C'est curieux comme la grogne sociale au Liban ne remue personne. En quelques jours, j'ai vu passer plusieurs manifestations au centre-ville de Beyrouth. Elles n'ont eu pour seuls effets que de ralentir la circulation et d'énerver les conducteurs (« Cette journée m'a fichu le diabète », râlait un chauffeur de taxi). Aujourd'hui même, alors que la décision de fermeture semble avoir été prise dans un établissement commercial que j'ai vu s'étioler tout l'été, de pauvres gens, chefs de rayon, vendeurs, caissiers, pères et mères de famille, se soutenaient pour faire face à une administration qui ne voulait rien entendre. Il y eut quelques vociférations, quelques imprécations, et puis tout le monde sortit tête basse. Dehors, le néant et le poids insoutenable de la vie qui continue et dont il faut pouvoir assumer les frais. Loyer, écolages, nourriture, soins. Rien n'attend, et les emplois ne courent pas les rues.
Alors oui, la rancune se porte sur plus faible que soi. Ces Libanais, fragilisés par une crise sans précédent, il faut le souligner, en veulent aux réfugiés syriens qu'ils accusent de rafler les rares postes disponibles tandis qu'ils perçoivent « des milliards » en aides humanitaires. Ils sont clairement soupçonnés de rester au Liban pour des raisons économiques (« Ils pourraient se déplacer vers les régions calmes de leur pays comme nous l'avons tous fait pendant 15 ans, mais chez eux, ils ne recevraient pas le moindre centime »). Par-dessus tout, on les accuse de dumping social et de concurrence déloyale, « ils ont beau jeu d'accepter des salaires de misère, quand l'essentiel leur est assuré par la communauté internationale, pourvu qu'ils n'aient pas la tentation d'embarquer pour l'Europe ». Comment ne pas penser au fameux exemple du plombier polonais dont tout le monde s'est gargarisé en 2005, à la veille du référendum français sur la Constitution européenne. À l'époque, on accusait les travailleurs de l'Europe « pauvre » d'accepter des salaires ridicules au regard de ceux pratiqués en France en raison des charges sociales, ce qui leur permettait de décrocher plus facilement certains emplois. La xénophobie est toujours exacerbée par la précarité, et celle-ci menace aujourd'hui un grand nombre de Libanais. La maladroite augmentation des impôts, dans un contexte de corruption sans précédent, pour financer les salaires d'un secteur public pléthorique et rongé par le clientélisme, n'est pas pour arranger les choses. Déjà, les prix montent et la souffrance des ménages se fait plus aiguë.
En toute logique, l'hostilité à l'encontre des réfugiés syriens va s'amplifier proportionnellement au mal-être des citoyens libanais. La misère morale, affective, sexuelle, matérielle de ces migrants traumatisés favorise les dérapages. Ici et là, on rapporte des incidents plus ou moins graves, du larcin au viol, à l'assassinat, à l'accusation d'appartenance à des cellules terroristes. Des villages se mobilisent pour bouter l'étranger hors de leurs murs.
Tout cela laisse un goût singulièrement amer, d'autant qu'il n'y a pas d'issue lisible à ce nouveau problème auquel doit faire face notre pays exténué. On a vanté notre résilience, on a déploré notre résignation, on ne comprend pas notre révolte. Nous changeons de nature, preuve que nous aussi, pour la première fois, nous avons besoin d'aide.
commentaires (4)
JE DEMANDE PARDON AUX LIBANAIS... LA QUALIFICATION EST DURE MAIS NOUS NOUS PLAIGNONS ET CONTINUONS DE VERSER L,EAU DANS LEURS MOULINS...
LA LIBRE EXPRESSION
13 h 22, le 12 octobre 2017