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Comme à la maison...

Ravi de rejoindre mon poste, je suis ici chez moi parmi mes proches. C'est en ces termes que le nouvel ambassadeur du Liban à Damas répondait hier aux vœux de bienvenue des officiels syriens venus le saluer à la frontière. La formule est empreinte de diplomatie certes, mais aussi de ce lyrisme débordant qui marque les retrouvailles entre frères arabes, même quand l'esprit fraternel n'est là en réalité que pour la forme. D'avoir ainsi sacrifié aux rites, us et coutumes n'est pas fait cependant pour calmer ceux qui, au sein même du gouvernement, ont vivement protesté contre cette initiative des AE ; non sans raison, ils y voient en effet un pas de plus sur la voie d'une normalisation totale des rapports avec le régime sanguinaire de Bachar el-Assad.

Cela dit, c'est le plus sincèrement du monde que l'on souhaitera au diligent ambassadeur de se sentir véritablement chez lui à Damas. Après tout, c'est ce que commande, à elle seule, la règle de la réciprocité, du moment que l'ambassadeur de Syrie à Beyrouth se trouve très bien ici, qu'il use et même abuse d'une liberté de parole et de mouvement inexistante dans son propre pays. Au plan de la sécurité publique d'ailleurs, on pourrait en dire de même d'une partie de la masse de réfugiés syriens hébergés au Liban.

Il serait certes utopique de rêver d'un monde arabe où ce sentiment d'être chez soi – ou comme chez soi – serait soudain accessible à tous, dans le respect, bien évidemment, des lois du pays hôte. Mais en attendant le jour béni où seraient instaurées, un peu partout, les libertés fondamentales, il est grand temps de commencer par celle de la croyance et du culte, hautement prioritaire désormais dans une région gangrenée par les fanatismes et les sectarismes. C'est précisément dans ce cadre que s'insère la visite proprement historique, absolument sans précédent, qu'effectuera bientôt le patriarche maronite en Arabie saoudite, à l'invitation du roi Salmane et de son fils et héritier.

Des centaines de milliers de Libanais vivent et travaillent, comme on sait, dans les monarchies pétrolières du Golfe, et leurs transferts de fonds sont essentiels pour l'économie nationale, comme pour le bien-être de leurs familles demeurées au pays. Ces expatriés sont respectés et même grandement appréciés à charge pour eux de s'abstenir de toute activité politique. Mais tous ne se sentent pas pleinement chez eux, car ils n'ont pas la possibilité de pratiquer leur culte autrement que dans l'intimité de leur habitation. Des églises, par exemple, existent bien depuis des années dans plus d'un de ces royaumes, mais elles ne peuvent, à ce jour, arborer ni croix ni clocher.

Voilà pourtant que les choses se mettent à changer avec la montée en puissance de jeunes princes épris d'évolution et de progrès. Dans un geste à haute portée symbolique, l'héritier du trône des Émirats arabes unis Mohammad ben Zayed al-Nahyane faisait même décerner, en juin dernier, le nom de Marie, mère de Jésus à une mosquée précédemment dédiée à son propre père, fondateur de cet État. Encore plus fort est le message que porte l'invitation adressée au patriarche maronite par l'Arabie saoudite. Elle survient en effet à l'heure où un autre et entreprenant prince héritier, lui aussi épris de changement et de progrès, croise, à grand péril, le fer avec l'institution la plus ancienne (pour ne pas dire la plus anachronique) et la plus puissante de son pays : le clergé wahhabite, allié de longue date de la dynastie Saoud, au point de faire figure de partenaire à part entière du pouvoir royal, et qui voue une hostilité déclarée aux autres religions monothéistes.

On ne manquera pas de relever que le chef de l'Église maronite est, lui aussi, un amateur – et un habitué – des premières, ce qui ne lui a pas valu, il est vrai, que des éloges. Son extrême mobilité, sa bougeotte, souvent peu soucieuse du protocole, et même certains de ses propos publics ont agacé les tenants de la tradition. Le cardinal Béchara Raï n'a pas craint en outre de braver les plus tenaces des tabous, s'attirant même la colère du Hezbollah, en se rendant auprès des communautés maronites de Palestine pour une visite à caractère nullement politique mais religieux. Pour couper court à toute surenchère de ce genre, c'est la même précision qu'il a tenu à apporter au sujet de son prochain voyage en Arabie. Il reste qu'en terre d'Orient, politique n'a sans doute pas fini de rimer avec religion.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Ravi de rejoindre mon poste, je suis ici chez moi parmi mes proches. C'est en ces termes que le nouvel ambassadeur du Liban à Damas répondait hier aux vœux de bienvenue des officiels syriens venus le saluer à la frontière. La formule est empreinte de diplomatie certes, mais aussi de ce lyrisme débordant qui marque les retrouvailles entre frères arabes, même quand l'esprit fraternel n'est...