La proposition américaine pour la création d’une « force de sécurité frontalière » de 30 000 combattants dans le nord de la Syrie a mis la Turquie hors d’elle. Cette formation réunirait des soldats arabo-kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS) et des Unités de protection du peuple kurde (YPG, branche militaire du PYD). Mais ces dernières sont considérées par la Turquie comme l’extension en Syrie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, kurde turc), qu’Ankara considère comme terroriste. En réponse à cette initiative américaine, la Turquie a répliqué lundi en affirmant que son armée était « prête » à lancer une opération « à tout moment » contre les bastions des YPG à Afrine, dans le nord-ouest de la Syrie.
Une situation à laquelle la Russie est restée attentive. Mais bien que le Kremlin ait critiqué, tout comme la Turquie, la proposition de Washington, Moscou ne s’est pas encore exprimé sur les menaces turques. Le grand allié de Bachar el-Assad conserve une présence militaire à Afrine et entretient de bonnes relations avec l’YPG, ce qui rend compliquée une éventuelle intervention turque dans la région. Décryptage de la situation avec Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po et spécialiste de la Russie.
(Lire aussi : Et si Washington ne se donnait toujours pas les moyens de sa politique en Syrie ?)
Pourquoi ce silence russe à propos des menaces turques en Syrie ?
La Russie a été relativement cohérente sur ses prises de position sur la Syrie depuis 2011. C’est probablement l’État qui a été le plus clair dans la durée et qui ne préjuge pas de l’action politique elle-même. La Russie à une position qui consiste à dire : je soutiens l’armée syrienne, plus que le régime politique syrien ; et je soutiens l’intégrité de l’État en Syrie. Le fait de ne rien dire implicitement sur la Turquie elle-même vaut pour approbation passive de la part de la Russie. Ce silence est fait pour éviter que la question kurde ne se pose d’une nouvelle manière dans la région. Moscou voit ce problème sous l’angle de la souveraineté de l’État. Il y a ainsi énormément de réticences à ouvrir la boîte de Pandore concernant ce sujet.
En cas d’attaque turque à Afrine, quelle serait la réponse russe sur le terrain ?
Les états-majors russe et turc ne cessent d’échanger des informations entre eux. Donc je ne pense pas que l’état-major russe sera surpris si les Turcs passent à l’attaque dans le nord de la Syrie. Et si attaque il y a, les réponses ont sans doute déjà été trouvées. Il est vraisemblable que la Russie laisserait faire les choses sachant qu’elle a plus tendance à protéger les minorités et elle pourrait jouer un rôle qui consisterait à essayer de ne pas mettre de l’huile sur le feu. En outre, elle pourrait sans doute hausser le ton sans intervenir militairement. Car il ne me semble pas que la Russie puisse envisager sérieusement de dégrader ses relations avec la Turquie comme elle l’a fait en 2015/2016 (quand un chasseur russe fut abattu par les Turcs). Il faudrait vraiment une atteinte majeure ou une frappe qui se passe mal, faisant des victimes russes, pour avoir ce type de conséquence qui engendrerait un retour des tensions entre les deux pays.
Quelles conséquences sur les relations russo-turques ?
La dégradation des relations, comme c’était le cas en 2015/2016, n’est pas forcément un scénario à répéter, pour aucune des deux parties. L’échange de diplomates et de points de vue est sans doute la meilleure stratégie pour éviter une renaissance des tensions. Je pense que la Russie fait preuve d’une forme de « compréhension » lorsque la Turquie s’attaque à la question du Kurdistan. Ankara effectue en quelque sorte la même opération que les Russes avec la question ukrainienne et la Crimée. Est-ce qu’il y a des risques de voir un conflit large éclater entre la Russie et la Turquie ? Cela me paraît difficilement envisageable à ce stade.
Lire aussi
Damas menace de détruire les avions turcs en cas d'intervention d'Ankara à Afrin
Pourquoi la position turque est intenable en Syrie
Erdogan jure de détruire les "nids" des combattants kurdes en Syrie
La « force frontalière » de Washington en Syrie, nouvelle épine dans le pied d'Erdogan