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Moyen Orient et Monde - Focus

La théorie du complot, une arme aux mains des régimes autoritaires arabes

Plusieurs dirigeants du Moyen-Orient recourent aux discours fondés sur les complots, leur permettant d'appuyer les actions menées à l'intérieur de leurs pays.

Préparatifs d'une manifestation en faveur de Bachar el-Assad à Damas en juin 2011. Khaled al-Hariri/Reuters

Si les théories du complot sont un produit on ne peut plus populaire au sein des sociétés arabes pour expliquer bien des événements historiques, elles font également le bonheur de certains dirigeants de la région. Elles sont ainsi propagées en tant que discours officiel pour réécrire les événements à leur avantage. Certains leaders n'hésitent pas à proposer une grille de lecture alternative pour justifier nombre de décisions. Armes favorites aux mains des régimes autoritaires du Moyen-Orient, ces derniers y recourent régulièrement, appelant leurs populations à se retourner contre un ennemi commun, argument de taille au nom d'un nationalisme dépassant les différends politiques et communautaires.
Ces théories du complot se révèlent particulièrement utiles lors de situations de crise internes ou de conflits. Martelées par les despotes dans de longs discours prononcés en grandes pompes, diffusées en boucle par les médias d'État, elles forment le parfait outil pour détourner l'attention de la population. Elles sèment le doute dans les esprits, voire au-delà, en exposant des faits déformés ou créés de toute pièce. Une stratégie qui résonne avec la maxime de l'écrivain britannique Rudyard Kipling : « La première victime de la guerre, c'est la vérité. »
L'histoire contemporaine l'a démontré à plusieurs reprises avec l'exemple le plus récent de la guerre en Syrie, qui s'inscrit dans la vague du printemps arabe ayant débuté en décembre 2010 en Tunisie avant de se propager à plusieurs pays du Moyen-Orient. Dès les prémices de la révolution syrienne en mars 2011, le président Bachar el-Assad s'est attelé à créer une contre-révolution en donnant sa propre version de l'histoire et en requalifiant les protagonistes sur le terrain. Il y a, en Syrie, un « très grand complot dont les fils s'étendent très loin dans certains pays et même à l'intérieur du pays », déclare ainsi le dirigeant syrien le 30 mars 2011, deux semaines après le début des contestations. « Ce complot s'appuie sur ce qui se passe dans les autres pays arabes et il y a aujourd'hui, selon leurs considérations, une nouvelle révolution mais nous ne l'appelons pas ainsi », poursuit-il.

« Complot de l'Occident »
Alors que le pays est secoué par des manifestations pacifiques populaires contre le régime à ce moment-là, les individus qui défilent sont des « terroristes », selon le président syrien. Le régime va même jusqu'à affirmer que les images de ces contestations proviennent d'autres pays de la région. Alors que le conflit s'installe dans la durée, donnant lieu à des épisodes sanglants et forçant des millions de Syriens à quitter le pays, la version de Bachar el-Assad ne change pas, le dictateur syrien et ses alliés russe et iranien s'acharnant encore aujourd'hui à dénoncer un « complot de l'Occident ». En usant de ce discours, Damas peut ainsi justifier la répression, les bombardements contre les civils, l'emprisonnement d'activistes visant à purger le pays. Le régime se posant en défenseur de la population gravement menacée par les jihadistes. Si les membres de l'organisation État islamique sont bien présents en Syrie, le dirigeant syrien ne s'embarrasse pas de différenciation entre les rebelles syriens et les terroristes, tous mis dans le même sac.
Mais, surtout, les théories du complot intriguent et attirent les spectateurs extérieurs qui doivent faire face à une déferlante d'informations en provenance des médias traditionnels, alternatifs et des réseaux sociaux. Une partie du public occidental devient un terrain fertile et réceptif à ce sujet, chose que Bachar el-Assad a rapidement comprise et su maîtriser.

Culte de la personnalité
Bien que les théories du complot connaissent un essor sans précédent grâce à l'émergence d'internet, le phénomène est loin d'être nouveau. Saddam Hussein, Hafez el-Assad, Mouammar Kadhafi : tous ont en commun d'avoir été à la tête de régimes autoritaires, friands de cet outil si particulier qui permet de jouer avec les esprits.
« Ce type de discours est facilité dans ces régimes où le culte de la personnalité du leader est très fort face à un appareil étatique faible », explique à L'Orient-Le Jour Matthew Gray, professeur associé à l'École d'études libérales internationales à l'université Waseda et auteur de Théories du complot dans le monde arabe : sources et politiques. « (Les théories du complot) permettent de faire diversion et d'envahir le débat public en s'imposant au-dessus des arguments du côté des courants dominants », poursuit-il.
La recette est souvent la même : on accuse des acteurs étrangers de vouloir faire tomber les régimes en place, souvent pour des questions d'accès à des ressources énergétiques. Selon les versions les plus classiques, les États-Unis et Israël sont à chaque fois, ou presque, en tête du peloton des comploteurs, à égalité avec « l'Occident », terme plus large mais surtout plus flou pouvant ainsi donner lieu à toutes les fantaisies. L'idée est d'internationaliser un événement national. « Il s'agit d'un refus de reconnaître la légitimité de manifestations populaires car cela imposerait de reconnaître la nécessité de s'amender dans des régimes ultraconservateurs et répressifs », estime Gilbert Achcar, professeur en études de développement et en relations internationales à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, contacté par L'OLJ.
Ce type de stratégie n'est pas exclusif aux États de la région, et a déjà été utilisé par d'autres régimes à travers le monde. Mais leur usage régulier au Moyen-Orient « est le résultat d'une réalité historique d'une région qui a, de fait, connu beaucoup de complots et qui a vu beaucoup de manigances notamment durant la guerre froide », contextualise M. Achcar. Selon lui, « il y a des causes objectives qui font que ces théories ont une certaine
emprise sur les populations et que les régimes y recourent
plus rapidement ».

Bénéfique à court terme
La paranoïa créée à grand renfort de théories du complot permet en outre de justifier les intimidations et la répression. Car la rhétorique du complot est également « un moyen pour le dirigeant d'exercer son pouvoir » dans une situation donnée, note M. Gray. Exemple parmi tant d'autres, l'ancien despote irakien renforce son pouvoir en faisant exécuter 68 personnes, affirmant avoir déjoué un « complot » entre les forces baassistes irakiennes et syriennes à son encontre, seulement six jours après son investiture le 16 juillet 1979. Quant au numéro un libyen déchu, il s'est notamment fait le champion de l'utilisation de la rhétorique complotiste dans la région, au point que ses propos frisaient parfois le ridicule.
Qu'importe, « le leader peut tenir des propos complètement scandaleux sans pour autant demander à la population de le croire mais seulement de le prétendre », note M. Gray. « Ainsi, il contrôle indirectement les propos tenus en société », ajoute le chercheur. Dans un environnement où le débat public est déjà soit complètement muselé, soit réduit au minimum possible, « cela est un moyen de faire dériver l'opinion publique vers des thèmes plus faciles à gérer », note Philippe Droz-Vincent, professeur en sciences politiques et en relations internationales à Sciences-Po Grenoble, interrogé par L'OLJ. « Cela est d'autant plus facilité par la nature du régime autoritaire, qu'il n'y a pas de mécanismes pour la reddition de comptes auprès de la population », observe-t-il.
L'impact de l'utilisation des théories du complot au niveau de la sphère étatique sur la société reste cependant difficile à quantifier. En termes stratégiques, « elles peuvent être très bénéfiques sur le court terme en donnant des avantages tactiques et plus de marge de manœuvre à ces régimes », note M. Gray. Pour autant, si elles sont utilisées trop souvent, « le risque est de formater une société à penser uniquement à travers les versions données par l'État ou de discréditer ce dernier », précise-t-il.

 

 

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Si les théories du complot sont un produit on ne peut plus populaire au sein des sociétés arabes pour expliquer bien des événements historiques, elles font également le bonheur de certains dirigeants de la région. Elles sont ainsi propagées en tant que discours officiel pour réécrire les événements à leur avantage. Certains leaders n'hésitent pas à proposer une grille de lecture...

commentaires (4)

Les complots! Au Liban aussi, on resort de temps en temps le complot d'Israel et sa volonte de conquerir le Liban. Foutaises. Mais on oublie que jusqu'en 1969, exactement apres la signature des accords du Caire, lorsque le Liban a abdique sa souverainete au profit des palestiniens,Israel a toujours REAGIT et n'a en fait JAMAIS attaque simplement pour attaquer. Le Hezbollah se sert de ce soit disant complot pour maintenir le Liban sous sa coupe....et il y a des libanais qui le croient!

IMB a SPO

13 h 43, le 15 janvier 2018

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Commentaires (4)

  • Les complots! Au Liban aussi, on resort de temps en temps le complot d'Israel et sa volonte de conquerir le Liban. Foutaises. Mais on oublie que jusqu'en 1969, exactement apres la signature des accords du Caire, lorsque le Liban a abdique sa souverainete au profit des palestiniens,Israel a toujours REAGIT et n'a en fait JAMAIS attaque simplement pour attaquer. Le Hezbollah se sert de ce soit disant complot pour maintenir le Liban sous sa coupe....et il y a des libanais qui le croient!

    IMB a SPO

    13 h 43, le 15 janvier 2018

  • Que cherchent l’Iran et la Russie ? Est-ce que le maintien du régime d’Assad au pouvoir mérite 400 mille morts, 250 mille disparus, 11 millions de déplacés et de réfugiés (50% de la population), des massacres sectaires abjects, la mort de milliers d’opposants sous la torture programmée, des viols à grand échelle, la destruction de quartiers entiers dans les villes, des infrastructures, des écoles, des hôpitaux, ponts, routes, etc. sous des tapis de bombes. Cette catastrophe humanitaire se produit sous les regards complaisants d’une communauté internationale aux voix discordantes, souvent complice ; c’est compliqué, c’est une guerre de religion ou bien c’est la faute de Sykes-Picot,...

    Moiffak HASSAN

    13 h 00, le 15 janvier 2018

  • ISRAEL ET LES IMPERIALISTES COMPLOTENT CONTRE LES PAYS ARABES... CONSTATEZ UNIQUEMENT CONTRE LES PAYS FLANQUES DE DICTATEURS ! CETTE CHANSON JE L,ENTENDS DEPUIS QUE JE SUIS NE ET ELLE SE CHANTAIT AUSSI BIEN AVANT ! LES DICTATEURS DISPARUS ET REMPLACES ET CEUX VIVANT ENCORE SE MAINTIENNENT BI ZET EL MAWAL ET LES PEUPLES SE GRISENT ENCORE AUX MEMES OPIUMS QU,AVANT ... PAS DE REVEIL DU SOMMEIL LETHARGIQUE ET PROFOND QUI LES BALANCE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 23, le 15 janvier 2018

  • Que de mauvaise foi.... Je ne sais pas s'il est nécessaire de commenter cet article davantage.

    NAUFAL SORAYA

    07 h 48, le 15 janvier 2018

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