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Le piège pernicieux

En l'espace de quelques jours, deux des principaux leaders chiites d'Irak ont réaffirmé en public, pratiquement à l'unisson, une ligne de conduite fondamentale qui pourrait bien servir de feuille de route pour le devenir non seulement de l'Irak mais aussi de plus d'un pays de la région, dont notamment le Liban. Le fougueux Moqtada Sadr a d'abord solennellement appelé la milice pro-iranienne « el-Hachd el-Chaabi » (la « mobilisation populaire », l'équivalent en Irak du Hezbollah libanais) à remettre son arsenal militaire à l'État central, soulignant qu'il s'engagera sur cette même voie pour ce qui a trait à sa propre milice.

Abondant dans le même sens, le charismatique leader spirituel de la communauté chiite irakienne, l'ayatollah Sistani, devait de son côté appeler le « Hachd el-Chaabi » à se placer sous l'autorité du pouvoir étatique... Dans les faits, et non pas en paroles – à son sens, il n'avait évidemment pas besoin de le préciser explicitement. Cette position est d'autant plus vitale que l'ayatollah Sistani est connu pour ses fortes réserves, voire son opposition, à toute allégeance à l'égard du « Wilayet el-Fakih » iranien, prônant une attitude purement « irakienne », et non pas alignée sur Téhéran, de la part de sa communauté.

Comme nous l'avons souligné à plus d'une reprise dans ces mêmes colonnes, cette position de principe de l'ayatollah Sistani et de Moqdata Sadr s'inscrit parfaitement dans le sillage du testament politique de l'ancien chef spirituel de la communauté chiite libanaise, feu l'imam Mohammad Mehdi Chamseddine, qui dans son dernier ouvrage – un ouvrage de référence – exhortait les chiites du monde arabe à ne pas s'engager dans un projet « chiite » (transnational), mais à lutter pour leurs droits dans le seul cadre de leur pays respectif, en s'intégrant au tissu social de leur environnement national. En clair, il les invitait à ne pas se laisser entraîner dans l'entreprise hasardeuse et aventurière d'exportation de la révolution islamique iranienne. L'imam Chamseddine avait d'ailleurs pris ses distances vis-à-vis du régime du « Wilayet el-Fakih », comme l'illustre l'alignement de son fils à ce sujet, l'ancien ministre Ibrahim Chamseddine.

L'appel de l'ayatollah Sistani et de Moqtada Sadr à remettre les armes du « Hachd el-Chaabi » à l'État irakien et à placer cette milice sous les ordres du pouvoir central rejoint parfaitement la position souverainiste du courant du 14 Mars concernant le Hezbollah au Liban et son arsenal militaire. L'organisation chiite irakienne pro-iranienne et le Hezbollah étant – à l'instar des houthis du Yémen– des instruments de la politique expansionniste des pasdaran (les gardiens de la révolution iranienne), l'option étatique prônée par Sistani et Sadr implique que le puissant commandement des pasdaran veuille bien accepter de se départir de ses alliés locaux ou tout au moins de leur concéder une liberté d'action politique, loin de tout diktat.

Dans un tel contexte, et à l'ombre de la conjoncture présente au Moyen-Orient, une vigilance bien particulière s'impose face à un piège pernicieux qui pourrait poindre à l'horizon : la velléité des factions pro-iraniennes (en Irak, au Liban ou ailleurs) de prendre le contrôle du gouvernement et de l'État et d'en faire l'instrument de la politique de Téhéran, comme ce fut le cas avec l'ancien Premier ministre irakien, Nouri el-Maliki. Auquel cas, l'option prônée par l'ayatollah Sistani et Moqtada Sadr aurait été neutralisée et vidée de son essence. Car il y a une différence fondamentale entre « se placer sous l'autorité de l'État » et « contrôler l'État » en lui imposant sa volonté au service d'une puissance tierce. Tel est précisément le défi, ou plutôt le danger auquel est confronté aujourd'hui le Liban dans le cas précis du Hezbollah. Et tel sera, plus particulièrement, l'enjeu des prochaines élections législatives. Les Libanais devront choisir, encore une fois, entre deux projets politiques, deux projets de société : la voie souverainiste, sous le slogan « Liban d'abord »; ou la légitimation de l'ancrage du Liban au pouvoir des pasdaran. Pour qu'un tel choix soit clair aux yeux des électeurs, il faudrait au préalable que les programmes électoraux soient aussi clairs. Et, surtout, que certains pôles du courant souverainiste s'abstiennent de faire fausse route en contractant des alliances contre nature sous couvert de realpolitik.

En l'espace de quelques jours, deux des principaux leaders chiites d'Irak ont réaffirmé en public, pratiquement à l'unisson, une ligne de conduite fondamentale qui pourrait bien servir de feuille de route pour le devenir non seulement de l'Irak mais aussi de plus d'un pays de la région, dont notamment le Liban. Le fougueux Moqtada Sadr a d'abord solennellement appelé la milice pro-iranienne...

commentaires (6)

Chacun développe sa propre histoire du Liban. Certains craignent le Hezbollah et les plans iraniens, d’autres mettent en lumière l’occupation israélienne, l’annexion du Golan, la colonisation de la Cisjordanie...

Fredy Hakim

20 h 02, le 19 décembre 2017

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Commentaires (6)

  • Chacun développe sa propre histoire du Liban. Certains craignent le Hezbollah et les plans iraniens, d’autres mettent en lumière l’occupation israélienne, l’annexion du Golan, la colonisation de la Cisjordanie...

    Fredy Hakim

    20 h 02, le 19 décembre 2017

  • c'est tout simplement une excellente analyse, un excellent objecteur de conscience .. mille fois bravo

    Bery tus

    16 h 31, le 19 décembre 2017

  • Ne lisez pas à haute voix cet excellent édito le plus vrai de tous, vous serez poursuivi par un mandat d'amener devant un juge d'instruction. Merci Michel Touma, je vous le dis à voix basse et en secret.

    Un Libanais

    12 h 52, le 19 décembre 2017

  • En israel il existe une partie importante de la population juive qui prône la fin de l'état usurpateur juif, leur théorie dit expressément que les juifs n'ont pas religieusement le droit d'avoir un état. Et pourtant l'état usurpateur disrael continue d'exister et de sévir dans ses politiques criminelles. Chaque état verra ce qui lui conviendra le mieux, l'Irak de moqtada et de sistani n'ont pas cet état terroriste à leur frontière, n'ont pas été occupé par cet état voyou pendant 20 ans, ils ont d'autres réalités, le Liban à les siennes. Donc la présence du hezb libanais de la résistance libanaise FOR EVER. TANT QUE LE MENACE DE CET ÉTAT USURPATEUR VOYOU ET TERRORISTE SE TROUVERA FLANQUÉ À NOTRE PARTIE SUD DU PAYS. MR TOUMA VOUS N' AVEZ PAS INVENTÉ LE FIL À COUPER LE BEURRE NI L'EAU CHAUDE.

    FRIK-A-FRAK

    12 h 10, le 19 décembre 2017

  • Voilà un excellent article qui ouvre la réflexion sur "L'ennemi au cœur du politique" ne faut-il pas organiser un séminaire sur la question?

    Beauchard Jacques

    11 h 39, le 19 décembre 2017

  • TRES VRAI ET TRES CLAIR ! MERCI POUR CETTE MISE EN GARDE A NOS ABRUTIS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 22, le 19 décembre 2017

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