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Liban - Lutte contre la torture

Moukheiber : Aucun bourreau ne pourra plus échapper à la sanction

Le député, à l'origine de la proposition de loi contre la torture, a réuni hier au Parlement de nombreux acteurs de la société civile pour expliquer la loi et écouter leurs réserves.

À la bibliothèque du Parlement, la société civile décortique, avec le député Ghassan Moukheiber, la loi contre la torture. Photo A.-M.H.

Le 26 octobre dernier, le Liban se dotait d'une loi criminalisant la torture. Dix-sept ans après la signature par le pays du Cèdre de la Convention des Nations unies contre la torture (CAT), cette loi a été publiée dans le Journal officiel. Mais après tant d'années de lutte, et au lieu d'être applaudie, la nouvelle législation a été fraîchement accueillie par la société civile. Celle-ci dénonçait un texte de loi bien en deçà de ses attentes, car non conforme à la convention onusienne, et comportant de nombreuses failles.

Auteur de la proposition de loi sur la pénalisation de la torture, le député Ghassan Moukheiber a invité hier ses détracteurs, comme il l'avait promis, à une table ronde à la bibliothèque du Parlement, place de l'Étoile. Soucieux « d'écouter leurs points de vue » et d'expliquer les siens, il a présenté point par point les aspects positifs de la nouvelle loi, tout en rappelant les dispositions anciennes des lois relatives à la torture, et qui « protégeaient déjà les victimes de torture, avant l'entrée en vigueur de la loi 65 ».

 

Une proposition au départ plus ambitieuse
Le débat, très animé, a montré la diversité des réserves, dont certaines particulièrement intransigeantes, d'autres plus conciliantes. « Aucun bourreau ne pourra plus désormais échapper à la sanction. Nous avons atteint notre objectif de protéger les personnes contre la torture », a martelé M. Moukheiber, devant des représentants du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH), de l'Union européenne, de l'ambassade des États-Unis, des organisations Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International, des associations Restart, Alkarama, Alef, CLDH, du centre Khiam de réhabilitation... et des chercheurs, avocats et militants, parmi lesquels la directrice de l'Institut des droits de l'homme au barreau de Beyrouth, Élisabeth Sioufi et le chercheur Omar Nachabé.

Mais en même temps, le parlementaire a reconnu que sa proposition de loi était au départ plus ambitieuse, et qu'il a dû revoir sa copie à la baisse, vu les résistances au Parlement. « Autrement, la loi n'aurait pas été adoptée », a-t-il observé.

 

 

(Lire aussi : Le Liban criminalise la torture : « Insuffisant », répond la société civile)

 

Le député s'est donc penché dans un premier temps sur les dispositions de loi liées à la torture déjà en vigueur avant l'adoption de la loi 65. « Ces lois étant en vigueur, elles ne figurent pas dans la nouvelle législation », a-t-il précisé. Ghassan Moukheiber a cité à ce propos un article contraignant de la CAT, comme l'obligation pour le Liban de respecter le non-refoulement de personnes étrangères si elles risquent la torture dans leur pays. Il a aussi souligné que chaque personne en état d'arrestation soumise à un interrogatoire a droit à la présence d'un avocat, à être vue par un médecin également. Il a soutenu que les victimes de torture ayant subi des dommages peuvent réclamer d'être indemnisées, et que les parties ayant participé, intervenu ou encouragé à la torture peuvent être aussi poursuivies.

Se référant enfin à l'article 15 du code pénal, le parlementaire a insisté sur la compétence des tribunaux civils et non militaires dans les affaires liées à des actes de torture. Les lacunes dans l'application de ces lois n'ont pas manqué de faire réagir les représentants de la société civile. Mais immanquablement, c'est le dernier point qui a été le plus critiqué par les participants. Et pour cause, « aucun texte de loi n'a réformé la compétence étendue du tribunal militaire à juger des membres des forces armées ou de sécurité ayant commis des actes de torture à l'encontre de civils », a affirmé à L'Orient-Le Jour un représentant d'Alkarama, Alexis Thiry. « Ce qui est problématique dans la mesure où les personnes chargées d'enquêter sur les allégations de torture relèvent de la même autorité que les tortionnaires présumés. »

 

(Pour mémoire : Démocratie : le Liban à la septième place sur dix pays arabes)

 

Rien ne justifie désormais la torture, mais...
Que comporte donc le nouveau texte de loi ? « La torture n'est désormais plus justifiée », a expliqué Ghassan Moukheiber. « De même, aucun bourreau ne peut justifier d'un acte de torture sous le prétexte qu'il a reçu un ordre dans ce sens de la part d'un supérieur ou d'une autorité quelconque. Quant aux victimes de torture, de même que les témoins, elles peuvent aujourd'hui bénéficier d'une protection. Les procédures se doivent de plus d'être efficaces et rapides », a insisté le député. Le débat était alors lancé sur trois articles de loi essentiels qui ont fait l'objet de réserves, en mai dernier, du comité d'application de la convention : d'abord, la définition de la torture, « conforme à la CAT », a soutenu M. Moukheiber. « Non conforme », ont répondu les présents, « car elle est restrictive » et pourrait « permettre à certaines parties d'échapper à la sanction ».

Ensuite les sanctions, « adéquates et progressives, allant d'un à 20 ans d'emprisonnement, en fonction des dommages causés à la victime », a assuré le député. « Pas assez sévères, surtout au niveau de la sanction de départ, car elles ne criminalisent pas l'acte en lui-même, mais considèrent la torture soit comme un délit, soit comme un crime, compte tenu des dommages causés », ont déploré les participants. Enfin, a expliqué le parlementaire, « la prescription de la peine en cas de torture n'est effective qu'à partir de la sortie de prison, ou de son lieu de détention, de la personne victime de torture. Et ce pour empêcher qu'elle ne soit sous pression au cas où elle désirerait porter plainte ». S'il s'agit certes d'une mesure « originale », comme l'a estimée Georges Ghali d'Alef, cet article n'a pas non plus fait l'unanimité, nombre de représentants de la société civile estimant que la torture doit être imprescriptible.

« Indubitablement, la loi pénalisant la torture est une avancée. Elle comporte des aspects positifs, mais aussi des points négatifs », a résumé le représentant du HCDH, Nidal Jurdi. Les parties se sont quittées avec la volonté d'aller de l'avant et de continuer à travailler ensemble pour observer la bonne application de la loi, en vue de l'amender un jour.

 

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