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Ces quelques fruits

La treille a encore donné cette année, généreuse et lourde. L'or des grappes étincelait sous le feuillage encore vert et se teintait de rose jour après jour. Le cep sauvage avait été planté il y a plus de vingt ans entre sable et roche, dans l'espoir qu'il parviendrait à ombrager la terrasse écrasée de soleil. Et le soleil, il en avait pris son parti. D'année en année, la plante chétive et frugale, à peine entretenue, presque oubliée, sembla affairée à grimper jusqu'à l'astre. Elle montait à une vitesse folle, se ramifiait, poussait de plus en plus loin ses sarments, escaladait amoureusement la tonnelle, recouvrait avec faste le maigre berceau de fils de fer dont elle n'a plus besoin désormais, pour étendre son empire. Avant de partir, beaucoup par gratitude, un peu par curiosité, nous lui avions pris un grain ou deux, translucides escarboucles qui laissaient deviner au fond de la chair encore sûre l'ombre de leurs pépins. Il aurait fallu revenir un peu plus tard, quelques jours peut-être, quand la brume aurait transformé en nectar ce que le soleil avait gorgé de vie. Nous ne sommes pas revenus. La vigne a donné. Pour personne.

Hier, E. a envoyé des cageots de kakis encore verts. Dans un coin de la cuisine, d'un jour à l'autre ils deviendront tout oranges, exploseront sur la pointe du couteau, déversant leur gelée astringente et douce. Le fruit du plaqueminier est un mal-aimé qui arrache aux uns des grimaces, à d'autres des nostalgies. Il annonce les premiers frimas au cœur de l'été indien à cheval sur octobre et novembre. Mais la beauté de l'arbre est ineffable, tout modeste qu'il soit. Son feuillage, l'automne, est un feu d'artifice. L'hiver, sur ses branches nues, pendent encore des fruits oubliés comme autant de bulles solaires flottant dans la grisaille. Dans les champs, il déploie alors un Noël précoce, pour la beauté du geste et quelques rongeurs attardés.

Et puis A. a envoyé une caisse de pommes. Des rouges, presque noires, et à l'intérieur dures et vertes, qui éclaboussent quand on y mord. La pomme adore la montagne, la chaleur du jour, les frissons du crépuscule, les premiers feux, la première pluie. Elle se love avec volupté dans un dernier brouillard avant de se livrer. Elle seule ordonne la fin de l'été, invitant la troupe joyeuse et bariolée des travailleurs saisonniers. Ils arrivent à dos de tracteurs, avec femmes et enfants, se mêlent aux villageois, déposent les caisses et disparaissent sous les arbres. À chacun on rappelle qu'une pomme ne s'arrache pas : il faut la faire tourner, délicatement, et quand elle s'abandonne, la déposer en douceur à côté des autres.

Les pommes tombées ne se ramassent pas non plus. Elles mûrissent trop vite de leur côté meurtri et contaminent la caisse. Celles-là vont au vinaigre. Dans les pommeraies, les jours de cueillette, il règne au début un silence presque comique, tout de précaution exagérée et de concentration. Il arrive qu'une femme se mette à chanter. D'autres, de loin, lui font écho, et c'est tout le jardin qui se transforme en fête.

Les fruits de l'automne réveillent notre nature rustique. On les offre avec des paillettes dans les yeux, fiers d'avoir servi et honoré la terre et d'en avoir été récompensé en retour. S'il y a en nous un peu de génie, il n'est que paysan. En l'oubliant, nous avons perdu notre âme.

La treille a encore donné cette année, généreuse et lourde. L'or des grappes étincelait sous le feuillage encore vert et se teintait de rose jour après jour. Le cep sauvage avait été planté il y a plus de vingt ans entre sable et roche, dans l'espoir qu'il parviendrait à ombrager la terrasse écrasée de soleil. Et le soleil, il en avait pris son parti. D'année en année, la plante...

commentaires (5)

PRIERE LIRE NOUS GRATIFIE D,UN POÈME ETC... MERCI.

LA LIBRE EXPRESSION

14 h 37, le 26 octobre 2017

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • PRIERE LIRE NOUS GRATIFIE D,UN POÈME ETC... MERCI.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 37, le 26 octobre 2017

  • Un article délicieux et nostalgique... Merci

    Wlek Sanferlou

    13 h 20, le 26 octobre 2017

  • LA POETESSE FIFI ABOU DIB NOUS GRATIFIE ENCORE UNE FOIS UN POEME EN PROSE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 07, le 26 octobre 2017

  • Quelques fruits...mais pas seulement! De belles évocations émouvantes et profondes qui font battre le cœur de plaisir et de nostalgie. On les partage, ces fruits. On les savoure. On avait les mêmes dans notre jardin. On ne les a pas oubliés... Quand on en voit de pâles copies au rayon d'un supermarché, on soupire, on tourne la tête. Parfois, on se résigne à en acheter quand même un ou deux. Mais non, décidément, ils n'ont aucun goût, pas le goût de ceux de notre village...Rien à voir!

    Aoun Catherine

    10 h 43, le 26 octobre 2017

  • tres agrable a lire,unique Mm Fifi...merci

    Soeur Yvette

    09 h 03, le 26 octobre 2017

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