La bataille opposant le parti Kataëb au ministre de la Justice, Salim Jreissati, semble loin de prendre fin dans un proche avenir. Et pour cause : le chef du parti, le député Samy Gemayel, a clairement fait savoir que sa formation poursuivra sa lutte contre la corruption et les « marchés douteux ».
M. Gemayel réagissait ainsi à une note adressée par le ministre de la Justice au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, en vertu de laquelle il lui a transmis la déclaration de M. Gemayel faite le 30 novembre, à l'issue d'un entretien à Bkerké avec le patriarche maronite. Les propos du député du Metn avaient porté sur « des marchés douteux entourant les contrats de gaz et de pétrole ». M. Jreissati a demandé que « soit menée l'enquête adéquate au sujet des propos de Samy Gemayel ».
Si les milieux loyalistes assurent qu'il s'agit d'une « mesure ordinaire » visant à pousser le chef des Kataëb à présenter des preuves à l'appui de ses accusations, il reste que la démarche de M. Jreissati a suscité de nombreuses interrogations dans les milieux politiques. D'autant qu'elle concerne un député qui bénéficie d'une immunité parlementaire lui permettant d'exercer son droit de contrôle sur les agissements du gouvernement.
Interrogé à ce sujet par L'Orient-Le Jour, Sassine Sassine, conseiller de Samy Gemayel et membre du bureau politique Kataëb, explique que « normalement, dans de tels cas, on défère le discours intégral pour étude devant le pouvoir judiciaire ». « On n'a pas le droit d'adresser une note qui ne pourrait être expliquée que par une tentative de dicter au procureur général les mesures à prendre à l'encontre de la personne concernée », ajoute M. Sassine, rappelant que « l'immunité parlementaire protège le député contre toute poursuite en justice, en raison de son droit de contrôler le gouvernement ».
À la faveur de cette logique, Sassine Sassine assure que Samy Gemayel et les Kataëb « ne se considèrent pas concernés par la note de M. Jreissati. D'autant qu'il aurait clairement visé à porter atteinte à la personne du chef des Kataëb ».
Mais au-delà de la procédure strictement judiciaire déclenchée par Salim Jreissati, d'aucuns, dans les rangs de l'opposition, estiment que cette mesure constitue un signal politique grave adressé à tous ceux qui s'aventurent à critiquer le régime ou le gouvernement, ce qui n'est pas sans susciter certaines craintes quant au sort réservé au régime démocratique au Liban. L'approche « légaliste » cacherait mal, ainsi, une volonté vindicative de lynchage politique de l'opposition.
À cela vient s'ajouter un élément important : la note du ministre de la Justice intervient quelques semaines après les poursuites engagées contre notre confrère Marcel Ghanem, journaliste vedette de la LBCI, mais aussi après l'arrestation du journaliste Ahmad el-Ayyoubi, après la publication de l'un de ses articles sur le site web al-Janoubiya.
(Lire aussi : Le climat des libertés s’étiole-t-il au Liban ?)
« Intimidation intolérable »
Cette atmosphère de régression des libertés dans un pays, qui se targue d'être un phare de la démocratie dans la région, pousse les Kataëb a éprouver des craintes quant à un possible dérapage du pays vers un régime policier ou totalitaire. Mais ils semblent déterminés à affronter une telle éventualité.
C'est d'ailleurs dans ce cadre que l'ancien président de la République Amine Gemayel, père de Samy Gemayel, place la bataille opposant Saïfi au ministre de la Justice. « Les agissements et les hérésies du pouvoir politique expliquent l'oppression que subit l'opinion publique à l'heure actuelle », a dit le président Gemayel dans un entretien accordé à l'agence locale al-Markaziya. Selon lui, « au vu de la mentalité observée dans le pays et ses objectifs dangereux – qui vont à l'encontre de l'intérêt de la nation et de la souveraineté du pays –, il est très normal de voir certains recourir à ce genre de pressions en vue de museler les opposants, parce que la vérité blesse ». « Toute voix libre pourrait les déranger », a renchéri le président Amine Gemayel, faisant état de « certaines voix belliqueuses qui portent violemment atteinte à des personnalités importantes dont l'immunité est assurée par la Constitution et les textes de loi en vigueur ».
Nadim Gemayel
Même son de cloche chez Nadim Gemayel, député Kataëb de Beyrouth. Contacté par L'OLJ, il ne cache pas ses craintes quant aux tentatives d'instaurer une dictature dans le pays. « Nous nous rapprochons d'un régime totalitaire », s'alarme-t-il, estimant que « la note de Salim Jreissati n'est qu'une manœuvre visant à faire taire l'opposition ». « Nous ferons face à cela, même si nous sommes les seuls à mener cette bataille », lance Nadim Gemayel.
Pour le député de Beyrouth, « les Kataëb sont aujourd'hui dans l'opposition. Ils jouent leur rôle en matière de contrôle de l'action du gouvernement ». « Ainsi, ce sont les pouvoirs législatif et exécutif qui s'affrontent, a-t-il souligné. Le juge n'a rien à voir dans cette bataille. Toute implication du pouvoir judiciaire dans cet affrontement n'est qu'une intimidation politique intolérable faite à l'opposition », conclut Nadim Gemayel.
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Nous subissons déjà la dictature du Hezbollah depuis le 31 octobre 2016, qui pour le moment se sert du paravent du Chef de l'Etat Libanais. Placé à cet endroit pour suivre docilement les volontés de ce soi-disant parti de la "résistance", lui-même dirigé par Téhéran. Irène Saïd
Irene Said
18 h 01, le 07 décembre 2017