-lieu en sa faveur ne remettrait pas en cause la validité des éléments de preuves de l’accusation fondés principalement sur les données téléphoniques, précise une source du TSL à L’Orient-Le Jour.
Du reste, c’est un black-out qui est observé sur le nouvel acte d’accusation toujours en cours d’examen devant le juge de la mise en état.
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“Quand on met le pied dans les idées générales, on glisse.” de François Nourissier Extrait de Le Musée de l'homme
FAKHOURI
09 h 13, le 15 février 2018