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La hantise et tout le reste

Il en est parfois des peuples comme des individus à problèmes : ils sont la proie de cauchemars récurrents. Le nôtre, de cauchemar, a pour nom implantation. Il nous hante, nous taraude, nous habite depuis des décennies déjà. Il meuble périodiquement les harangues de nos dirigeants en panne d'inspiration ; et comme si les inconnues régionales n'étaient pas encore assez angoissantes, c'est souvent par goût de la surenchère, de l'exploitation politique, que d'aucuns brandissent cet épouvantail.

On vient d'en voir l'illustration avec la petite phrase prononcée devant l'Assemblée générale de l'ONU par Donald Trump. Évoquant la tragédie des réfugiés de Syrie, le président avait demandé en effet leur relocalisation (resettlement) dans les pays d'accueil. Rien là de bien nouveau, du moment que l'on ne se hasarde pas à proférer le mot fatidique d'intégration. Lui répondant indirectement du haut de la tribune onusienne, le président Michel Aoun a estimé que le meilleur moyen de rendre service aux réfugiés est de les aider à regagner en toute sécurité leurs foyers. Fort bien, il ne resterait plus alors, en somme, qu'à pacifier la Syrie ; est-ce pour mettre ses hautes compétences au service d'une aussi noble cause que le ministre des Affaires étrangères, sans y être autorisé par le gouvernement, rencontrait hier à New York le diplomate en chef du sanglant régime de Damas ?

Toujours est-il qu'à peine connues les déclarations de Trump, on s'était empressé, à Beyrouth, de monter sur ses grands chevaux, de faire donner les grandes orgues, de crier au complot : les plus virulents ne cherchant vraisemblablement qu'à faire payer à l'Américain sa diatribe contre l'Iran. Le fait est que notre pays, bien malgré lui certes, a honoré à l'excès, bien plus que de raison, sa millénaire réputation de terre d'asile.

Sans même parler de son délicat équilibre démographique, le minuscule Liban n'a rien d'une Nouvelle-Zélande dépeuplée, d'un Canada à l'immense territoire ou d'une Allemagne à la population vieillissante et qui a besoin de bras vigoureux. Aux centaines de milliers de réfugiés palestiniens qu'il abritait déjà, se sont ajoutés plus d'un million de Syriens, le tout finissant par constituer le tiers de la population. Si naturelle, si légitime est, dès lors, la terreur qu'inspire la perspective d'une présence permanente, définitive, de tous ces malheureux sur le sol libanais que le refus de l'implantation figure en bonne place dans le préambule de la Constitution libanaise, au même titre que le rejet de toute partition.

C'est ce que rappelait mercredi le président de l'Assemblée nationale, dans son commentaire indigné des propos du chef de la Maison-Blanche. Il reste néanmoins que sans la cohésion du peuple, nulle Constitution au monde ne suffit pour déjouer les machinations étrangères, ou même les amères réalités nées, tout simplement, de l'implacable œuvre du temps. Dans notre pays, il est de triste tradition que soient déclinées sans la moindre gêne, sans complexe, sans vergogne, souvent même avec insolence, des allégeances à telle ou telle puissance étrangère. Pour cette raison, il se sera avéré utile – voire impératif ! – de préciser, noir sur blanc, dans le texte fondamental, ce qui devrait être une indiscutable évidence : à savoir, mais oui, que le Liban est la patrie définitive de tous ses fils...

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il en est parfois des peuples comme des individus à problèmes : ils sont la proie de cauchemars récurrents. Le nôtre, de cauchemar, a pour nom implantation. Il nous hante, nous taraude, nous habite depuis des décennies déjà. Il meuble périodiquement les harangues de nos dirigeants en panne d'inspiration ; et comme si les inconnues régionales n'étaient pas encore assez angoissantes,...