Les causes de la rébellion qui a secoué l'Iran pendant au moins une semaine sont sans doute à la fois structurelles et conjoncturelles. Lancée initialement par la jeunesse économiquement marginalisée, bientôt rejointe par les classes moyennes inférieures, les étudiants et les retraités, elle s'est diffusée dans les quatre coins du pays, avec des protestations dans environ 70 villes et villages, faisant face à la main lourde de la répression étatique.
Outre les facteurs structurels qui ont caractérisé de manière quasi constante la République islamique, les derniers mois et semaines ont ajouté un nouveau niveau de mécontentement vis-à-vis du régime dans son ensemble. Cela m'avait d'ailleurs amené à anticiper, dans un article publié le 21 décembre dernier sur le site internet de la Brookings Institution, que les récentes vagues de protestation d'étudiants et syndicales constatées jusqu'alors n'étaient sans doute qu'un signe avant-coureur d'une intensification à venir.
Négligence totale
Quelques exemples pourraient éclairer cette dimension conjoncturelle. Au cours des derniers mois, les prix des carburants et des aliments ont connu des hausses massives, ce qui a exercé une pression sur les classes moyennes inférieures et paupérisées. Dans le même temps, les manifestations syndicales se sont poursuivies en raison des salaires non payés, des politiques économiques néolibérales et antisyndicales, confrontées à une répression brutale de la part des forces de sécurité.
Alors que de telles vagues de manifestations avaient déjà eu lieu tout au long de la présidence défaillante de Mahmoud Ahmadinejad, la position du président Rohani contre les droits des travailleurs et un salaire minimum supérieur au seuil de pauvreté n'avait fait qu'exacerber la situation. À la mi-novembre, les lourds tremblements de terre qui avaient secoué le pays ont démontré à tous les Iraniens la négligence totale du régime vis-à-vis de leurs besoins les plus vitaux : des logements sociaux – construits dans le climat de corruption des années Ahmadinejad – qui se sont brutalement effondrés, ensevelissant d'innombrables victimes sous les décombres ; à la réaction hésitante du gouvernement Rohani à fournir de l'aide aux victimes, laissant littéralement nombre d'entre elles « gelées ».
La journée des étudiants du 7 décembre a vu une vague de protestations universitaires avec des étudiants réclamant la justice sociale et la fin de la tutelle politique, et dénonçant la dégradation du climat du militantisme politique.
Enfin, comme pour ajouter un dernier levier à ces frustrations multiples, les promesses audacieuses du président Rohani de s'attaquer finalement au problème de la justice sociale ont été balayées par le prochain projet de budget présenté par son administration. Celui-ci prévoyant de consacrer des sommes importantes à des fondations religieuses – dirigées par les membres conservateurs ou réformistes du régime – ainsi que par les Gardiens de la révolution, il a été vertement critiqué sur les réseaux sociaux, poussant même le président Rohani à réagir. Ses électeurs désenchantés ont ainsi lancé une campagne sur Twitter contre leur ancien « porteur d'espoir » avec le mot-dièse « Je regrette » (« Pashimânam »). Ainsi, le projet budgétaire de Rohani avait évincé tout espoir de voir poindre à l'horizon un tournant vers la justice sociale et l'affaiblissement des structures autoritaires. Des lacunes que reflétaient déjà, en réalité, ses budgets antérieurs...
Misère structurelle
En définitive, les évolutions en cours lors des dernières semaines et derniers mois sont le résultat d'une frustration sociale – un facteur certainement important dans tout soulèvement – qui s'est accrue au cours des cinq dernières années et demie de la présidence Rohani.
L'argent qui est parvenu au pays après la suppression partielle des sanctions, à la suite de l'accord nucléaire iranien, a presque exclusivement été vers des entités étatiques ou semi-étatiques. Contrairement aux promesses de Rohani, pratiquement rien n'a ruisselé sur la population globale. Pendant ce temps, la pauvreté et l'inégalité des revenus ont même augmenté. Compte tenu des penchants néolibéraux de l'administration, l'austérité a déterminé presque exclusivement ses politiques économiques. L'échec socio-économique de Rohani était ainsi tout à fait prévisible, même si cette vérité était inconfortable pour ses partenaires commerciaux européens...
Sur le plan structurel, la misère sociale en cours ainsi que la nature autocratique et répressive du système politique ont longtemps formé le cœur – dual et inextricable – d'un régime qui avait monopolisé le pouvoir économique et politique entre ses mains. Aujourd'hui, près de la moitié de la population iranienne vit aux alentours du seuil de pauvreté. Officiellement, un huitième des Iraniens est au chômage – un ratio qui grimpe à un quart chez les jeunes –, mais, en réalité, les vrais chiffres devraient être beaucoup plus élevés. Ce sont précisément ces jeunes vingtenaires appauvris qui sont les moteurs du soulèvement.
En d'autres termes, presque exactement sept ans après le début du printemps arabe et huit ans après le Mouvement vert en Iran, des personnes de mêmes origines et formulant des exigences similaires ont lancé un soulèvement qui a ébranlé les fondements mêmes d'une autre de ces autocraties moyen-orientales, vieilles de près de 40 ans.
Ali Fathollah-Nejad est docteur en relations internationales et chercheur associé au Brookings Doha Center et au Belfer Center for Science and International Affairs de la Harvard Kennedy School.
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