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Garder ce calendrier

Il faudra garder bien précieusement, si vous en recevez encore cette année, le calendrier des éboueurs et celui des distributeurs de journaux, de la ligue de l'Immaculée Conception ou des martyrs de la résistance : un carton illustré avec, collé en son centre, un petit carnet de trois cent soixante-cinq pages (la prochaine année bissextile tombe en 2020) qu'habituellement on suspend à la cuisine, si toutefois on ne s'en débarrasse pas aussitôt que le commis a le dos tourné. Dès le premier de l'an, on en arrache une feuille tous les matins. Sur l'envers de la date du jour on trouve, selon la provenance du calendrier, des blagues, des casse-tête, des prières, des sourates, des divinations ou des sagesses à trois sous.

Petites lectures qui ont longtemps permis au cerveau de redémarrer en douceur dans le silence de la maison endormie, l'incertaine clarté du jour naissant et le parfum du café qui infuse dans la cafetière. Longtemps, le calendrier a offert aux lève-tôt un instant de recueillement au seuil de la journée, un moment à soi avant la livraison du journal, avant que l'on soit happé par la frénésie de la vie qui piaffe aux premières lueurs.

Il faudra le garder, ce calendrier. Bientôt, on n'en fera plus de tel et il s'en ira rejoindre dans les limbes les émouvants objets familiers que l'informatique élimine les uns après les autres à un rythme fou.

Car en cette année qui finit-commence, la technologie est une fois de plus, et de plus en plus, le sujet du moment. Les enfants du millénaire seront majeurs en 2018. Ils sont nés avec un clavier au bout des doigts, un écran au bout des yeux, et un cerveau impatient. Leur univers est bidimensionnel, il n'a presque pas d'autre profondeur que celle des millions d'images qui défilent au quotidien entre leur téléphone portable et leur ordinateur et dont ils tissent leurs rêves et meublent leur pensée. Le temps qui les sépare de leurs aînés n'est pas celui d'une génération. Il ne se mesure ni en années ni en décennies. Entre le XXe et le XXIe siècle s'est inséré tout un millénaire. Parmi les objets dont notre époque ne se servira bientôt plus ou presque plus, et qui furent pourtant, en d'autres temps, des fruits merveilleux du génie humain : les montres, les caméras, les CD et lecteurs de CD, les clés USB, les journaux, les livres, les instruments de musique, les chéquiers, cartes de crédit et argent liquide, les télécommandes et pratiquement tout ce qui a des boutons. La liste ne s'arrête pas là, et si l'on peut y ajouter toutes sortes d'appareils obsolètes, il faut songer aussi, hélas, à tout ce qui manquera bientôt à notre environnement pour les raisons que l'on sait.

Pour ceux qui ont connu l'époque précédente, les changements sont vertigineux. Les systèmes politiques, économiques, sociaux, sanitaires, les industries et les professions en place, rattrapés par l'ouragan informatique, négocient mal la transition. Des métiers vont se perdre et l'on remboursera encore longtemps des emprunts investis dans des machines qui ne servent plus à rien. Toutes les époques ont vécu des crises, la nôtre découvre le désarroi. La seule richesse que les robots ne nous prendront pas, c'est bien sûr notre merveilleux pouvoir d'aimer. Puisse-t-il nous tenir lieu de boussole pour traverser les fascinants bouleversements qui nous attendent.

Il faudra garder bien précieusement, si vous en recevez encore cette année, le calendrier des éboueurs et celui des distributeurs de journaux, de la ligue de l'Immaculée Conception ou des martyrs de la résistance : un carton illustré avec, collé en son centre, un petit carnet de trois cent soixante-cinq pages (la prochaine année bissextile tombe en 2020) qu'habituellement on suspend à...

commentaires (4)

Bonjour Fifi! De l'autre côté de l'atlantique les mondes s'écroulent tout aussi violemment. Aye! dur de pas être nostalgique... Merci tes impressions!

Vezina Jean-Francois

19 h 14, le 28 décembre 2017

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Commentaires (4)

  • Bonjour Fifi! De l'autre côté de l'atlantique les mondes s'écroulent tout aussi violemment. Aye! dur de pas être nostalgique... Merci tes impressions!

    Vezina Jean-Francois

    19 h 14, le 28 décembre 2017

  • Continuons de rêver, Fifi Abou Dib! Tout ce que vous racontez là est bien beau, mais qu'en est-il au niveau de notre vie quotidienne, et auprès des organismes publics? Allez donc un peu au registre de l'Etat Civil, ou au centre d'enregistrement des véhicules du Ministère de l'Intérieur, que trouvez-vous là-bas? Des registres géants qui s'empilent sur les bureaux, avec des couvertures déchirées, avec en plus des employé(e)s qui mangent une "mankouché" sur l'un d'entre eux...Qu'ils soient nés en 2000 ou avant 1950(comme moi),les Libanais doivent tous passer par ces bureaux anté-diluviens pour faire la moindre des formalités requises par notre cher Gouvernement! Tous les iPod, iPad et autres Android que les jeunes(et les moins jeunes) utilisent n'y changeront pratiquement rien...

    Georges MELKI

    15 h 10, le 28 décembre 2017

  • Le calendrier que l'on suspendait à la cuisine, c'était le calendrier de l'imprimerie Sader que tous les âgés comme moi appréciaient beaucoup. Merci Fifi de me rajeunir de 65 ans, au moins.

    Un Libanais

    12 h 11, le 28 décembre 2017

  • CHERE MADAME FIFI VOUS AVEZ DES DONS DE POETESSE QUEL QUE SOIT LE SUJET QUE VOUS TRAITEZ !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 52, le 28 décembre 2017

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