Pari réussi pour Shinzo Abe ? À la veille des élections législatives anticipées, le Premier ministre japonais a de quoi être confiant. Les sondages lui prédisent une large victoire demain, qui devrait lui permettre de renforcer encore un peu plus son pouvoir et de rester à la tête du pays jusqu'en 2021. Habile politicien, il battrait alors le record de longévité au pouvoir au Japon.
La bataille était loin d'être gagnée d'avance. En chute dans les sondages, associé à des scandales financiers, le Premier ministre japonais avait décidé de dissoudre l'Assemblée le 28 septembre dernier en pleine crise entre les États-Unis et la Corée du Nord. Mais au terme d'une campagne éclair, le Premier ministre nippon a connu un regain de popularité, grâce notamment à sa fermeté durant la crise entre Washington et Pyongyang. Il espère désormais renforcer sa position au sein de l'électorat japonais en endossant le costume de l'homme fort dans un contexte de troubles. Son parti, le Parti libéral-démocrate (PLD), qui occupe déjà les deux tiers de l'Assemblée, est annoncé ultrafavori face à une opposition éclatée et en perte de popularité. S'il obtient la majorité absolue, il pourrait alors amorcer les changements constitutionnels dont il a fait son cheval de bataille depuis plusieurs mois.
Ces élections sont en effet pour le Premier ministre une manière de se rapprocher de son objectif de longue date : réformer la Constitution pacifiste japonaise, en particulier l'article 9 qui dispose que « le peuple japonais renonce à jamais à la guerre en tant que droit souverain de la nation, ou à la menace, ou à l'usage de la force comme moyen de règlement des conflits internationaux ». Dans un contexte régional assez tendu, entre la menace nord-coréenne et les velléités territoriales de la Chine, le Premier ministre souhaite donner au Japon une marge de manœuvre plus importante en cas de crise. Mais la population japonaise est jusqu'ici demeurée très attachée à la Constitution pacifique qu'elle considère comme un rempart à la résurgence d'un nationalisme militaire.
(Pour mémoire : Les législatives anticipées se joueront entre Abe et Koike)
Les aléas de l'opposition
Pour un temps, la conservatrice Yuriko Koike semblait en mesure de détrôner le Premier ministre Abe. Ancienne animatrice télé, arabisante, diplômée de l'Université du Caire et ayant interviewé des personnalités telles que Yasser Arafat ou Mouammar Kadhafi, elle avait déjà remporté une victoire inattendue face au PLD en devenant la première femme gouverneur de Tokyo. Plus accessible que son rival, elle a créé son propre parti, le Parti de l'espoir, à l'annonce des élections, pour mener une campagne anti-Abe. Elle a vivement reproché au Premier ministre sa décision de dissoudre le Parlement alors que le pays devrait, selon elle, se montrer uni dans une période de troubles. Comme le précise Sébastien Lechevalier, expert en économie et politique japonaises interrogé par L'Orient-Le Jour, « le Parti de l'espoir était pour Koike une manière de proposer une alternative à Abe de l'extérieur. Et dans un premier temps, sa nouvelle formation, renforcée par les membres de l'ancien parti d'opposition (le Parti démocratique), semblait être une alternative sérieuse au PLD ».
Mais après le rejet de certains membres du Parti démocratique, considérés comme étant trop à gauche, son parti n'est plus vu comme un adversaire de taille face à Shinzo Abe et chute dans les sondages. Le fait que Yuriko Koike ait finalement renoncé à se présenter elle-même, pour conserver sa position comme gouverneure de la métropole, a sérieusement affaibli son parti. Favorable, elle aussi, à un changement de la Constitution et tout aussi conservatrice que le Premier ministre sur de nombreux sujets, elle a peiné à construire l'image d'une réelle opposante. « Les Japonais observent avec désintérêt ces élections, étant donné que les opposants à Abe ne sont pas parvenus à proposer une alternative crédible », confirme Sébastien Lechevalier. De manière générale, la victoire annoncée de Shinzo Abe intéresse peu la population qui semble se résigner à une nouvelle vague du parti gouvernemental à l'Assemblée.