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Culture - Entretien

Jabbour Douaihy : « Il y a deux façons d’écrire, comme un architecte ou comme un semeur »

Jabbour Douaihy a le trait d’esprit facile, le regard clair et l’œil qui pétille dès qu’il parle des choses de la vie. Il est avant tout un être et un écrivain de la limpidité.

Jabbour Douaihy est né en 1949 dans le village de Zghorta, un lieu qui a fortement marqué cet amoureux d’histoires, un lieu qui a nourri une grande partie de ses romans. Professeur de littérature française à l’Université libanaise de Tripoli, traducteur et critique au supplément L’Orient Littéraire, il est avant tout un écrivain libanais qui sait poser un regard sensible, plein d’amour et d’empathie, sur ses semblables et qui ne cesse de saisir les petites choses anecdotiques, celles qui font le sel de la vie. Dans son dernier roman Le Manuscrit de Beyrouth, il emporte le lecteur dans les tourments d’un jeune auteur en quête d’éditeur. Et c’est toute l’histoire de l’imprimerie au XXe siècle qui élit domicile dans ce lieu clos. L’Orient-Le Jour est allé à sa rencontre pour faire le point sur sa vie d’auteur.

Jabbour Douaihy, un auteur derrière lequel se cache un homme discret et souriant, bienveillant et réservé.
Je suis né dans une famille traditionnelle. Le soir, ma mère nous lisait des romans et nous encourageait à lire. À l’époque, l’enseignement était une sorte de promotion sociale, d’ascenseur, et mes parents cherchaient à réussir à travers nous. Scolarisé à l’école des Frères de Tripoli, j’étais un élève studieux. Très intéressé par les mathématiques, j’avais néanmoins un penchant pour la philosophie. J’avais été élu délégué des classes pour la bibliothèque mais je m’y retrouvais toujours tout seul, personne ne lisait ! Alors j’ai lu pour tout le monde, pratiquement tous les livres qui traînaient sur les étagères poussiéreuses. J’aimais les bouquins à tendance « chrétien bien pensant », Maxence Van Der Meersch, Montherlant… L’école terminée, j’intègre l’Université libanaise pour une licence en lettres et obtiens mon doctorat à la Sorbonne. Je m’engage dans l’enseignement de la littérature et plus particulièrement le roman. Je n’avais pas d’autres horizons que celui-ci et plus tard (à l’âge de 40 ans) celui de l’écriture. Séduit par l’art de la narration, j’ai écumé Flaubert, Proust, Balzac et Zola, avec acharnement et me suis retrouvé fortement en Flaubert, dans son réalisme, sa recherche constante et presque obsessionnelle du beau style. Mais être écrivain aujourd’hui, après avoir fraternisé avec les plus grands, peut vous déstabiliser, vous faire poser la question : et moi que vais-je apporter de plus ? Mais je suis convaincu que chacun a une voix, un timbre particulier, une manière de voir le monde, une richesse de plus à offrir.

Comment écrivez-vous ?
J’estime par-dessus tout le style, la manière et le vrai, pour cela j’ai un rituel très particulier : il faut de la régularité et de la discipline. J’écris tous les jours à la même heure et si possible sur la même table. Changer de lieu requiert du temps pour l’apprivoiser, alors j’écris dans les mêmes cafés, depuis toujours. J’ai fais une constatation : j’écris d’autant plus frénétiquement que je suis éloigné de ma chambre à coucher. À Paris, si je réside à l’hôtel, je dois sortir de ma chambre et m’installer dans un café. Plus c’est éloigné de l’espace où je vis, mieux c’est. Terminer un roman requiert deux à trois ans. Je me relis incessamment. J’ai souvent besoin de l’assentiment d’une personne en qui j’ai confiance avant l’impression. Mais une fois qu’on a terminé un projet d’écriture, on n’y peut plus rien changer. Il y a deux façons d’écrire, à la manière de l’architecte ou à celle du semeur, celui qui a un plan de construction ou celui qui va au gré de l’histoire. Moi, j’ai commencé par construire, écrire mon histoire et celle de la communauté, des nouvelles inspirées par les ragots de mon village et puis j’ai été au gré de mes personnages fictifs dans les nouvelles et les romans.

Quel genre de lecture avez-vous aujourd’hui ?
J’achète des livres qui m’apprennent quelque chose, des romanciers qui poussent les limites de l’art d’écrire. Jean Echenoz, Toussaint, Paul Auster ou des livres pour un trajet de train, des romans policiers intrigants coupés au couteau. J’ai besoin de rester en éveil sur la manière d’appréhender le monde par le langage, sur la manière de le retranscrire. Je reste toujours en quête de style et de nouvelles manières d’écrire.

Que faites-vous quand vous n’écrivez pas ?
Lorsque je n’écris pas ou que je ne lis pas, je vais en ville retrouver ses amis. Pour moi, les amis, c’est l’intelligence, l’humour, l’ironie. J’ai des amitiés de tête. Je ne fréquente pas les émotifs, les prévisibles, ceux qui se plaignent toujours pour les mêmes raisons, nous rabâchent des mièvreries d’ordre domestique. J’affectionne la compagnie de ceux qui se raillent du monde, qui ont quelque chose à dire. Avec l’âge, on évite les gens qui répètent les mêmes complaintes. Mes vrais amis sont les personnes avec qui je peux rebondir et refaire le monde.

Un mot sur votre dernier opus...
Il est né d’un besoin de m’éloigner, d’une volonté de m’écarter du carcan de l’histoire libanaise. J’ai fait le tour des guerre civiles et familiales et des conflits communautaires. J’ai voulu écrire un livre détaché, une fiction drôle et tragique. Alors j’ai réduit la ville à une imprimerie et tout se passe à l’intérieur… et toute l’histoire du XXe siècle défile.

Votre dernière acquisition en matière
de roman ?
4321 de Paul Auster.


Pour mémoire

Jabbour Douaihy reçoit le prix de la jeune littérature arabe à l’IMA



Jabbour Douaihy est né en 1949 dans le village de Zghorta, un lieu qui a fortement marqué cet amoureux d’histoires, un lieu qui a nourri une grande partie de ses romans. Professeur de littérature française à l’Université libanaise de Tripoli, traducteur et critique au supplément L’Orient Littéraire, il est avant tout un écrivain libanais qui sait poser un regard sensible, plein...

commentaires (2)

Toute création est une architecture ... Une grande humanité dans ses propos. Admiratif

Sarkis Serge Tateossian

13 h 13, le 02 février 2018

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Commentaires (2)

  • Toute création est une architecture ... Une grande humanité dans ses propos. Admiratif

    Sarkis Serge Tateossian

    13 h 13, le 02 février 2018

  • PLUTOT EN IGNORANT OU COMPETENT...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 17, le 02 février 2018

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