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Culture - Hommage

Toufic Succar et la musique, sa mission divine

Dans une légende, saint Jérôme raconte comment un tiers des anges musiciens et chanteurs ont quitté le ciel. Ce départ a causé un grand manque dans la chorale de louange divine et a troublé la plénitude de l’harmonie céleste. Saint Jérôme poursuit en disant que la vocation des musiciens sur Terre serait de remplir le manque que les anges ont laissé derrière eux.
Rares sont les musiciens qui, mis à part leur talent, ont pu servir cette haute mission par l’intégrité de leur personne, l’assiduité de leur travail, la fidélité à leurs croyances et la persévérance de leur souffle. Or ce sont justement ces caractéristiques que nous trouvons chez les grands noms de l’histoire de la musique, qu’elle soit orientale ou occidentale. Saint Jérôme, vous aviez raison !
Toufic Succar était un des appelés à cette vocation. Avec lui, ses élèves complétaient leurs études en solfège, harmonie, contrepoint, fugue, analyse musicale et musique orientale. Durant les années de guerre, ils prenaient leurs leçons à son domicile à Achrafieh, un des centres musicaux qu’il avait fondés, permettant ainsi aux jeunes musiciens et musiciennes qui ne pouvaient pas se déplacer jusqu’au Conservatoire national de musique de Beyrouth de poursuivre leurs études musicales. Grâce au bagage solide que Monsieur Succar donnait, plusieurs de ses élèves ont réussi avec excellence les concours des grands conservatoires et universités à travers le monde.
Toufic Succar est né en 1922 avec une malvoyance. Des années plus tard, grâce à une chirurgie, il commence à voir partiellement et avec des lunettes épaisses, comme nous l’avons toujours connu. Il a alors surmonté les handicaps du destin par sa volonté et sa diligence, en poussant très loin ses études musicales avec Bertrand Robillard, puis au Conservatoire national supérieur de Paris dont il sort primé, frayant ainsi le chemin à ceux qui, durant les générations suivantes, suivront des études supérieures en musique.
Condamnant le sens commun qui affirmait que la musique n’était que divertissement, maître Succar croyait en la musique comme un noble métier, auquel il a dédié toute sa vie.
Pédagogue, il a formé des centaines d’élèves. En 1953, il est nommé professeur d’écriture musicale au Conservatoire national de musique de Beyrouth et établit les programmes de solfège, de la théorie de la musique occidentale, de l’analyse musicale, de l’harmonie, du contrepoint, de la fugue, de la composition et de l’orchestration, comme il participe à l’élaboration des travaux des programmes d’enseignement de la section orientale.
Administrateur, il dirige le Conservatoire national de musique de Beyrouth de 1964 à 1969. Sous son mandat, deux concerts avaient lieu tous les mois : l’un d’orchestre et l’autre de musique de chambre. Il a également fondé l’école de musique de Bécharré, dont sa famille est originaire, et l’école de musique de l’Université Notre Dame de Louaizé (NDU), dont il est également le fondateur de la chorale, comme il l’a souvent dit. Ambassadeur de la musique au-delà des frontières libanaises, Toufic Succar a été invité à donner des conférences et des concerts dans plusieurs pays en Orient comme en Occident.
Ce messager de la musique a, tout au long de sa vie, été un exemple d’intégrité, d’honnêteté et de respect vis-à-vis de la musique et des autres, collègues et élèves, et il n’a pas profité des postes qu’il a remplis à des fins personnelles. « Il fallait servir la musique avec modestie et humilité », disait-il. Ces leçons de valeurs humaines et morales faisaient partie des leçons de musique qu’il donnait.
Ayant obtenu une connaissance encyclopédique de l’harmonie, de la polyphonie et de leurs lois dans leurs divers courants, Toufic Succar est rentré de Paris en 1952 soucieux de rallier cette vaste connaissance au patrimoine musical libanais. Il se fixe pour premier but de continuer à répertorier ce patrimoine, tant religieux que profane et dont les traditions de transmission sont restées orales jusqu’au XIXe siècle. Jean Parisot avait publié les chants syriaques maronites au XIXe siècle et Père Paul Achkar avait également répertorié et édité les mêmes chants au début du XXe siècle.
Compositeur, il s’en est distingué par sa volonté de polyphoniser ce patrimoine traditionnel. Il harmonise alors les chants monodiques, souvent bâtis sur des modes renfermant des quarts de ton. Cette nouvelle voie dans la composition de la musique orientale, dont le maestro Succar a été le pionnier, a été remarquée, en 1956, par le compositeur tchécoslovaque Aloïs Haba qui lui commande une œuvre : le quatuor op. 32 en mi bayāti, qui a été joué dans diverses capitales européennes.
Toufic Succar compose en 1966 Les suites folkloriques libanaises, des œuvres polyphoniques pour le qanun, que son épouse Nenna Bakhtanassar exécutera avec l’emploi des dix doigts, une technique toute nouvelle au Liban jusqu’à cette date. Musicien, il fonde en 1960 une chorale pour chanter le patrimoine traditionnel qu’il a harmonisé à quatre voix. Sous sa direction infatigable, cette chorale formée d’hommes et de femmes de différents âges répète les soirs et en fin de semaine et se produit partout à travers le pays.
La longue vie en persévérance n’est qu’une image du grand mérite de Toufic Succar. Il a été fidèle à l’appel qu’il a eu pour la musique et malgré ses difficultés de vue, il a exploré tout instant de sa vie dans la composition, la recherche, la création et la transmission du savoir musical et des valeurs humaines.
Aujourd’hui, c’est la chorale terrestre qui pleure le départ d’un de ses grands. Puisse la chorale de louange divine, elle, se réjouir de son retour.

Shireen Maalouf
Docteur ès musicologie
Pianiste, écrivaine
Professeure titulaire à la faculté de pédagogie de l’Université libanaise

Dans une légende, saint Jérôme raconte comment un tiers des anges musiciens et chanteurs ont quitté le ciel. Ce départ a causé un grand manque dans la chorale de louange divine et a troublé la plénitude de l’harmonie céleste. Saint Jérôme poursuit en disant que la vocation des musiciens sur Terre serait de remplir le manque que les anges ont laissé derrière eux.Rares sont les...

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