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Moyen Orient et Monde - Contestation

Six journées de colère iranienne

Démarrées jeudi dernier à Machhad, les manifestations se sont propagées dans tout le pays.

Une étudiante manifeste à l’Université de Téhéran, samedi dernier, au milieu des gaz lacrymogènes tirés par les forces de police. Photo AFP / STR

Jeudi 28 décembre : ils ne sont que quelques centaines à défiler contre la hausse des prix et la politique du président iranien Hassan Rohani, à Machhad, située dans la région du Khorassan, dans le nord-est du pays. Quelques vidéos circulent sur les réseaux sociaux, montrant les protestataires scander « marg bar Rohani ! » (Mort à Rohani) et « mort au dictateur ». L'un des slogans lancés lors des grandes manifestations de 2009 « Pas Gaza, pas le Liban, ma vie en Iran », est repris avec davantage de force encore, critiquant ainsi les engagements du pouvoir dans d'autres causes régionales plutôt que sur le front domestique. « La manifestation était illégale mais la police s'est montrée tolérante », déclare alors le gouverneur de la ville, Mohammad Rahim Norouzian, cité par l'agence de presse ISNA. La manifestation se dissipe aussi vite qu'elle est apparue. À ce moment précis, l'information ne fait pas vraiment de vagues. Des contre-chants ont toujours existé au sein de la société iranienne.

Six jours plus tard, le mouvement de contestation a pris un tout autre visage et est aujourd'hui considéré comme le plus important depuis celui de 2009. « Aujourd'hui, il y a bien plus de questions en suspens que de réponses », estime Ali Vaez, spécialiste de l'Iran à l'International Crisis Group, contacté par L'Orient-Le Jour.
Comment un rassemblement ponctuel s'est-il propagé à l'échelle du pays, provoquant la mort de 21 personnes, dont 16 manifestants, et des centaines d'arrestations ? « Il y a des tensions générales dans le pays depuis longtemps qui viennent d'exploser par la brèche créée par les manifestations de Machhad », analyse pour L'OLJ Jonathan Piron, chercheur pour Etopia et spécialiste de l'Iran. « Ce n'est pas un hasard si ces manifestations sont parties de Machhad, le berceau du principal opposant de Hassan Rohani aux dernières élections, Ebrahim Raisi », poursuit le chercheur. La ville, haut pèlerinage chiite dont est également issu le guide suprême l'ayatollah Khamenei, est devenu, depuis quelques années, l'un des bastions de l'opposition au gouvernement. Beaucoup estiment que les premières manifestations sont l'œuvre des ultraconservateurs qui n'ont de cesse de critiquer les actions du gouvernement. En quelques jours seulement, des milliers de personnes affiliées à d'autres partis politiques ou même sans partis vont rejoindre les rangs des protestataires, avec des revendications propres.

Vendredi 29 décembre : de nouveaux rassemblements se tiennent à Machhad, et 52 personnes sont arrêtées par les forces de police. Les revendications sont les mêmes. Les slogans aussi. Le premier vice-président Eshaq Jahanguiri accuse des opposants d'être derrière la protestation. Des mises en garde contre tout dérapage sont adressées aux protestataires, tout en rappelant le droit du peuple à manifester. Quelques villes des quatre coins du pays se joignent au mouvement, comme à Qom, autre haut lieu de pèlerinage. À ce moment-là, les protestations semblent faire écho à celles organisées depuis l'annonce, début décembre, du vote du budget du gouvernement, perçu comme un plan d'austérité. « Une politique très néolibérale se met en place en Iran, ce qui provoque régulièrement des manifestations, parfois très petites, avec pour but de dénoncer le coût de la vie », rappelle Jonathan Piron. « Les récentes hausses de prix, la réduction des subventions et les performances économiques du pays, qui, malgré un certain nombre de transactions majeures et la reprise des ventes de pétrole depuis l'accord sur le nucléaire signé en 2014, n'ont pas permis d'endiguer le chômage, la corruption et les inégalités des revenus. Tout cela a contribué à alimenter le mécontentement généralisé qui a été le déclencheur immédiat des manifestations démarrées à Machhad », explique Ali Vaez. Alors que les manifestations semblent gagner en puissance, Washington ne rate pas l'occasion de critiquer le régime iranien. « Les dirigeants iraniens ont transformé un pays prospère doté d'une histoire et d'une culture riches en un État voyou à la dérive », affirme alors la porte-parole de la diplomatie américaine, Heather Nauert.

 

(Lire aussi : Canicule printanière, l'éditorial de Issa Goraieb) 

 

Le régime fait preuve de retenue
Samedi 30 décembre : alors que le pouvoir mobilise des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour marquer l'anniversaire du grand rassemblement prorégime qui avait sonné en 2009 la fin de la contestation contre la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, la situation lui échappe lorsque des milliers de personnes à travers le pays participent à des manifestations jugées « illégales ». Pour le moment, le gouvernement fait preuve de retenue, alors que, face au soulèvement postélectoral de 2009, sa réponse avait été très brutale. « À l'époque, il y avait un cadre, le mouvement vert, et il y avait une cause, la fraude électorale, à ces manifestations. Or aujourd'hui, la mobilisation est devenue acéphale et les causes du mécontentement sont multiples », résume Jonathan Piron. Ce samedi-là, des dizaines de jeunes manifestants sont dispersés à l'Université de Téhéran à coups de gaz lacrymogène, immédiatement remplacés par des étudiants prorégime criant des slogans contre les « séditieux ».La mobilisation s'organise notamment depuis l'étranger, à travers les réseaux sociaux. Si 2009 avait été perçue par certains comme la « Révolution Twitter », Telegram est aujourd'hui le canal favori des contestataires, canal que le ministre des Télécommunications, Mohammad-Javad Jahromi, considère encourager le « soulèvement armé ». Pour tenter de les circonscrire, « les responsables chargés de la sécurité ont décidé de bloquer provisoirement Telegram et Instagram », indique le site de la télévision d'État. Pour la première fois samedi, celle-ci diffuse des images des manifestations de jeudi et vendredi, tout en dénonçant les médias et les groupes « contre-révolutionnaires » à l'étranger qui cherchent, selon elle, à exploiter ces rassemblements. Un classique dans la rhétorique des plus durs du régime qui jouent sur la peur en exploitant les théories complotistes. Le président américain Donald Trump, farouchement hostile à Téhéran et qui avait déjà dénoncé les arrestations vendredi, affirme samedi dans un tweet que « les régimes oppresseurs ne peuvent perdurer à jamais ». Dans la nuit, deux manifestants sont tués lors de heurts à Doroud, à l'Ouest.

Dimanche 31 décembre : beaucoup attendent, fébriles, la réponse de Hassan Rohani aux événements des dernières 72 heures. Ce dernier prend la parole en Conseil des ministres et fait preuve d'ouverture. « La réponse initiale du gouvernement a été moins violente qu'en 2009, avec Rohani reconnaissant le droit légitime des gens à protester et à exprimer leurs griefs, tout en mettant en garde contre le recours à la violence », décrit Ali Vaez. À Téhéran, quelque 200 personnes se rassemblent, selon l'agence Fars, proche des conservateurs. Le même nombre avait été arrêté la veille dans la capitale. Le ministère de l'intérieur affirme que 90 % des arrestations à travers le pays concernent des jeunes de moins de 25 ans. Les violences se poursuivent dans la soirée, alors que des manifestants s'attaquent, dans plusieurs villes, à des bâtiments publics, des centres religieux, des banques et des voitures de police. Huit manifestants sont tués à Toyserkan (Ouest) et Izeh (Sud-Ouest). À Doroud, deux passagers périssent quand leur véhicule est percuté par un camion de pompiers volé par des manifestants. Donald Trump ne se prive pas de commenter une nouvelle fois la situation sur Twitter : « Grosses manifestations en Iran. Le peuple a finalement compris comment son argent et ses richesses sont volés et gaspillés pour (financer) le terrorisme. On dirait qu'il ne supporte plus. Les États-Unis surveillent de près en cas de violation des droits de l'homme. »

 

(Lire aussi : Rohani le « modéré » marche sur des œufs)

 

Khamenei entre en jeu
Lundi 1er janvier : cinq jours après les manifestations de Machhad, le mouvement, ou plutôt les mouvements, débordent. Au « mort à Rohani » s'enchevêtrent des « mort au guide ! », « mort au Hezbollah ! », « Pahlavi ! Pahlavi! (du nom de la dynastie du dernier chah) », ou « Reza chah, roi des rois! ». « Il y a toute une série de slogans qui vont un peu dans tous les sens, ce qui rend difficile la compréhension de la situation », estime Jonathan Piron. « Les manifestations, jusqu'à présent, sont plus dispersées qu'en 2009 – même si leur échelle géographique est plus étendue –, et elles semblent impliquer davantage les jeunes chômeurs que la classe moyenne qui a conduit les manifestations il y a neuf ans », ajoute Ali Vaez. Des vidéos de témoignages de manifestants circulent sur les réseaux sociaux, pointant dans la grande majorité la cherté de la vie. « Les gens sont en train de nommer le mouvement la "révolution de l'œuf" parce que c'est le coût exorbitant des prix de base qui revient sans cesse », poursuit Jonathan Piron, en référence à la vidéo d'une mère de famille visiblement désemparée qui demande à un journaliste s'il connaît le prix de l'œuf. Le chercheur note le ressentiment des couches pauvres de la population, les « mostazafin », que le régime « se vantait de protéger ». Pendant ce temps, les violences se poursuivent : un policier est tué et trois autres blessés par « des tirs d'arme de chasse » à Najafabad, dans le centre du pays. Le président iranien fait preuve de plus de fermeté cette fois en rappelant que le peuple iranien répondra aux « fauteurs de troubles et hors-la-loi », qualifiant les protestataires de « petite minorité ».

Mardi 2 janvier : le sixième jour des protestations est marqué par la rupture du silence du guide suprême. L'ayatollah Khamenei assure à la télévision d'État que « les ennemis (de l'Iran) se sont unis en utilisant leurs moyens, leur argent, leurs armes (...) et leurs services de sécurité pour créer des problèmes au régime islamique ». Ils n'attendent qu' « une occasion pour s'infiltrer et porter des coups au peuple iranien », dit-il, sans donner de précisions sur ces « ennemis ». Les protestations de la rue donnent une nouvelle fois l'opportunité à Donald Trump de s'exprimer sur Twitter. « Le grand peuple iranien est réprimé depuis des années. Il a faim de nourriture et de liberté (...) Il est temps que ça change. » Réaction aussitôt dénoncée par Moscou, estimant qu'il « s'agit d'une affaire intérieure iranienne » et que « toute intervention extérieure déstabilisant la situation (en Iran) est inadmissible ». Cinq quotidiens iraniens réformateurs ou modérés estiment en revanche que « les manifestations sont une occasion, pas une menace ». Si les chancelleries européennes sont restées muettes depuis le début des manifestations jeudi, Paris exprime enfin « sa préoccupation face au nombre important des victimes et des arrestations » lors du mouvement de contestation en cours. Des vidéos de manifestants à terre circulent sur la toile, ainsi que des photos de billets de banque à l'effigie du guide suprême sur lesquels sont griffonnés des « mort à Khamenei », mais dont l'authenticité n'a pu être vérifiée.

 

 

 

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commentaires (2)

AUCUN DESPOTE... PAS MEME LE CHIMIQUE PROROGE... NE PEUT DEFIER LA VOLONTE DES PEUPLES !

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 44, le 03 janvier 2018

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Commentaires (2)

  • AUCUN DESPOTE... PAS MEME LE CHIMIQUE PROROGE... NE PEUT DEFIER LA VOLONTE DES PEUPLES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 44, le 03 janvier 2018

  • « Les dirigeants iraniens ont transformé un pays prospère doté d'une histoire et d'une culture riches en un État voyou à la dérive »: alors là, c'est le comble... on aura (peut-être) tout entendu!

    NAUFAL SORAYA

    07 h 53, le 03 janvier 2018

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