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Diplomatie de crise ou en crise ?

Si Donald Trump s'est hasardé à trancher de si expéditive manière l'épineuse question de Jérusalem, ce n'est pas seulement parce qu'il l'avait promis à ses électeurs, et qu'il se veut homme de parole. Ce n'est pas non plus parce que ses deux mauvais génies, le gendre chéri Jared Kushner et le vice-président Mike Pence, n'ont cessé de le lui distiller à l'oreille.

Si Trump a franchi ce même Rubicon devant lequel trois de ses prédécesseurs marquaient invariablement le pas, c'est surtout parce qu'il a jugé que le fruit a amplement mûri depuis ce funeste jour de 1995 où le Congrès américain votait quasi unanimement l'attribution de la Ville sainte à Israël. Qu'il était superflu d'attendre de voir le fruit tomber tout seul de l'arbre, que la cueillette ne risquait pas de se heurter à une contestation sérieuse, le monde arabe pataugeant lamentablement en effet dans un état de division, de déliquescence, de décomposition, absolument sans précédent. Et qu'une fois passées les condamnations verbales et manifestations d'usage – ce que les Arabes savent faire de mieux – l'amère pilule finirait bien par être avalée. Et digérée, comme tant d'autres avant elle : point de vue évidemment partagé avec une arrogante assurance par Benjamin Netanyahu...

Si énorme cependant est la charge mythique, émotionnelle, passionnelle que revêt le débat sur Jérusalem, qu'il est facile d'imaginer, même confusément, qu'il n'en ira pas exactement de la sorte cette fois : beaucoup trop gros, en effet, est le morceau. Or ce chapelet de crises, et même de bouleversements éventuels qu'annonce la dernière folie du chef de la Maison-Blanche, sommes-nous vraiment parés pour y faire face dans les meilleures conditions ?

De même qu'il y a un dieu pour les ivrognes, le Liban a de la chance dans son infortune, encore qu'il ferait bien de ne pas trop tirer sur la corde. L'infortune de notre pays, c'est la propension atavique de son peuple à accepter – sinon à solliciter – les protections (et donc les dominations) étrangères les plus diverses, phénomène parvenu à son paroxysme avec l'exacerbation des tensions sunnito-chiites.

La chance du Liban, en revanche, c'est d'être passé entre les gouttes des averses torrentielles déversées par les printemps arabes ; c'est d'avoir échappé aux flammes du brasier syrien qui ronflait à sa porte, même s'il a dû accueillir une masse considérable de réfugiés. Sa chance est surtout d'avoir des amis, qui se sont même constitués en groupe d'amis, qui se retrouvent régulièrement pour tenter de lui porter secours, à la seule condition toutefois, rappelaient-ils vendredi dernier à Paris, qu'il se vienne lui-même en aide : qu'il applique à la lettre le document de Baabda, par lequel les diverses parties libanaises s'engageaient à se distancier des conflits régionaux ; et qu'il se conforme aux résolutions de l'ONU, notamment la 1559.

Lors de la même conférence internationale de Paris, étaient pourtant lancées deux sournoises attaques contre ce texte qui stipule le désarmement des milices. On a du mal à le croire, mais le ministre libanais des Affaires étrangères en personne (encore un gendre choyé !) est le triste héros du premier de ces raids, s'étant en effet démené en coulisses, mais en vain, pour que soit évitée toute référence à la 1559. Erreur de traduction ou puérile manipulation, c'est bien d'ailleurs ce qui s'est produit dans la version arabe du communiqué final, omission qui ne pouvait passer inaperçue et qui a été vite réparée...

Comme pour se rattraper aux yeux de ses alliés, c'est un Gebran Bassil ayant bouffé du lion qui tonnait dès le lendemain à la conférence de la Ligue arabe au Caire, jouant la surenchère, émettant des réserves sur les recommandations jugées trop molles de ses pairs, réclamant vaillamment un train de sanctions diplomatiques, politiques et économiques contre Washington. C'est tout juste si le patron du palais Bustros n'a pas menacé de ses foudres militaires le colosse US, qui se trouve être par ailleurs le principal fournisseur de matériel à l'armée de notre pays.

La diplomatie est la police en grand costume, disait Napoléon Bonaparte. Il est grand temps de songer à vêtir convenablement notre Talleyrand national.

 

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Si Donald Trump s'est hasardé à trancher de si expéditive manière l'épineuse question de Jérusalem, ce n'est pas seulement parce qu'il l'avait promis à ses électeurs, et qu'il se veut homme de parole. Ce n'est pas non plus parce que ses deux mauvais génies, le gendre chéri Jared Kushner et le vice-président Mike Pence, n'ont cessé de le lui distiller à l'oreille.
Si Trump a franchi...