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Idées - Point de vue

La question catalane et le Moyen-Orient

Des partisans de l’unité de l’Espagne dans les rues de Barcelone, le 8 octobre. Enrique Calvo/Reuters

Parce qu'ils soulèvent la question de la nature du principe de souveraineté, les événements en Catalogne ne concernent pas que l'Espagne ou l'Union européenne mais ont une importance globale. Et notamment au Moyen-Orient, mosaïque vraisemblablement perpétuelle de conflits qui ne dispose pas d'une entité comme l'UE, pouvant servir de rempart contre l'atteinte aux frontières nationales.

Si le principe d'autodétermination des peuples est inscrit dans la Charte des Nations unies de 1945, il est modéré par la résolution 1514 de 1960 de l'ONU, qui précise que toute tentative visant à détruire l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec ses principes.

Il serait néanmoins erroné d'en conclure qu'il est impossible pour des régions de se séparer et d'obtenir leur indépendance. Par exemple, la Catalogne pourrait devenir indépendante par une révision de la Constitution espagnole pour y introduire une disposition visant à attribuer à la région son droit d'autodétermination. Évidemment, un tel scénario implique une majorité des deux tiers – introuvable – au Parlement espagnol. C'est pourquoi le gouvernement séparatiste a, dès sa nomination en 2015, pris des mesures visant à obtenir une sécession unilatérale, en violation de la Constitution espagnole mais aussi de la législation catalane, qui exige une majorité qualifiée au Parlement régional pour organiser un référendum afférant aux questions intérieures. Or, la loi portant sur le référendum fut votée à une majorité simple. En outre, seulement 40 % des électeurs se sont exprimés lors du scrutin ; bien trop peu pour lui conférer une quelconque apparence de validité. La déclaration d'indépendance du 27 octobre 2017 a finalement été considérée, et pour cause, comme une violation du droit international et aucun pays n'a reconnu la république catalane.

 

Exceptions
Sous le droit international, il n'y a que les colonies et les territoires occupés qui constituent une exception à la règle d'inviolabilité territoriale. Mais que penser alors de l'implosion de l'URSS, ou encore de la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie ? Dans les deux premiers cas, le droit d'autodétermination des peuples fut inscrit dans les Constitutions de ces pays socialistes. Ainsi, les démantèlements des États mentionnés n'ont posé aucun problème d'un point de vue de droit international. Quant à la Constitution yougoslave de 1974, elle précisait que le pays était une « communauté étatique de nations librement unies et de leurs républiques » ; la dislocation du pays était donc considérée par la communauté internationale comme conforme au droit. Le séparatisme y fut également la conséquence de l'application du droit d'autodétermination comme « dernier remède » dans le contexte d'une guerre civile.

Chaque autre sécession depuis 1945 a été négociée avec le pouvoir central. Les exemples en témoignent : l'indépendance du Monténégro en 2006 ou du Soudan du Sud en 2011, mais aussi les référendums infructueux au Québec (1995) et en Écosse (2014), qui ont été tenus de manière légale. Pourtant, il y a des exceptions : par exemple, la Crimée s'est déclarée indépendante de l'Ukraine en 2014 de manière unilatérale, pour ensuite rejoindre la Fédération russe. La communauté internationale n'a pas reconnu cet acte, ce qui ne change toutefois rien aux faits.

 

Instrument impérialiste
À première vue, un droit public international favorisant l'autodétermination des peuples comme point de référence – le point de vue des nationalistes catalans – semble une excellente nouvelle pour les peuples opprimés au Moyen-Orient. Pourrait-on nier aux Palestiniens ce que l'on donne aux Catalans ? Il semble donc logique qu'Israël n'ait pas reconnu la Catalogne. Tel-Aviv a d'ailleurs également refusé de reconnaître le Kosovo, qui s'est détaché de manière unilatérale de la Serbie en 2008 avec l'appui d'une partie considérable de la communauté internationale. Par souci de ne pas créer un précédent pour un État palestinien, l'État hébreu a également suivi plus ou moins la même ligne de conduite pendant l'épineuse question catalane.

La Turquie, quant à elle, a reconnu l'indépendance du Kosovo endéans les 24 heures, tout en refusant de faire de même pour la Catalogne. Sans doute des intérêts géopolitiques ont-ils poussé Ankara à reconnaître un État peuplé par 95 % de musulmans en Europe. Pourtant, on voit mal comment, soucieuce de ces mêmes intérêts – sa population incluant 20 % de Kurdes –, la Turquie pourrait reconnaître un séparatisme unilatéral à l'étranger. Nous voilà dans la logique politique à géométrie variable, car suite à son invasion de l'île en 1974, Ankara a reconnu neuf ans plus tard Chypre du Nord, une entité qui, dans les faits, lui appartient. Et, selon la même approche et contrairement à son opposition à la doctrine de la sécession unilatérale, Israël a déjà essayé de créer une prétendue entité « indépendante » au Liban-Sud en 1979. Tout comme la Catalogne, ces deux entités n'ont pourtant jamais été reconnues par un seul pays tiers.

Il est donc clair qu'en dépit des principes du droit international, les rapports de force sur le terrain peuvent en fin de compte prévaloir. Les puissances invoquent à leur guise des arguments issus du droit susmentionné pour justifier leur cause, et la quête d'indépendance d'un État – palestinien, kurde, arménien, assyrien, etc. – peut facilement être abusée si des gouvernements locaux fantoches sont inféodés à une puissance étrangère. Cette thèse vaut surtout pour des États tels que la Syrie ou l'Irak, dont on peut craindre une dislocation en plusieurs micro-États faciles à dresser les uns contre les autres. En d'autres termes, la doctrine d'autodétermination des peuples peut être paradoxalement utilisée comme instrument impérialiste.

Celui qui soutient aujourd'hui l'indépendance catalane doit donc réaliser qu'en ouvrant cette boîte de Pandore, les nationalismes seront renforcés partout et que, par conséquent, le spectre de la désintégration aura surtout raison de la stabilité déjà si précaire au Moyen-Orient. Faire pencher la balance du droit international du côté d'une interprétation maximaliste du droit d'autodétermination – bref, adopter la doctrine des séparatistes catalans – serait une offre que ceux qui désirent en profiter accepteront volontiers...

Historien.

 

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commentaires (1)

En Europe, un exemple historique c'est l'independence de la république des sept Provinces-Unies des Pays-Bas (le royaume Pays-Bas de nos jours) en 1581, proclamant l'indépendance de facto et unilaterale de l'Espagne, suivant (d'apres wikipedia) l'Union d'Utrecht de 1579. Cette republique n'etait pas reconnu par les autres pays europeens, et cela pendant presque un siècle. Malgré les efforts des espagnols d'envoyer des armées pour supprimer la révolte, et la nature illégale - aux yeux espagnols et européens - de cette déclaration, cette république a su se maintenir jusqu'à l'invasion française de 1793-1795

Stes David

15 h 25, le 08 novembre 2017

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Commentaires (1)

  • En Europe, un exemple historique c'est l'independence de la république des sept Provinces-Unies des Pays-Bas (le royaume Pays-Bas de nos jours) en 1581, proclamant l'indépendance de facto et unilaterale de l'Espagne, suivant (d'apres wikipedia) l'Union d'Utrecht de 1579. Cette republique n'etait pas reconnu par les autres pays europeens, et cela pendant presque un siècle. Malgré les efforts des espagnols d'envoyer des armées pour supprimer la révolte, et la nature illégale - aux yeux espagnols et européens - de cette déclaration, cette république a su se maintenir jusqu'à l'invasion française de 1793-1795

    Stes David

    15 h 25, le 08 novembre 2017

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