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Moyen Orient et Monde - Religion

Quand Mohammad ben Salmane met la police religieuse au pas

En réglementant les pouvoirs de la Moutawaa, le prince héritier s'est attiré les sympathies d'une part importante de la population. Portrait d'un service de sécurité longtemps honni et décrié.

Depuis avril, la Moutawaa, la police religieuse saoudienne, a vu ses prérogatives strictement encadrées. Photo archives Reuters

Le vent du changement n'a décidément pas fini de souffler sur l'Arabie saoudite. Alors que s'est tenu, il y a deux semaines à Djeddah, le premier concert réservé aux femmes, le royaume a annoncé la semaine dernière la réouverture prochaine de salles de cinéma au sein du royaume. Inconcevable il y a encore quelques années, la lente progression des divertissements dans le royaume wahhabite marque un certain recul du pôle religieux saoudien face aux projets modernisateurs tous azimuts du prince héritier Mohammad ben Salmane. Le 11 avril dernier, MBS avait annoncé la couleur en prenant directement pour cible le Comité pour la promotion de la vertu et la prévention du vice. La Moutawaa, la police religieuse saoudienne affiliée à ce comité, a en effet vu ses prérogatives strictement encadrées. Les agents « ne pourront plus arrêter ou détenir des personnes, ni demander leurs cartes d'identité, ni les suivre ». Ceux-ci devront avoir « une bonne conduite » et conseiller « aimablement et gentiment » la population. Des ordres aux allures de petite révolution.

Connue pour sa sévérité, la Moutawaa assure le respect de la charia dans le royaume. « Si vous ne respectez pas la prière, vous risquez une amende et certains commerçants sont parfois obligés de fermer leurs magasins. À Riyad le jeudi soir sur les grandes artères, les agents de la Moutawaa sont très présents afin d'éviter toute forme d'interaction entre hommes et femmes », note Clarence Rodriguez, qui a vécu 12 années dans la capitale et a écrit Arabie saoudite 3.0 (Erick Bonnier, 2017). Si la Moutawaa donne l'impression d'être à chaque coin de rue, elle ne dispose en fait que d'effectifs limités : entre 1956 et 2008, la police religieuse a vu son nombre d'agents passer de 1 350 à 5 000 alors que, dans le même temps, la population saoudienne progressait, elle, de 4 à 27 millions. Son image d'ubiquité et de terreur, la police religieuse la doit plutôt au zèle de ses agents. Plusieurs vidéos ont montré des interventions musclées qui ont choqué l'opinion publique saoudienne et nourri les rumeurs quant à son omniprésence. Loin d'être partout, les agents ciblent en réalité des endroits stratégiques : centres commerciaux, restaurants, mosquées... Les réprimandes, souvent effectuées aux grandes heures d'affluence, marquent les esprits et rappellent les principes islamiques. Pour repérer au mieux les contrevenants, la Moutawaa s'appuie sur un réseau d'informateurs efficaces. « Il est assez fréquent de dénoncer : dire qu'untel a de l'alcool chez lui ou qu'untel a été vu avec une femme qui n'était pas son épouse. Il y a encore une frange conservatrice importante au sein de la population », explique Clarence Rodriguez.

(Lire aussi : Ces 15 hommes proches de MBS)

Pas inédit

Les arrestations ne sont aujourd'hui plus permises et la police religieuse a vu son rôle cantonné à une fonction de simple sensibilisation. S'il s'agit encore de « promouvoir le bien », il ne s'agit plus « d'interdire le mal » puisque les agents doivent se borner à « donner des conseils » à la population.
À l'origine de ces restrictions, plusieurs affaires qui ont renforcé l'hostilité de la population envers la Moutawaa. En mars 2002, alors qu'une école de jeunes filles de La Mecque était en feu, des agents auraient empêché plusieurs d'entre elles de sortir, arguant que leurs vêtements n'étaient pas conformes à la tenue islamique. Quinze fillettes avaient alors péri dans l'incendie. Plus récemment, en octobre 2012, une course-poursuite impliquant la Moutawaa a fait deux victimes. Et le célèbre blogueur saoudien Raif Badawi a, lui, été condamné à 1 000 coups de fouet et 10 ans de prison pour avoir osé la critiquer.
L'encadrement initié par MBS n'est toutefois pas inédit. Ce n'est pas la première fois que le pouvoir politique saoudien intervient pour tenter de mettre un terme aux excès de la police religieuse. Après les attentats du 11 septembre 2001, le pouvoir lui avait notamment retiré le droit de fixer elle-même des peines pouvant aller jusqu'à trois jours de prison. Quelques années plus tard, le roi Abdallah était lui aussi intervenu. En 2009, un plan avait été mis en place pour refonder les méthodes de travail de la police religieuse : des formations et des séjours linguistiques ont été organisés pour sensibiliser les membres de la Moutawaa à la diversité des traditions et des coutumes. Le plan a connu un certain succès, même s'il n'a pas réussi à éliminer tous les abus de policiers souvent soudés par un fort esprit de corps et parfois profondément convaincus par leur mission consistant à « guider les âmes vers le salut éternel ». L'enjeu était pourtant de taille puisque la brutalité de ces agents contrecarrait les ambitions de Riyad : suite aux nombreuses critiques internationales l'accusant de soutenir un islam radical, la monarchie était bien décidée à redorer son image.

(Lire aussi : Les premiers cinémas d'Arabie saoudite ouvriront en 2018)

Aggiornamento social

La logique n'est aujourd'hui plus la même. Après avoir arrêté plusieurs membres de la famille royale (dans le cadre d'une purge anticorruption) et dignitaires religieux, deux piliers normalement au cœur du système saoudien, MBS consolide sa légitimité et renforce sa popularité auprès de la jeunesse. Un appui non négligeable, quand on sait que 70 % de la population saoudienne a moins de 30 ans. « Le prince héritier est soutenu par cette population ultraconnectée. Les jeunes sont partis étudier à l'étranger, ils ont voyagé... Aujourd'hui, ils ne veulent plus suivre à la lettre les ordres de la police religieuse », analyse Mme Rodriguez. En domptant la Moutawaa, MBS, âgé de seulement 32 ans, montre donc sa proximité avec une jeunesse qu'il sait étouffée par le poids des contraintes religieuses.
« Nous voulons une vie normale. Une vie où notre religion est synonyme de tolérance et de bonté. Nous n'allons pas passer 30 nouvelles années à nous accommoder d'idées extrémistes... Nous allons les détruire sans délai », déclarait le jeune prince héritier fin octobre.

À plusieurs reprises, par le passé, le pouvoir saoudien a acté les changements sociaux à l'œuvre dans le pays et a tempéré les ardeurs de la police religieuse. Dans les années 1960 et 1970, des tensions étaient apparues lorsque la monarchie avait autorisé la télévision ainsi que la scolarisation des jeunes filles. Dans son combat pour acter les transformations sociales, le pouvoir avait même permis à certains journalistes de critiquer la Moutawaa et avait refusé à plusieurs reprises d'appliquer des peines demandées par certains agents. Comme à l'accoutumée, les tensions entre le pouvoir et la police avaient accouché d'un compromis qui permit aux religieux de sauver la face. Aujourd'hui, l'aggiornamento demandé par MBS semble encore plus vaste. Preuve en est, de l'alcool et des bikinis pourraient bien faire leur entrée au nord de l'Arabie saoudite, au sein de complexes touristiques haut de gamme. Reste à savoir si ces bouleversements généreront à terme des oppositions au projet modernisateur du prince héritier.

 

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